L’océanologue Ramon Margalef écrivait « il n’y a pas de vie sans eau, et il n’y a pas de vie dans l’eau sans turbulence ».
Dans l’océan, comment le plancton s’est adapté à son environnement turbulent

theconversation. Longtemps, la science a cru que le plancton, ces organismes de petite taille, entre le micron et le centimètre, qui vivent en suspension dans l’eau, était passivement transporté par les courants. En réalité, les différentes adaptations de taille, de forme, de nage, de flottabilité, d’agrégation qu’il a connues sur des centaines de milliers de générations, sont autant de mécanismes permettant de tirer parti de la turbulence de l’eau – c’est-à-dire son agitation – en vue d’un but précis.

Comme le disait l’océanologue Ramon Margalef, « il n’y a pas de vie sans eau, et il n’y a pas de vie dans l’eau sans turbulence ». Avec ses composantes turbulentes, son réseau de relations prédateur-proies et ses interactions entre biogéochimie et organismes vivants, le milieu marin est un système complexe. Ce système complexe et ses aspects chaotiques sont déterminés en partie par la turbulence.

Tentons de comprendre les liens entre cette dernière et le plancton.

Turbulence et plancton, de quoi parle-t-on ?

La turbulence se caractérise par un aspect aléatoire des fluctuations, une imprévisibilité, un chaos apparent, un fort mélange. Son intensité se mesure par son énergie cinétique et également par un nombre sans dimension appelé nombre de Reynolds.

Elle est plus importante en surface, dans les zones côtières, et de moindre intensité dans les océans profonds. Elle permet un transport très efficace de matières, de particules, de nutriments dissous, d’organismes, et est le siège de nombreux échanges physiques, chimiques et biologiques.

Le plancton quant à lui se compose du plancton végétal, appelé phytoplancton, et du plancton animal, le zooplancton.

« Nourrir » le phytoplancton

Le phytoplancton vit en surface des océans, pour capter la lumière qui lui permet de réaliser la photosynthèse. Mais il a besoin pour se développer de sels nutritifs (nitrates, phosphates, silicates, potassium…), lesquels se trouvent dissous dans le milieu. Or ces sels se forment en profondeur, grâce aux organismes du milieu marin qui, en fin de vie, sédimentent vers le fond des océans. Au cours de ce processus, ils constituent des agrégats, composant ce qu’on appelle la neige marine.

Tout au long de cette sédimentation, les bactéries marines présentes en grand nombre dans le milieu (des centaines de milliers de bactéries par millilitre d’eau) vont dégrader cette matière organique et régénérer des sels nutritifs (nitrates, phosphates, silicates…). Ceci explique que la concentration en sels nutritifs augmente avec la profondeur.

Phytoplancton

Or, c’est la turbulence qui permet de remettre en suspension dans la colonne d’eau les sels nutritifs qui sont concentrés au fond de l’océan, et leur permet de remonter à la surface et être absorbées par le phytoplancton.

Cette agitation permet également à ce dernier de rencontrer plus efficacement les sels nutritifs, en créant des zones de concentration, également appelées en anglais « patchiness », ou en français « hétérogénéité ».

Favoriser la reproduction zooplanctonique

Le zooplancton correspond au plancton animal et inclut des méduses, certains crustacés mais aussi bien d’autres organismes, dont les larves de poissons ou d’invertébrés marins. De nombreuses espèces benthiques – c’est-à-dire vivant au fond de la mer – connaissent une phase larvaire zooplanctonique. C’est le cas par exemple des bivalves, des oursins, des vers, des crabes…

La turbulence transporte leurs gamètes et permet à leurs larves de se transporter et de coloniser des espaces avant de se fixer comme les moules, par exemple.

Elle optimise également le taux de rencontres pour les organismes zooplanctoniques. Ceux-ci vivent en effet en suspension dans un milieu en trois dimensions, contrairement à nous qui évoluons sur une surface à deux dimensions. Étant de petite taille et de faible densité volumique, leur rencontre pour la reproduction demande d’utiliser des stratégies utilisant la turbulence.

Le zooplancton peut difficilement rencontrer par hasard un congénère pour se reproduire, ou une proie comme le phytoplancton, pour se nourrir. Le taux de rencontres prédateur-proie, dont dépendent les espèces zooplanctoniques carnivores comme certains copépodes (petits crustacés zooplanctoniques), ou les larves de poisson, est lui aussi fortement influencé par la turbulence ambiante.

Stratégies d’adaptation

Dans le domaine des sciences de la nature et de l’univers, les études se font en général selon plusieurs approches bien séparées : les mesures sur le terrain, appelées « observation », l’expérimental en laboratoire, la théorie, la modélisation numérique.

L’observation est fondamentale, puisqu’elle permet d’obtenir des informations directement dans le milieu. Il a été constaté par exemple que le phytoplancton forme souvent, sous l’effet de la turbulence, des « thin layers », des couches minces où se trouvent accumulées les cellules, situées à faible profondeur.

Autre découverte : le zooplancton tire profit des différences de vitesse de courants selon la verticale, comme c’est le cas dans les estuaires selon la marée, pour migrer verticalement de façon à ne pas être entraîné vers le large.

Certains copépodes nagent en surface pour se nourrir du phytoplancton, mais vont plonger s’ils sentent que le milieu devient trop turbulent.

Enfin, certaines larves de moules, d’huîtres et de bivalves en général vont nager vers le fond lorsqu’ils sentent un niveau de turbulence caractéristique d’un rivage accidenté, rocheux, propice à une fixation.

Turbulence, diatomées et dinoflagellés

Mais les études sur le terrain font également intervenir tellement de paramètres différents qu’il n’est pas aisé de toujours le comprendre. Des expérimentations au laboratoire permettent de choisir des conditions contrôlées, pour tester des hypothèses et explorer l’importance d’un ou deux paramètres.

Par exemple, on peut constater que la turbulence favorise la croissance du phytoplancton, mais que trop de turbulence n’est pas non plus désirable, si bien qu’il existe un optimum de turbulence pour la croissance du phytoplancton.

Image réalisée au microscope électronique à balayage « MEB » d’un dinoflagellé avec son flagelle (à gauche) et d’une diatomée centriste (à droite).

Margalef s’est demandé comment les différentes espèces phytoplanctoniques réagissaient à la turbulence. Chaque espèce, au cours de l’évolution, a choisi une forme spécifique, une taille, une stratégie dans le cycle de vie, permettant d’exploiter les propriétés physico-chimiques de leur environnement. Il s’est intéressé à de grandes classes de phytoplancton, les diatomées d’un côté, et les dinoflagellés de l’autre, ces dernières possédant des capacités natatoires (entre 0,05 et 0,5 mm/s).

Lorsqu’il y a dans le milieu une forte turbulence, l’activité natatoire procurée par les flagelles est de peu d’utilité, et consomme de l’énergie, ce qui fait que les dinoflagellés seront désavantagés face aux diatomées.

Dans les eaux pauvres en nutriments et sujettes à une turbulence d’une intensité limitée, la motilité apportée par les flagelles va donner aux dinoflagellés un avantage sur les diatomées, pour se maintenir en surface, et aussi pour trouver la nourriture. Ce schéma général est bien confirmé par les observations.

Modélisations numériques de la turbulence

Mais les progrès les plus importants obtenus ces dernières années s’appuient sur le numérique, lequel a pris une place de plus en plus importante dans de nombreux domaines scientifiques, incluant les sciences de l’environnement.

Il a notamment permis de modéliser la turbulence, en réalisant ce que l’on appelle des simulations numériques directes des équations de Navier-Stokes. Ces équations établies en 1822 par le Français Henri Navier et complétées par l’Anglais Georges Gabriel Stokes, régissent les écoulements laminaires ou turbulents. Elles décrivent comment évolue la vitesse du fluide sous l’influence des forces de pression et des forces visqueuses.

La simulation numérique de ces équations est une opération qui demande une forte puissance de calcul à mesure que le volume simulé devient important. Il est possible d’y ajouter du plancton virtuel en lui choisissant une forme, sphérique, aplatie, allongée ou encore sous forme d’une fibre flexible. Ou de lui choisir un comportement natatoire selon certaines règles simples, comme nager contre la gravité.

Ces travaux se développent de plus en plus ces dernières années. Les résultats de ces « expérimentations numériques » sont résolument novateurs. Réalisées dans un cadre véritablement interdisciplinaire, avec des collaborations entre numériciens, physiciens et biologistes, elles permettent de tester des hypothèses et de mieux comprendre les choix de l’évolution en relation avec l’environnement turbulent.

COMMENT

B Brigitte Colman

Le rôle des planctons dans la réduction de la quantité de dioxyde de carbone dans le monde est très important, surtout en hiver.

il y a 9 mois

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