L’homme ne se contente plus alors de ce que lui offre la nature, il prend la liberté de la transformer à son avantage.
Rapports à la Terre

Les premières communautés de chasseurs-cueilleurs vivaient suivant le principe d’égalité. Egalité entre les hommes, les ressources du milieu, collectées par le groupe, étaient réparties de façon équitable. Il en résultait une vie sociale harmonieuse. Les anthropologues qui ont observé les tribus primitives très faiblement peuplées le confirment. De leur côté, les paléontologues ne trouvent pas de traces de violences conséquentes sur les squelettes du Paléolithique (deux sur des centaines d’ossements examinés, selon M. Patou-Mathis). 

Egalité envers les autres formes de vie. Pour les chasseurs-cueilleurs, elles étaient « dotées d’humanité », en mesure de ressentir et de communiquer. Chaque existence était donc précieuse, d’autant plus que l’apport du moindre élément contribue à la bonne santé et à l’équilibre de la Terre. En contrepartie, celle-ci fournit les ressources indispensables à la survie de ses composantes. La Terre n’appartenait à personne, elle était à la disposition de toutes les formes de vie. Vouloir asservir le Vivant était considéré comme un crime contre nature par les chasseurs-cueilleurs. Plus tard, il faudrait le payer. Paroles de sauvages ?
 Puis vint l’instauration du principe d’inégalité. Inégalité entre les hommes, certains s’approprient les biens du territoire collectif. Ils en privent leurs semblables qui se trouvent dans l’obligation de travailler pour eux. Inégalité entre les hommes et les autres formes de vie. Nous nous considérons comme des créatures supérieures, pour certains, en relation avec le divin, pour d’autres, la dernière merveille de l’évolution. Dès lors que l’on dispose d’un visa divin ou simplement d’un avantage génétique, il est légitime que l’on prenne possession de la Terre, matière parfois animée, et qu’on l’exploite à notre guise, sans aucune retenue.
 Dans chaque cas de figure, l’homme semble être à la baguette. Raisonnable, libre de ses choix, après mûres réflexions, il a opté pour l’une ou l’autre option. Rien n’est moins assuré pourtant. En fait, c’est le Vivant qui garde la mainmise sur nos comportements. Il manipule la marionnette humaine de la même façon que les autres formes de vie. Quels qu’aient été les siècles et les continents, les très faibles densités ont invariablement déterminé la mise en place du principe d’égalité.

Les violences, ainsi que les premières dérives égocentriques, apparaissent et s’intensifient au rythme des densités (Clastres, Coppens, Carneiro etc.) L’homme ne se contente plus alors de ce que lui offre la nature, il prend la liberté de la transformer à son avantage. Dans les villages temporaires, pourtant assez peu fournis en effectifs, Descola note que chaque famille défriche sa propre parcelle de terrain et s’en réserve les récoltes. Idem quant au gibier que ramène le chasseur parti seul avec sa carabine.
 Le principe d’inégalité a été pleinement instauré en raison d’une progression démographique conséquente lorsque l’agriculture et l’élevage se sont généralisées. Plus question de quelques dérives égocentriques, c’est le climat social qui s’en trouvé profondément et définitivement bouleversé. Il ne faut pas considérer la surpopulation en fonction de nos critères mais à l’aune de ceux du Vivant. Bien que les déséquilibres amorcés au Néolithique aient été peu importants, ils ont alarmé le système de régulation qui fonctionne à tous les niveaux où la vie s’organise. Il veille à ce que chaque unité (cellules, individu, groupe, espèce, écosystème etc.) n’excède ni son espace ni sa fonction. Il a fait s’abattre sur les hommes les fléaux dont il accable les communautés animales en surnombre.
 Les éthologues font état d’un important dérèglement comportemental fait de multiples violences parfois meurtrières puis de stress, d’apathie. Les animaux sont désorientés. Ils ne trouvent plus dans leur répertoire génétique des réponses pour gérer ces situations nouvelles. Favorisées par la promiscuité et des organismes affaiblis par la malnutrition, les épidémies font leur apparition. Les effectifs s’effondrent et se retrouvent adaptés aux ressources du milieu (Calhoun, Goldberg, Clutton etc.) 
Le parallélisme que l’on peut établir avec l’homme est saisissant. Depuis que, par le biais de l’agriculture et de l’élevage, nous ne nous contentons plus des ressources naturellement disponibles, nous déplorons guerres, crimes, maltraitances au quotidien, sans oublier suicides, dépressions, névroses etc. Les épidémies n’ont-elles pas jalonné depuis le parcours de l’humanité ? Nous échouons en tant qu’espèce supérieure. Nous avons su nous montrer suffisamment ingénieux pour surclasser la concurrence mais pas assez pour changer de cap, réparer les dommages causés par notre écrasante expansion, ou encore en finir avec la permanence des guerres et des inégalités.


 En fin de compte, c’est le Vivant qui tire les ficelles. Les chasseurs-cueilleurs n’étaient pas meilleurs ou plus sensés que nous. En raison des faibles densités, ils étaient en quelque sorte contraints à la générosité et au partage comme nous le sommes à multiplier les violences. 
 Obéir au diktat de nos gènes nous donne de surcroit la conviction d’approcher l’excellence. Il s’agit là de l’aspect le plus pernicieux du conditionnement que nous impose le substrat biologique. Nous percevons des activités qui font le quotidien des sociétés animales comme le propre de l’homme et ce qu’il y a de meilleur en lui. Nous sommes convaincus d’être au-dessus des lois qui asservissent les autres espèces.

Les constats du quotidien, aussi alarmants soient-ils, importent peu. Aveuglés par nos gènes, nous voilà devenus suffisants, voire présomptueux. Bien évidemment nous saurons nous tirer d’affaire en toutes circonstances. Nous adhérons inconsciemment au principe de notre propre destruction. Non seulement, le substrat biologique dirige la barque de l’humanité mais, pour notre perte, il nous persuade que nous sommes les capitaines avisés de notre navire.
 Qu’en est-il du savoir ? Aux très faibles densités, correspond une vision identique du monde, basée sur les fondements de l’animisme. On sait peu de chose à propos du Paléolithique. Les préhistoriens (Mohen, Taborin, Laming-Emperaire, Leri-Gourhan etc.) affirment toutefois que les dessins de cette période ont des constantes qui leur sont propres. Selon Testart, « cet art obéit visiblement à quelques grands principes, une sorte de canon qui reste le même sur quelques 22000 ans et de l’Espagne à l’Oural. C’est pourquoi cet art traduit une vision collective du monde. » Remarquons qu’en Occident, le savoir a évolué en fonction des variations démographiques.

La rationalité a progressé au rythme des densités et s’est effondrée de façon brutale lors des deux grandes crises dues aux pestes. Du jour au lendemain, on a renié ce qu’on avait adulé. La raison, outil fiable en matière de connaissance devient un mirage que nous envoie le démon. Elle n’a d’autre but que d’encourager les hérésies. Il est à noter que le facteur démographique influe, non seulement sur les contenus mais également sur la forme, sur la façon dont les messages sont exprimés. 

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