Les vagues de chaleur et canicules passées en France ne remettent pas en cause le réchauffement climatique
Ils citent notamment les sécheresses de 1948-1949 et de 1921 en exemples historiques. Mais cette comparaison n'a aucun fondement scientifique : elle isole des dates précises, sans comparer les données statistiques sur le temps long, qui permettent, elles, d'observer une tendance. Les canicules et les vagues de chaleur se multiplient bien sous l'effet du réchauffement climatique, comme le montrent ces données, et ainsi que l'expliquent plusieurs climatologues à l'AFP.
"L'année 1948-1949 a été une des plus sèches que la France a connues, après celle de 1921 qui conserve le record connu de pénurie pour 12 mois consécutifs dans la majeure partie du pays...", avance le texte d'une vidéo partagée plus de 51.000 fois depuis sa mise en ligne sur Facebook le 9 août 2024.
En s'appuyant sur ces deux exemples historiques, ainsi que sur un comparatif images entre deux bulletins météo télévisés (censé dater de 2024 et de 1994) montrant des températures similaires, ce montage d'un peu plus d'une minute - également partagé sur X - entend relativiser les récentes vagues de canicule observées en France pendant l'été.
Avec, en sous-texte, l'idée que celles-ci n'ont rien d'exceptionnel ou d'inédit, mais sont au contraire dans la droite lignée des températures habituellement observées dans l'Hexagone pendant la période estivale - ce qui remettrait en cause la réalité du réchauffement climatique.
"70 ans de canicule... ou simplement l'été ?", "Nous sommes tout simplement l'été en France, et ce depuis longtemps!", avancent ainsi plusieurs passages de ce montage.
Une "démonstration" censée être étayée visuellement par l'utilisation, dans la vidéo, d'un extrait du film Manon des sources de Claude Berri (que l'on retrouve sur YouTube ; lien archivé), dans lequel des villageois, au milieu du 20e siècle, s'alarment du tarissement de leur fontaine locale. Mais contrairement à ce que laisse penser cette séquence décontextualisée, ce phénomène n'est pas dû, dans l'intrigue, aux conditions climatiques de l'époque, mais à un sabotage de la source - et donc à une intervention humaine.
Surtout, si cette "rhétorique" consistant à comparer des phénomènes météorologiques récents à des événements similaires du passé pour remettre en question la réalité du réchauffement climatique est récurrente sur les réseaux sociaux, elle n'a aucun fondement scientifique, comme l'ont souligné plusieurs spécialistes du climat à l'AFP.
Joint le 20 août 2024 par l'AFP, Fabio D'Andrea, climatologue, directeur de recherche au CNRS, et directeur adjoint du laboratoire de météorologie dynamique à l'ENS (Ecole normale supérieure) notait ainsi : "Il y avait des canicules avant, il y en aura après, sauf qu'on a observé jusque-là qu'il y en a de plus en plus. Les canicules, [...] c'est l'événement extrême climatique sur lequel on a plus de robustesse. Les prévisions ne [prévoient pas] seulement que [ce phénomène] augmentera, mais on le voit déjà."
Davide Faranda, directeur de recherche au CNRS, Institut Pierre-Simon Laplace et Université Paris-Saclay, spécialiste des événements climatiques extrêmes, abondait dans le même sens le 20 août 2024 auprès de l'AFP : "Ca n'a pas de sens [de choisir une date et de faire une comparaison], c'est ce qu'on appelle en anglais du cherry picking [ne sélectionner que les données favorables aux allégations de son auteur, NDLR]. La seule chose qui nous permet de faire des considérations scientifiques, c'est la statistique [...], le fait de regarder [les données] plusieurs années à la suite."
"Aucun scientifique ne dit que [...] les années qu'on [connaît] aujourd'hui sont forcément des années qui correspondent à des types d'événements extrêmes qu'on n'a jamais vécu dans le passé. [Le changement climatique] c'est un changement de distribution, un changement de risque d'avoir ces événements-là", a pointé le 20 août 2024 à l'AFP Aglaé Jézéquel, climatologue au laboratoire de météorologie dynamique.
Plus de canicules et de vagues de chaleur sur les dernières décennies
Sur son site (lien archivé), Météo-France précise qu'une vague de chaleur est un "épisode de températures nettement plus élevées que les normales de saison pendant plusieurs jours consécutifs", identifié, en France, lorsque l'indicateur thermique national - en vigueur depuis 1947, calculé à partir de la moyenne des mesures quotidiennes de la température de l'air dans 30 stations météorologiques françaises - est "supérieur ou égal pendant un jour" à 25,3 °C et supérieur ou égal à 23,4 °C pendant au moins trois jours.
La canicule, elle, "désigne un épisode de températures élevées, de jour comme de nuit, sur une période prolongée (au moins 3 jours)", avec des seuils de température et de durée qui varient selon les départements.
Toujours comme le rappelle Météo-France, bien que les canicules touchent la France "principalement entre début juillet et mi-août", elles peuvent aussi survenir en dehors de cette période - ce qui a notamment été le cas en 2019, lorsqu'elles ont été observées entre mi-juin et début juillet, et en 2016 (fin août).
Le Centre de ressources pour l'adaptation au changement climatique (lien archivé), disponible sur le site du ministère de la Transition écologique, pointe que 46 vagues de chaleur ont été recensées en France depuis 1947, et 7 fois plus d'épisodes de vagues de chaleur sur les 35 dernières années (1988-2023) que sur les 35 années précédentes (1953-1987).
Dans un tweet de juillet 2022 (lien archivé), Météo-France pointait que, sur les 44 vagues de chaleur alors recensées en France depuis 1947, 9 ont eu lieu avant 1989, le reste après 1989 et qu'on en dénombrait 20 depuis 2010 inclus.
Le Centre de ressources pour l'adaptation au changement climatique pointe par ailleurs qu'il y a eu 4 fois plus de jours de canicules en France "cette dernière décennie que dans les années 1980".
On recense en outre 12 jours par an de canicule en moyenne sur la dernière décennie (2013-2022) contre 3 jours entre 1980 et 1989.
Des canicules extrêmes plus à risque de survenir avec un réchauffement moyen de 1,5°C
Un graphique communiqué à l'AFP par Météo France dans le cadre d'un article publié à l'été 2022, montrait le nombre de jours avec des températures maximales supérieures ou égales à 35°C entre 1873 - date des premiers relevés de la station météo Montsouris - et 2022.
"On observe bien que ce nombre de jours augmente sur ces dernières années, et que ces séries de journées avec des températures supérieures à 35 se répètent chaque année. Ces trois dernières années, on a dépassé déjà deux fois les 40°C" à la station Paris Montsouris, commentait alors le service presse de Météo France.
L'AFP avait également contacté le 20 juillet l'Institut royal météorologique de Belgique, qui avait aussi décrit des températures de plus en plus élevées sur le territoire belge : "Des vagues de chaleur ont été enregistrées avant 2000, mais depuis 1981, le nombre de vagues de chaleur a augmenté, encore plus ces dernières années : depuis 2015, au moins une vague de chaleur a eu lieu chaque année - à l'exception de 2021. Les vagues de chaleur ont également tendance à être plus longues (+2 jours/décennie) et plus intenses (+1°C/jour par décennie)", a commenté le service presse de l'IRM.
Dans son bilan de l'été 2023 (lien archivé), Météo-France notait que, "sur l’ensemble de la saison, la température moyenne de 21,8°C est supérieure à la normale 1991–2020 de 1,4°C", ce qui classait l’été 2023 au 4e rang des étés les plus chauds depuis 1900, "derrière les étés 2003 (+2,7°C) et 2022 (+2,3°C), et quasiment au même niveau que l’été 2018 (+1,5°C)".
Ou encore que, "sur chaque mois et à l’échelle de la France, la température moyenne a été au-dessus des normales de saison", avec +2,6°C en juin 2023, +0,8°C en juillet et +0,9°C en août.
Selon les experts climat de l'ONU - le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) -, les canicules extrêmes auraient 4,1 fois plus de risques d’intervenir à +1,5°C de réchauffement moyen de la planète par rapport à l’ère préindustrielle, objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris de 2015. Elles seraient 5,6 fois plus probables à +2°C et 9,4 fois plus à +4°C.
Ces canicules ont de graves conséquences : sécheresses, incendies, baisse de la production dans l'agriculture et pertes de vies humaines.
Des vagues de chaleur bien dues au changement climatique
"La chose la plus importante, même au-delà de la statistique, c'est la physique, c'est-à-dire qu'on connaît les processus physiques qui font en sorte que la radiation terrestre soit retenue par les gaz à effet de serre dans l'atmosphère, et renvoyée sur Terre", précise Davide Faranda.
L'été 1948 et l'année 1921 sont "un ou deux exemples de caractéristiques exceptionnelles dans un climat qui était globalement plus froid, sans qu'on n'ait le même nombre d'événements extrêmes de ce type au niveau hémisphérique, au niveau global", poursuit-il, pointant qu'"il suffit justement de faire la statistique dans ces cas-là pour comprendre que quelque chose a changé."
Ainsi que détaillé dans un article de juillet 2022, la multiplication des canicules est un signe indubitable du changement climatique, selon les scientifiques.
"Chaque vague de chaleur que nous connaissons a été rendue plus chaude et plus fréquente en raison du changement climatique causé par l'Homme", résumait Friederike Otto, du Grantham Institute à l'Imperial College de Londres. "C'est de la physique pure : nous savons comment se comportent les molécules de gaz à effet de serre, nous savons qu'il y en a plus dans l'atmosphère, que l'atmosphère se réchauffe, ce qui signifie que nous nous attendons à voir des canicules plus fréquentes et plus chaudes et des vagues de froid moins fréquentes et plus douces", a expliqué lors d'un briefing en ligne cette spécialiste de l'attribution des événements extrêmes au changement climatique.
Comme nous l'expliquions en outre dans un article de janvier 2023, des climatologues de plusieurs centres et universités prestigieux à travers le monde, dont l'Imperial College de Londres, le Laboratoire des Sciences du climat et de l'environnement (LSCE) en France ou encore l'université américaine de Princeton, ont uni leurs forces dans l'initiative World Weather Attribution (WWA), pour améliorer les capacités à dire si un événement extrême est attribuable au changement climatique.
C'est ce qui leur a notamment permis en octobre 2022 de dire que la sécheresse de l'été 2022 dans l'hémisphère Nord, en particulier en Europe, et notamment en France, avait été rendue plus probable par les températures élevées elles-mêmes "exacerbées" par le réchauffement climatique induit par les activités humaines.
Comme le notait une dépêche AFP début août (lien archivé), si juillet 2024 a été un tout petit peu moins chaud que juillet 2023, selon Copernicus, l'observatoire européen du changement climatique, il est "de plus en plus probable" que 2024 sera l'année la plus chaude jamais enregistrée.
La série de 13 records mensuels consécutifs de chaleur à la surface de la Terre "a pris fin, mais seulement d'un cheveu", avait souligné Samantha Burgess, cheffe adjointe du service changement climatique (C3S) de Copernicus. Au global, le mois reste 1,48°C plus chaud qu'un mois de juillet normal pour la période 1850-1900, avant que les hommes ne commencent à rejeter en masse des gaz à effet de serre.
C'est un peu moins que la limite symbolique des 1,5°C, qui avait été franchie chaque mois depuis un an. Mais juillet 2024 restera le deuxième mois le plus chaud jamais enregistré, toutes saisons confondues, souligne Copernicus.
Le monde a battu en juillet deux jours de suite le record de la journée la plus chaude jamais enregistrée, les 22 puis 23 juillet. Et les océans, qui absorbent 90% de l’excès de chaleur généré par les activités humaines, continuent de surchauffer. Leur température moyenne en juillet a été de 20,88°C, soit la deuxième plus haute valeur mensuelle pour un mois de juillet, seulement 0,01°C de moins que le record établi l'an dernier, après 15 records mensuels consécutifs.
Source: AFP