Comment se porte la biodiversité dans les forêts françaises ?
De multiples pressions exercées sur les forêts s’additionnent, créant un ensemble pouvant être particulièrement préjudiciable aux écosystèmes forestiers. Un état des lieux de la biodiversité des forêts françaises publié par l’Observatoire National de la Biodiversité (ONB) révèle des réalités contrastées selon les situations géographiques, les pressions anthropiques exercées et les mesures de protection déployées. Bien que le contexte forestier soit préoccupant, des signaux encourageants sont mis en lumière.
Après avoir atteint son niveau le plus faible dans les années 1830, la surface forestière a significativement progressé en France métropolitaine et couvre désormais une superficie deux fois plus importante qu’à l’époque. Les forêts françaises occupent aujourd’hui près d’un tiers de l’Hexagone et 84% des territoires d’Outre-mer. Cette forte progression résulte notamment de la réduction de terres agricoles, permettant la libération d’espaces et l’expansion naturelle des forêts.
Cet essor est également dû à des programmes de reboisement massif et des projets de boisement de zones peu productives ou humides. L’augmentation de la surface forestière a ainsi créé une multitude d’habitats disponibles pour de nombreuses espèces forestières.
Une progression hétérogène de la surface forestière
L’évolution de la surface forestière française n’est cependant pas uniforme. L’ONB révèle par exemple une réduction de surfaces de certains milieux forestiers particuliers, telles que les forêts alluviales. Ces forêts sont situées au bord de cours d’eau et forment alors une zone de transition entre milieux terrestres et aquatiques, constituant de véritables réservoirs de biodiversité. La surveillance de ces habitats forestiers et leur protection est primordiale pour veiller à la conservation d’espèces spécifiques.
En France métropolitaine, la surface forestière connait de grandes disparités entre les régions. D’après des données issues de l’inventaire forestier national de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), le grand Ouest enregistre un taux de boisement inférieur à 15%, tandis que les régions montagneuses des Alpes et des Pyrénées affichent un taux de boisement supérieur à 45%. Cela s’explique notamment par la dominante agricole du grand Ouest.
Protéger les vieux bois, mais aussi les arbres morts
Malgré un rythme de coupe des arbres aujourd’hui inférieur à leur croissance, de vieux arbres sont encore abattus par la sylviculture. De nombreuses espèces strictement forestières dépendent pourtant de ces arbres anciens. De même, des arbres morts sont parfois retirés alors qu’ils constituent des habitats indispensables pour certaines espèces dépendantes du bois mort ou mourant. C’est notamment le cas des coléoptères et de champignons. L’ONB a malgré tout souligné que le volume des bois morts et des très gros arbres forestiers a en moyenne augmenté de 7% entre les périodes 2008-2012 et 2013-2017.
Afin de préserver l’ensemble des espèces dépendantes des bois morts ou anciens, des mesures sont mises en place comme la création de « trames de vieux bois », ayant pour objectif d’améliorer les continuités forestières et de préserver les microhabitats existants. Pour cela, des îlots de vieillissement et des îlots de sénescence, c’est-à-dire des peuplements forestiers laissés en libre évolution, sont créés et des arbres sont protégés (notamment vieux, morts, gros ou à cavités).
« La création de trames de vieux bois devrait permettre à la biodiversité de réagir face au changement climatique »
D’après Frédéric Gosselin, ingénieur à l’INRAE et spécialiste de la biodiversité en forêt, « la création de trames de vieux bois devrait aussi permettre à la biodiversité de réagir face au changement climatique. Si les vieux bois sont mal répartis, les espèces avec une faible capacité de dispersion auront du mal à bouger alors que, s’il existe des trames continues, elles auront plus de facilités à bouger et s’adapter grâce à leur mouvement, sans que cela soit suffisant pour toutes les espèces compte tenu de la vitesse du changement climatique. »
Une riche biodiversité abritée par les forêts
Les forêts françaises hébergent une faune, une flore et une fonge distribuées de manière variée, créant ainsi des mosaïques d’habitats forestiers. Des espèces héliophiles évoluent dans des milieux ouverts où la régénération forestière est en cours et la lumière est abondante. C’est notamment le cas des reptiles. En revanche, d’autres espèces, appelées sciaphiles, se développent mieux dans des environnements fermés, caractéristiques de la phase de maturation des forêts, dans lesquels la lumière du soleil est davantage filtrée. C’est par exemple le cas du bambou en Outre-mer ainsi que de nombreuses espèces de chauves-souris et de champignons.
Support de l’écosystème forestier, il est important que le sol des forêts soit fertile pour que ces dernières puissent se régénérer et faire preuve de résilience suite à une perturbation. Or, d’après des données de la période 2000-2009, la richesse bactérienne des sols forestiers est inférieure à la richesse bactérienne moyenne de l’Hexagone, tous sols confondus. Cependant, l’ONB précise qu’il ne s’agit que d’un indicateur parmi d’autres, la richesse lombricienne étant particulièrement élevée en forêt par exemple.
Concernant la faune, l’état des lieux de l’ONB indique une hausse de la présence des grands prédateurs (ours brun, loup, lynx) en France métropolitaine. La couverture du territoire par au moins un grand prédateur est passée de 2 % en 2001 à près de 9 % en 2020. Ces carnivores jouent un rôle important dans le maintien naturel de l’équilibre des écosystèmes forestiers.
En effet, ils régulent les populations d’espèces telles que les cerfs et les chevreuils, empêchant ainsi ces dernières d’exercer une pression excessive sur leur environnement. L’ONB souligne également que les effectifs d’oiseaux forestiers sont pratiquement stables (-2%) depuis 1989, contrairement aux oiseaux évoluant en milieux urbains et agricoles.
Des pressions d’origine humaine mises en causes
Entre 1990 et 2018, l’urbanisation et la construction d’infrastructures humaines ont détruit plus de 40 000 hectares de forêts en France métropolitaine, supprimant ainsi l’habitat naturel de nombreuses espèces. Les écosystèmes forestiers sont également exposés à la pollution chimique, liée aux activités industrielles, agricoles et routières qui émettent des substances pouvant être toxiques pour certaines espèces ou néfastes pour le fonctionnement de l’écosystème.
La pollution lumineuse perturbe quant à elle les rythmes biologiques des espèces et nuit à la croissance des plantes. Par ailleurs, certaines forêts sont affectées par l’invasion d’espèces exotiques, notamment dans les territoires d’Outre-mer. Introduites volontairement ou par accident en dehors de leur habitat naturel, elles perturbent la biodiversité locale en altérant les équilibres écosystémiques existants.
Ces multiples pressions s’additionnent à celles engendrées par le changement climatique. L’intensification des périodes de grandes sécheresses et de canicule, l’augmentation significative de la fréquence des incendies et de leur ampleur, la perturbation de la répartition des pluies et les risques accrus de tempêtes sont autant de pressions à l’origine d’une dégradation générale de l’état de santé des arbres. L’IGN estime que le taux de mortalité des arbres a augmenté de 54% au cours de la dernière décennie.
« Les chenilles processionnaires entrainent une baisse de croissance des arbres impactés »
Le changement climatique modifie également les aires de répartition de certaines espèces comme la chenille processionnaire du pin qui progresse vers le Nord, au rythme de 4km/an en moyenne sur la dernière décennie. « L’expansion de la chenille processionnaire pose deux problèmes majeurs. Premièrement, elle engendre des conséquences phytosanitaires pour les arbres, dans la mesure où les chenilles processionnaires entrainent une baisse de croissance des arbres impactés.
Ces chenilles posent aussi des problèmes de santé humaine assez importants parce qu’elles sont urticantes et peuvent être présentes dans des parcs ou des jardins de particuliers par exemple », constate Frédéric Gosselin.
Un manque de suivi de la biodiversité forestière
Les données dynamiques sur la biodiversité dans les forêts française sont encore faibles. L’ONB précise qu’actuellement, les suivis et les indicateurs se concentrent principalement sur l’Hexagone et sur certains groupes d’espèces, notamment les arbres, les oiseaux et les grands prédateurs. De nombreux groupes d’espèces, pourtant essentiels à l’écosystème forestier, ne sont pas suffisamment suivis tels que les champignons, les mousses et les insectes. Il est donc difficile pour les chercheurs d’avoir une vision représentative de l’évolution de la biodiversité dans les forêts françaises.
Un meilleur suivi de l’ensemble de l’écosystème forestier, à mettre en lien avec les pratiques de gestion forestière, serait précieux, à la fois pour la recherche scientifique, mais aussi pour une meilleure prise en compte dans les politiques publiques et pour l’information des citoyens.
Les citoyens ont un rôle à jouer
« Malgré une évolution positive de l’attention portée à la biodiversité en forêt, les Français aiment avoir des espaces verts bien entretenus »
Le comportement des particuliers qui se promènent en forêt affecte directement les écosystèmes forestiers. C’est pourquoi il est important de ne pas ramasser le bois mort, de ramener tous ses déchets et de veiller à garder ses animaux de compagnie sous contrôle. Également, de nombreux collectifs se mobilisent pour protéger les forêts, contre les coupes rases notamment.
D’après une enquête de l’ONF, en 2021, 63% des Français considéraient la forêt comme un réservoir de biodiversité, contre 59% en 2015. « Malgré une évolution positive de l’attention portée à la biodiversité en forêt, les Français aiment avoir des espaces verts bien entretenus, des sous-bois avec une belle vision. Lorsque les gestionnaires laissent les forêts évoluer naturellement, les Français n’apprécient pas vraiment ça. Il y a une reconnaissance et un intérêt pour la biodiversité forestière mais il n’y a pas vraiment de vision systémique cohérente. », remarque Frédéric Gosselin. L’ingénieur invite « à s’éduquer et à découvrir la biodiversité forestière », estimant que « l’école, les médias et les associations » jouent un rôle primordial pour cela.
Source: goodplanet.info