07 Sep 2025
Malec Paoli-Devictor
Analyste environnemental et journaliste
Domestiquer un animal, c’est souvent perçu comme un geste d’affection. Mais cette pratique millénaire prive les animaux de leur vie sauvage et fragilise la biodiversité. Chats, chiens, reptil
Depuis des millénaires, l’Homme tente de maîtriser la nature. Parmi ses proies privilégiées : les animaux. Chats, chiens, rongeurs, reptiles ou même grands félins et éléphants dans les cirques… La domestication, que l’on perçoit souvent comme un geste d’affection ou de compagnonnage, est en réalité une forme de maltraitance structurelle, qui prive les animaux de leur vie sauvage, de leur environnement et de leur nature profonde.

La domestication n’est pas une pratique anodine. Comme le rappellent les chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, elle consiste à exercer un contrôle sur le cycle de reproduction des animaux et à les rendre dépendants de l’homme, un processus qui, pour certaines espèces comme le chien ou le chat, a duré plusieurs millénaires. Mais si l’histoire de la domestication a pu trouver ses racines dans une coopération mutuelle — protection et ressources échangées entre humains et animaux —, la domestication moderne, surtout occidentale, se traduit par un rapport d’exploitation du vivant, souvent au détriment de l’animal et de l’écosystème.
Même les animaux domestiqués que nous croyons les plus inoffensifs conservent des instincts naturels puissants. Le chat, par exemple, est un chasseur inné. Une étude menée en France entre 2015 et 2022 a montré que les chats domestiques tuent une grande quantité de petits mammifères et d’oiseaux, accentuant la pression sur des populations déjà fragiles. Dans certaines îles, comme Kerguelen ou en Nouvelle-Zélande, l’introduction de chats par l’homme a été dévastatrice pour la faune endémique. Les chiens, eux aussi, conservent leur instinct de prédation. Même attachés, ils peuvent perturber la faune sauvage, provoquer le stress, voire la mort des animaux, et participer indirectement à la disparition d’espèces locales. Ces exemples démontrent que la domestication n’élimine pas la nature profonde de l’animal ; elle la contraint.
Le phénomène dépasse les simples prédateurs. La possession d’animaux domestiques représente un impact environnemental majeur. Nourriture, accessoires, soins, déplacements et production de biens pour ces animaux génèrent des ressources énormes et des émissions de gaz à effet de serre considérables. Posséder un chien de taille moyenne équivaut, en termes d’impact environnemental, à rouler en SUV. Multipliez ce chiffre par les millions d’animaux de compagnie dans le monde — 63 millions rien qu’en France — et l’effet sur les écosystèmes devient colossal. Ainsi, en cherchant à combler un désir affectif, l’homme participe sans le vouloir à la destruction de la biodiversité [1].

Il est crucial de distinguer l’apprivoisement de la domestication. Les animaux sauvages apprivoisés, qu’ils soient nés en captivité ou non, restent des animaux sauvages. Les éléphants, grands félins ou ours des cirques n’ont jamais été domestiqués [2]. Les forcer à vivre selon des règles humaines, à exécuter des acrobaties, constitue une forme évidente de maltraitance. Leur instinct de chasse, leur besoin de liberté et leurs comportements innés demeurent intacts, et leur imposer une vie artificielle entraîne stress, agressivité et troubles comportementaux.

Même chez les animaux véritablement domestiqués, la domestication implique souvent un appauvrissement génétique et comportemental par rapport à leurs ancêtres sauvages. Les chiens descendent tous du loup gris, et les chats d’aujourd’hui proviennent du chat ganté, mais leur sélection a réduit leur diversité génétique, et donc leur autonomie et leurs capacités naturelles [3]. En privant un animal de sa vie sauvage, nous le réduisons à un objet de consommation affective ou utilitaire.

Tous les chats domestiques d'aujourd'hui, partout dans le monde, sont issus du chat ganté (Felis lybica), dont les lignées domestiquées au Levant et en Afrique du Nord se sont entrecroisées pendant des millénaires. © EcoView - stock.adobe.com
La solution ? Laisser les animaux en paix. Cesser de confondre affection et possession. Favoriser la cohabitation respectueuse avec les espèces sauvages, préserver leurs habitats naturels et accepter que certains animaux ne sont pas faits pour vivre avec nous. La meilleure protection de la biodiversité passe par le respect de la nature sauvage, non par sa domestication.
En somme, la domestication n’est pas seulement une pratique historique ou culturelle : c’est une forme de maltraitance structurelle qui, sous couvert de compagnonnage, prive les animaux de leur existence propre et met en péril la biodiversité mondiale. Pour les animaux comme pour les écosystèmes, il est grand temps de reconnaître que leur liberté vaut mieux que notre désir de contrôle.
[3] Qu'est-ce que la domestication ?
https://www.mnhn.fr/fr/qu-est-ce-que-la-domestication
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