Face au changement climatique qui amplifie sécheresses et canicules, comment rendre les cultures agricoles de la région Paca plus résistantes? Dans le Var, les Alpes-Maritimes et au-delà, de nouveaux fruits, légumes et céréales pourraient débarquer dans les champs et dans nos assiettes. Tour d’horizon.
Fruits du dragon, figues de barbarie, super-aubergines… Des tests grandeur nature pour adapter les cultures au réchauffement climatique en Paca

Et si l’adaptation au changement climatique se jouait… dans notre assiette? Ces soixante dernières années, les bouleversements du climat ont en tout cas réduit la croissance de la productivité agricole mondiale d'environ 20%, selon le Haut conseil pour le climat.

Face à ce constat, "il n’est plus possible de définir des orientations [agricoles] de long terme sans intégrer cette vulnérabilité", alertait dès 2022 le Grec-Sud, groupe d’experts pour le climat en Paca, dans un rapport rédigé par 46 spécialistes de l’alimentation et de l’agriculture.

"Toute action conduite en agriculture ne peut s’exonérer de la question: est-ce que ce que je mets en œuvre est adapté au changement climatique?", souligne Florence Poncelet, coordinatrice de l’association Agribio 13 qui mène tout azimut des expérimentations grandeur nature en ce sens.

Dans un climat azuréen et varois qui pourrait être, d’ici à 2100, celui de la Tunisie, il y a urgence à imaginer des cultures plus résistantes.

Exotiques ou oubliées, tour d’horizon de ces variétés qui pourraient bien débarquer dans quelques années sur nos étals.

 

Opération reconquête pour la figue de barbarie

En mai 2024, au sein de l’éco-lieu du Plan-du-pont, à Hyères, à quelques mètres du potager collectif où prospèrent poivrons, fraises et pieds de tomates, des cactus, aux pales numérotées au marqueur, ont pris place. Six variétés européennes de figues de barbarie font l’objet d’un test, mené par Agribio 13.

"Il y a quelques années, j’ai vu que des paysans des Pyrénées orientales, qui s’inquiétaient du réchauffement climatique là-bas et il y a de quoi, en cultivaient, ça m’a mis la puce à l’oreille", détaille Florence Poncelet, coordinatrice de l’association, qui promeut l'agriculture biologique.

Une publication de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture vient corroborer son intérêt pour ce cactée, bien peu consommé par les Français.

"Contrairement à une plante classique qui effectue sa photosynthèse le jour et peut stopper sa maturité en cas de fortes chaleurs, la figue de barbarie l’effectue la nuit", Florence Poncelet, Agribio 13

Peu gourmande en eau donc résistante à la sécheresse et à la chaleur, la plante est reconnue d’intérêt mondiale, cultivée au Brésil, au Chili, en Asie occidentale mais aussi plus près: en Sicile, au Portugal, en Espagne…

"C’est un cactus donc elle accumule de l’eau dans ses raquettes, qu’on appelle des cladodes. Et contrairement à une plante classique, qui effectue sa photosynthèse le jour et peut stopper sa maturité en cas de fortes chaleurs, elle l’effectue la nuit", détaille Florence Poncelet.

Pour mener cette expérimentation, baptisée CHAM’eau (Cactacée à Haut potentiel agronomique pour la maîtrise de l’eau), Agribio 13 a décroché des financements de l’Agence de l’eau. Et planté des figuiers de barbarie à Hyères mais aussi à Mouans-Sartoux, Marseille et dans le Gard pour observer leur évolution in situ.

D’ici à 2026, les premières récoltes permettront de voir si les fruits peuvent trouver leur public, en les proposant notamment à des Amap locales, de sélectionner les variétés les plus goûteuses et les plus résistantes. Mais pas que.

Parmi les autres débouchés envisagés: transformer le fruit en confiture, en vinaigre, utiliser les cladodes, riches en eau, en fourrage pour les éleveurs, le mucilage, un tissu présent dans la plante, pour la filtration des eaux usées ou des compléments alimentaires, les graines pour produire de l’huile prisée en cosmétique.

 

Le précieux fruit du dragon veut creuser son sillon

Mangues, papaye, bananes… Ça et là en Paca, des fruits exotiques s’invitent dans les exploitations agricoles. Pour en cultiver des moins gourmands en eau et ainsi coller aux enjeux climatiques, Agribio 13 a ouvert son projet CHAM’eau au pitaya, plus connu sous le petit nom de fruit du dragon.

"Originaire d’Amérique centrale, ce cactus liane, qui donne un fruit très exotique, est très cultivé en Asie. On a découvert qu’il l’était aussi beaucoup en Espagne, détaille Florence Poncelet. On sait qu’il a une très haute valeur ajoutée car il est vendu autour de 15€ le kg. Ses débouchés méritent d’être explorés."

"Le fruit du dragon nécessite 150 ml d’eau… par an", Florence Poncelet, Agribio 13

"Selon la littérature scientifique, le fruit du dragon nécessite 150 ml d’eau… par an. Voilà qui colle parfaitement aux enjeux d'adaptation mais aussi d'atténuation face au changement climatique", souligne-t-elle.

Pour s’approvisionner, Agribio 13 a commandé des variétés dans les Pouilles, région du Sud de l’Italie et à Grenade, en Espagne. Les voilà plantés à Berre-l’Etang, dans les Bouches-du-Rhône, ou encore à Carqueiranne et à Fréjus dans le Var.

Les débouchés envisagées? "Le fruit, qui en soi est un peu spectaculaire. Mais si on pense que, comme pour la figue de barbarie, le mucilage pourra lui aussi être intéressant", détaille la coordinatrice d’Agribio 13, consciente qu’il faudra avant tout donner envie aux consommateurs d’aller vers ces variétés nouvelles.

"Ce qu’on espère, c’est que les gens comprennent leur intérêt agronomique et qu’ils fassent entrer ces fruits dans leurs habitudes alimentaires."

 

Dans les Alpes-Maritimes, les aubergines en mission adaptation

A Valbonne, ce sont les aubergines, légumes stars de la ratatouille, qui font l’objet d’une expérimentation grandeur nature pour les rendre plus résistantes au climat, actuel et futur.

À la manœuvre, sur un terrain d’1,6 hectare mis à disposition par la municipalité, l’association La Maison des semences paysannes maralpines, qui milite depuis 2018 pour la réintroduction de graines adaptées au terroir méditerranéen, variétés locales oubliées ou semences venues d’ailleurs capables de mieux résister au changement climatique.

En plein cagnard, Sophie Chevillard s’active entre les rangées de pieds d’aubergines, à première vue tout ce qu’il y a de classique. "Ici, j’ai planté 430 pieds mais il y a une trentaine de variétés différentes", détaille cette ex-ingénieure, aujourd’hui cultivatrice de semences à Cagnes et engagée dans l’association.

Violettes longues d’Avignon, de Toulouse, de Valence, monstrueuse géante de New-York, variétés syriennes ou locales cohabitent ici et se croisent, grâce aux insectes pollinisateurs… et aux mains expertes de Sophie.

"C'est un retour au bon sens qui avait cours pendant 8.000 ans avant que 50 ans d’agro industrie ne vienne tout détruire", Sophie Chevillard, Maison des semences maralpines

 

Sur certains pieds, des cordelettes rouges marquent des fleurs. "Ce sont celles que j’ai pollinisées à la main, l’enjeu c’est qu’on garde ces graines là pour les replanter l’année prochaine." Sur d’autres, des tuteurs plantés servent à repérer les plants les plus robustes.

"Ce qu’on fait là, c’est pas prendre un brin d’ADN en labo pour le mettre dans un bout de cellule mais une adaptation qui prend en compte la plante toute entière. Finalement, c’est un retour au bon sens qui avait cours pendant 8.000 ans avant que 50 ans d’agro industrie ne vienne tout détruire, et tout standardiser pour que les légumes rentrent dans des camions", explicite Sophie Chevillard.

Tous les pieds sont arrosés deux fois par semaine. De manière inégale, ils donnent des aubergines tantôt en forme de doigt, tantôt plus rondelettes, très foncées ou violacées striées.

En octobre, lors des Rencontres internationales des semences paysannes, qui réuniront à l’invitation de la Maison des semences maralpines des paysans de tout le bassin méditerranéens et au-delà, une récolte sur la parcelle test aura pour objectif de les savourer, sous la fourchette experte d'une chercheuse.

Dans nos critères de sélection, il y a la capacité d’adaptation mais toujours le goût", souligne Sophie. Car sans lui, impossible pour les agriculteurs qui planteront ces super graines d’écouler correctement leurs récoltes.

 

La réglisse, histoire d’une relocalisation à petits pas

Un peu plus loin mais toujours en Paca, c’est la réglisse qui peu à peu se relocalise. Et ça se passe dans les Bouches-du-Rhône, département du pastis par excellence.

Dès 2019, Agribio s’est penché sur la plante dont la culture locale, longtemps légion dans le coin, a été délocalisée massivement en Asie centrale avec la création du port de Marseille au milieu du XIXe siècle…

"La réglisse répond parfaitement à notre cahier des charges de l’atténuation/adaptation face au réchauffement climatique : elle résiste à la chaleur, à la sécheresse, elle a peu ou pas de ravageurs", détaille Florence Poncelet.

Comme elle aime les sols limoneux, qui laissent s'infiltrer l’eau, la réglisse a ainsi retrouvé sa place deux parcelles de 3 hectares au total, en bord de Durance.

"Une grande entreprise française de spiritueux, bien connue, s’est lancée à nos côtés. Elle dispose aussi de 2 hectares d’essai en Camargue qui ont servi à produire les boutures."

Dans 5 ans, quand les racines seront extraites de terre, il sera temps de voir si la réglisse peut bien reprendre ses quartiers en Provence.

D’ici là, bien d’autres expérimentations pourraient voir le jour pour des assiettes plus adaptées aux réalités de notre climat méditerranéen durablement réchauffé.

"On travaille aussi sur du millet [céréale très consommée en Afrique]. Sur mon terrain, je fais des essais sur du sorgho [céréale cultivée au Soudan ou encore en Inde], des cacahuètes", évoque Maxime Schmitt, coordinateur de la Maison des semences paysannes maralpines.

Tandis qu’Agribio 13 songe aussi au sésame et à l’arachide, en espérant trouver de nouveaux financements pour faire pousser l’agriculture de demain.

 

Source: nice-matin

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