Chercheur auprès de l’Institut des sciences économiques de Belgrade, Aleksandar Matković a publié le 11 août dans le quotidien Danas une étude montrant comment la Serbie était devenue « une colonie minière de l’Union européenne », ce qui lui a aussitôt valu de recevoir des menaces de mort… Il décrypte les enjeux de la « bataille du lithium ».
Lithium : « La Serbie est une colonie minière de l’Europe »

Pourquoi le président Vučić est-il décidé à imposer le projet d’exploitation du lithium, malgré l’opposition d’une large frange de l’opinion.

Les liens entre Vučić et le groupe Rio Tinto sont évidents depuis son élection à la présidence de la République en 2017. Cela correspond aussi au moment où l’Union européenne s’engage dans la « transition verte ». La compagnie a déjà dépensé plus de deux milliards d’euros en Serbie, le projet est trop gros pour s’arrêter, même si les cours du lithium sont aujourd’hui à la baisse. L’exécutif est prêt à changer la loi sur les mines, la loi sur les expropriations, bref à tout faire pour permettre à Rio Tinto de commencer l’exploitation.

 

Vous dites que la Serbie est devenue une « colonie minière de l’Union européenne »…

Oui, avec la « transition » post-socialiste, nous avons privatisé tous nos actifs économiques, fermé nos usines et nous sommes devenus totalement dépendants des investissements étrangers. Pour attirer ces investissements, le gouvernement n’hésite pas à casser toutes les obligations légales, et même à les subventionner directement avec de l’argent public.

Ce système pervers s’est mis en place avant l’arrivée au pouvoir de Vučić, mais il l’a porté à son comble. Aujourd’hui, les seuls investissements se font dans les mines : en cinq ans, ils ont été multipliés par six, qu’il s’agisse d’investissements européens ou chinois, avec les mines de cuivre de Bor, rachetées en 2018 par la compagnie Zijing Mining. Localement, ces investissements ont créé quelques emplois, permis d’augmenter un peu les salaires, mais quels bénéfices d’ensemble la société en tire-t-elle ?

Ces investissements miniers ne profitent ni aux travailleurs, ni aux citoyens serbes, alors qu’ils ont de très lourdes conséquences sur l’environnement et la qualité de vie. La Serbie doit gérer des stocks toujours plus importants de déchets souvent toxiques. Aujourd’hui, 90 % de l’ensemble des déchets produits dans le pays proviennent de l’activité minière, et nous n’avons bien sûr presque aucune capacité de traitement. Ces investissements ne font pas avancer le pays. Au contraire, ils le tirent en arrière et le placent en situation de totale dépendance.

 

Comment comprendre la forte répression des mouvements de protestations et les menaces qui vous ont vous-même visées ?

C’est en effet la première fois que le régime réagit avec tant de violence. Il y est contraint car il ne peut pas reculer, pas seulement à cause des accords signés avec Rio Tinto ou avec l’Union européenne, mais aussi de ceux signés avec Mercedes et d’autres entreprises allemandes lors de la venue du chancelier Scholz à Belgrade. Le gouvernement est obligé de passer en force alors que la contestation grandit, avec des manifestations qui s’organisent spontanément dans tout le pays.

 

Ce mouvement de protestation peut-il vraiment faire reculer le gouvernement ?

Non, je ne le crois pas, et ce n’est même pas là qu’est la question. Même si Vučić s’en allait demain, les accords signés continueraient à nous obliger. Il ne suffit pas de dire « non au lithium », il faut passer à l’étape supérieure, c’est-à-dire concevoir un programme politique alternatif de développement de la Serbie, et déjà mettre en place des mécanismes de contrôle des investissements étrangers.

 

Source: l'Humanité

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