Depuis quelques années, des incendies dévastateurs se multiplient dans le monde, appelés les méga-feux. La Croatie n'y échappe pas. S’ils sont bien souvent d’origine humaine, la hausse des températures, la sécheresse et les vents violents étroitement liés au changement climatique compliquent la tâche des pompiers. À la recherche de stratégies plus efficaces pour en venir à bout, le pays innove en misant sur les nouvelles technologies. Reportage près de Split, sur la côte adriatique.
En Croatie, les nouvelles technologies pour prévenir les méga-feux

TikTok, caméras vidéo, drones militaires, bases de données météorologiques : le centre de commandement croate des opérations de lutte contre les incendies a fait de la transmission rapide d’informations en temps réel une priorité. Mais dans la plus grande discrétion, puisque la localisation de cette salle de contrôle laisse le GPS perplexe. Son emplacement n’a toutefois pas été laissé au hasard.

« C’est la partie côtière du pays qui est la plus affectée par les incendies. C’est donc là qu’on a installé le centre de commandement, nous explique Joško Grančić, chef adjoint de l'association de la côte croate des pompiers (Hrvatska Vatrogasna Zajednica, HVZ). De juin à septembre, c'est officiellement la saison des feux en Croatie. Tout se passe ici. Notre travail est de coordonner l'action de l’ensemble des pompiers, en collaborant avec l'armée croate, la police et la sécurité civile. » 

Sur le grand écran central, la carte de la Croatie avec ses 1 200 îles, îlots et criques : près de 150 caméras, qui surveillent la situation en temps réel, y apparaissent en vert. En rouge, on distingue les équipements de communication radio. Les signaux bleus sont les positions GPS des véhicules terrestres des pompiers. Les avions, basés à Zadar et capables de décoller rapidement, sont également visibles. Les drones militaires offrent, eux, une vue sur la situation dans son ensemble. En tout, plus de 4 000 traceurs GPS, ainsi que des systèmes d’information géographique pour la cartographie des zones sinistrées, permettent la mise en place d'une stratégie au sol ou dans les airs. « Attaquer chaque feu avec toutes les forces disponibles », c’est la stratégie choisie par les pompiers croates.

L’espace d’un instant, on pourrait se croire dans un immense jeu de société. Ce serait oublier un peu vite que l’adversaire est bien réel et surtout redoutable. En très peu de temps, les flammes peuvent devenir incontrôlables, ravager des surfaces de plusieurs milliers d’hectares et mettre en danger les habitants et touristes, nombreux dans la région.

Un appel radio retentit. Un incendie vient de se déclarer. « Nous ne savons pas encore ce qui l’a déclenché, ce sera au ministère de l'Intérieur d'enquêter. Mais d'après les informations recueillies sur le terrain, c'est assez important, cela se situe sur une zone difficile, un îlot. Il n’y a pas de camions sur place. Un avion va donc décoller. Il sera là-bas dans 10 minutes, nous explique Tomislav Blažević, qui travaille au centre de commandement depuis deux ans. Nous pouvons planifier combien de temps, il faudra à cet avion pour arriver, lâcher l’eau et refaire un tour. Peut-être une minute ou moins parce que c'est près de la mer ».

Des données ultra-précises des tendances pour faciliter les prises de décisions 

Le vent, s’il est bon pour la navigation, est redoutable quand on lutte contre les incendies. Il favorise le dessèchement des végétaux et des sols, augmente les risques de départs de feux et accélère la migration d’un incendie. De plus, s’il est très fort, les avions ne peuvent pas décoller et intervenir. Et la présence des montagnes sur le flan du littoral n’aide pas. Des bases de données météorologiques ultra-précises sont donc disponibles.

« Les prévisions au niveau national ne sont pas appropriées. Nous demandons donc aux services météorologiques de faire des prévisions différentes sur des micro-emplacements », précise Tomislav Blažević. « Les précédents incendies de forêt survenus en Croatie sont étudiés de près afin d'identifier les tendances et les schémas courants d'incendie. Les données ainsi collectées permettent d'améliorer la surveillance du danger », confirme Petra Sviličić, agrométéorologue au service météorologique et hydrologique de Zagreb (Croatian Meteorological and Hydrological Service) et de lancer les alertes plus rapidement.

Les réseaux sociaux utiles pour donner l'alerte

La période estivale est la plus à risque. Et la plus surveillée en raison du très grand nombre de touristes qui arrivent. En juillet 2023, un incendie majeur s'est déployé à Ciovo, tout près de Split. « La toute première alerte a été donnée par des images issues du réseau social TikTok vers 15h29, corroborées par les fumées visibles grâce aux caméras de surveillance. Le 27 juillet à 15h31, les pompiers avaient donc connaissance d’un départ de feu. L’envoi de deux Canadairs CL-415 a été acté à 15h35. Des forces supplémentaires ont été demandées au comté voisin à 15h36 », détaille Marin Buble, pompier depuis 24 ans, chef de la brigade de Trogir qui a coordonné l’ensemble des équipes terrestres de pompiers. 

« Les drones, équipés de caméras thermiques, permettent aux équipes d’évaluer la dangerosité des zones, de localiser des personnes prises au piège », détaille Marin Buble. Il communique avec eux via différentes fréquences radio. « C'est important de bien communiquer pour donner sa position ou demander du renfort, et aussi avec les gars dans les avions. Nous devons rester ensemble », explique fièrement Marin, 21 ans, pompier volontaire à Slatine un village sur l’île de Ciovo.

« L'été dernier, c'était ma première saison de lutte contre les incendies. Au premier abord, on ne sait pas à quoi s'attendre. On a peur à certains moments. Mais on fait confiance à ses collègues. Ce qui était compliqué, c'était le terrain. Il fallait marcher trois ou quatre kilomètres pour combattre les flammes. Le vent, aussi, envenimait la situation », se remémore stoïquement Marin qui a pu profiter de nouveaux véhicules plus adaptés aux interventions en forêts financés par le projet « Upgrading of the Republic of Croatia's fire-brigade » du Fonds européen de développement régional (Feder). Au total, 94 camions avec les équipements technologiques les plus récents ont été déployés sur le territoire croate.

Au bout de six jours de combat, 603 hectares d'oliviers et de pins, particulièrement inflammables, ont brûlé sur l’île de Ciovo. Mais il n’y a pas eu besoin de procéder à des évacuations et surtout, il n’y a eu aucune victime civile et aucun pompier blessé.

Augmenter les moyens

Le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) estime que les « méga-feux » augmenteront de 50 % d'ici à la fin du siècle. Mieux prédire le comportement des feux de forêt représente donc un enjeu de taille où toutes les innovations technologiques seront les bienvenues. L'Union européenne s'est dans ce cadre mis en ordre de bataille avec des financements adéquats.

Le mécanisme de protection civile a été renforcé en 2019 par rescEU, une flotte européenne qui comprend des avions et des hélicoptères de lutte contre les incendies. La Croatie en fait partie. « En 2021, nous avons envoyé un Canadair en Turquie, en Bosnie-Herzégovine. En 2022, nous avons aussi aidé la République de Slovénie. Et la saison dernière, nous avons envoyé notre Canadair et son équipe trois fois en Grèce », détaille Joško Grančić, chef adjoint de l'association de la côte croate des pompiers (HVZ).

Source: rfi

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