Pollution chimique

04 Dec 2025

TFA : le poison invisible qui ruisselle dans l’eau française

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Brigitte Angelini

Militante écologiste

L’eau du robinet en France est désormais contaminée à grande échelle par le TFA, un « polluant éternel » quasi invisible et extrêmement persistant. L’alerte, confirmée par l’Anses, révèle l’omniprésence de cette molécule toxique malgré son absence des listes officielles de surveillance européenne.

Il y a des chiffres qui claquent comme une gifle. Et puis il y a ceux, plus silencieux, qui s’installent dans le quotidien sans que personne – ou presque – ne s’en émeuve. Les 92 % d’échantillons d’eau contaminés par le TFA, dévoilés par l’Anses [1], appartiennent à la seconde catégorie. Une réalité insidieuse, presque banale tant elle semble désormais accepter sa place dans nos verres, nos corps, nos rivières.
 
Le TFA… Trois lettres anodines, presque sages. Pourtant, derrière cet acronyme se cache l’un des plus petits – et des plus redoutables – « polluants éternels », ces PFAS capables de survivre à tout, au temps, au traitement de l’eau, et parfois même à notre vigilance collective.
 
Entre 2023 et 2025, l’Anses a mené l’une des plus vastes enquêtes jamais conduites sur ces substances. Plus de 600 prélèvements d’eau du robinet, répartis sur tout le territoire, outre-mer compris [2]. Cours d’eau, captages, nappes souterraines : même constat, implacable. Le TFA est partout. Il se glisse, discret, et ne repart jamais.
 
Une omniprésence qui dérange
 
Lorsque l’agence annonce que 92 % des échantillons d’eau potable analysés contiennent du TFA, on pourrait presque croire à une erreur. Ce n’est pas le cas. Les chiffres se succèdent, et chacun a un arrière-goût d’abandon.
 
Le TFA n’est même pas inscrit dans la liste officielle des PFAS que l’Union européenne obligera à surveiller dès janvier 2026 [3]. Une ironie amère, quand on découvre que ce composé, pourtant absent des radars réglementaires, écrase littéralement tous les autres par son omniprésence.
 
« Quand on recherche une molécule, on la trouve », glisse Eleonore Ney, de l’Anses. Une phrase lancée comme une boutade, mais qui révèle le cœur du problème : on cherche si peu, et on trouve déjà trop.
 
Derrière la molécule, des sources multiples
 
Le TFA est issu de la dégradation d’autres PFAS, mais aussi de pesticides, de gaz réfrigérants, de composés pharmaceutiques. En clair : de morceaux entiers de notre modernité. On l’a produit, utilisé, rejeté… puis oublié.
 
Sauf qu’il n’oublie rien, lui.
 
Dans certaines régions, les concentrations atteignent des sommets. À Salindres, dans le Gard – près de l’ancienne usine Solvay, longtemps productrice de TFA –, un prélèvement a affiché 25 000 nanogrammes par litre. Un record, battant largement les précédentes mesures déjà effrayantes. Dans la mare tranquille d’un village, une eau en apparence limpide porte ainsi la trace durable de décennies d’activités chimiques.
 
L’Anses souligne que ces niveaux restent sous la valeur sanitaire indicative française : 60 000 ng/l. Mais cette limite, jugée « peu protectrice » par les ONG, repose sur des références anciennes, partielles, et sera révisée [4]. Quand ? En 2026. Un délai qui, vu l’état des eaux françaises, ressemble à une procrastination réglementaire.
 
Une toxicité encore sous-estimée
 
On pourrait croire que si la France tolère jusqu’à 60 000 ng/l, c’est que les effets sont maîtrisés. En réalité, la science avance plus vite que la loi – et ce qu’elle dit n’a rien de rassurant.
 
Des études évoquent des atteintes au foie. D’autres suggèrent des impacts sur la fertilité, la qualité du sperme, la thyroïde, voire des malformations chez les fœtus [5]. Pauline Cervan, toxicologue chez Générations Futures, parle d’une substance « à toxicité préoccupante ». Une expression mesurée, presque trop douce au regard des enjeux.
 
 
Mais que faire, lorsque la molécule en question est virtuellement indestructible ? Le TFA est si petit, si mobile, qu’aucun traitement usuel ne l’arrête. Il file à travers les filtres, contourne les technologies actuelles, s’infiltre dans les ruisseaux, traverse les sols, remonte dans les organismes. Une sorte de fantôme chimique, persistant, têtu.
 
Une responsabilité à géométrie variable
 
Les pollutions ne sortent jamais de nulle part. Trois usines sont particulièrement pointées du doigt : BASF, Finorga, et Solvay. Mais les responsabilités ne s’arrêtent pas là. Le TFA se forme aussi dans l’atmosphère, pendant la décomposition des gaz fluorés utilisés en réfrigération. Autrement dit : l’empreinte d’une industrie qui, pour réparer la couche d’ozone dans les années 80, a semé de nouveaux problèmes.
 
Et ce n’est pas tout. Le TFA provient également de pesticides largement répandus. Le Danemark, lui, a choisi de les interdire. En France, le sujet avance… à pas hésitants.
 
Une eau devenue miroir de nos renoncements
 
Ce qui inquiète le plus, au fond, ce n’est pas seulement la présence du TFA. C’est l’idée qu’une telle contamination puisse rester longtemps silencieuse, presque acceptée, tant elle semble difficile à combattre. L’eau est censée être l’élément le plus simple, le plus pur, le plus commun. Et voilà que notre reflet dans ce miroir liquide se trouble.
 
Nous avons longtemps pensé que la pollution était visible, bruyante, spectaculaire. Mais elle se fait aujourd’hui discrète, moléculaire, persistante. Le danger n’a plus de fumées noires : il a des formules chimiques.
 
Alors, que nous reste-t-il ? Exiger que la liste des substances surveillées s’élargisse – comme le recommande l’Anses. Prioriser la prévention plutôt que la réparation. Traquer les usages industriels inutiles. Interdire les pesticides qui génèrent du TFA. Et, surtout, ne plus fermer les yeux.
 
Parce que si l’eau porte notre histoire, celle-ci commence à ressembler à un avertissement. Un avertissement que nous ne pouvons plus ignorer.
 
 
 

Sources :

[1] Stéphane Foucart & Stéphane Mandard, Le Monde (03/12/2025).
« PFAS : une contamination généralisée de l’eau potable par le TFA, le plus répandu des polluants éternels ».
 
[2] Zoé Moreau, Vert.eco (03/12/2025).
« L’eau potable des Français est massivement contaminée au TFA, le plus petit des polluants éternels ».
 
[3] Directive (UE) 2020/2184, « sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) », 16 décembre 2020.
 
[4] AFP / 20 Minutes (03/12/2025).
« Robinet, cours d’eau, puits… Le TFA, polluant éternel très nocif, présent presque partout dans l’eau en France ».
 
[5] RMC / BFM TV (04/12/2025).
« Des polluants éternels dans notre eau du robinet ».

 


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