Le Parlement européen a déclaré que la production de foie gras respectait les critères de bien-être animal dans son nouveau rapport, alors qu’il demandait auparavant l’interdiction du gavage, qualifié de « cruel et inutile ». EURACTIV se penche sur ce qui se cache derrière ce changement de position.
Foie gras : les raisons de la volte-face du Parlement européen

Le foie gras, est une spécialité alimentaire fabriquée à partir du foie d’un canard ou d’une oie qui a été gavé via un processus appelé « gavage », ce qui entraîne par la suite une hypertrophie anormale du foie de l’animal.

Le gavage de ces animaux est très controversé, les militants et les experts du bien-être animal estimant que cette pratique est cruelle. Par exemple, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a condamné le gavage, déclarant qu’il soulève « de graves problèmes de bien-être animal ».

Malgré cela, le Parlement européen a décidé d’adopter, mardi dernier (15 février), et ce à une large majorité, son rapport d’initiative sur le bien-être animal, qui comprend une disposition stipulant que la production de foie gras est « basée sur des procédures d’élevage qui respectent les critères de bien-être animal ».

Ce choix se justifie par le fait qu’elle se déroule principalement dans des exploitations familiales, où les volailles « passent 90 % de leur vie en plein air, et où la phase d’engraissement, qui dure entre 10 et 12 jours en moyenne à raison de deux repas par jour, respecte les paramètres biologiques des animaux », indique le rapport.

Cette décision représente un virage pour les députés européens, qui avaient déjà demandé une interdiction totale du gavage seulement un an auparavant dans leur rapport End the Cage Age (Pour une nouvelle ère sans cage) publié en juin 2021.

« [Le Parlement] invite la Commission à présenter des propositions visant à interdire le gavage cruel et inutile des canards et des oies pour la production de foie gras », pouvait-on alors lire dans le rapport de 2021.

Les aspects juridiques

La production de foie gras se trouve dans une situation inhabituelle au regard de la réglementation européenne, étant donné qu’elle est techniquement interdite dans l’UE en vertu de l’article 3 de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages.

La production de foie gras est interdite dans plusieurs pays et États membres de l’UE, dont la République tchèque, l’Italie et l’Allemagne, tandis que le Royaume-Uni envisage d’aller plus loin et d’interdire purement et simplement la vente de foie gras.

Toutefois, cinq États membres de l’UE — le plus notoire d’entre eux étant la France — bénéficient d’une dérogation spéciale à cette législation européenne en raison de leurs liens traditionnels avec cette denrée de luxe, car ils considèrent sa production comme un élément de patrimoine régional.

Cette exception est établie dans les traités fondateurs, à l’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui stipule que les politiques agricoles de l’UE « tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».

Comment en est-on arrivé là  ?

Le foie gras n’était pas mentionné dans le projet initial du rapport sur le bien-être animal, rédigé par Jérémy Decerle, eurodéputé libéral français et également éleveur, qui avait été présenté pour la première fois à la commission de l’agriculture du Parlement européen (AGRI) en juin 2021.

Cependant, un amendement conjoint du rapporteur et d’une autre eurodéputée libérale française, Irène Tolleret, a ajouté la référence à cet aliment controversé.

Selon M. Decerle, il a toujours eu l’intention d’ajouter cet amendement, mais il n’a pas pu le faire dans le premier texte, faute de place.

« Cependant, j’ai toujours eu l’idée d’ajouter l’amendement sur le foie gras dès le début », a-t-il confirmé à EURACTIV.

En effet, il est préférable d’aborder la question dans le rapport de « manière pragmatique », soulignant que le secteur adhère aux règles strictes de l’UE en matière de bien-être animal et que les eurodéputés « ne devraient pas avoir peur » d’aborder le sujet par crainte de retombées négatives.

Selon la base de données Integrity Watch EU, les deux eurodéputés ont rencontré un certain nombre de lobbyistes au mois d’avril, juste avant la rédaction du rapport.

Par exemple, M. Decerle a rencontré le Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras (CIFOG) le 19 avril 2021.

De son côté, Mme Tolleret a rencontré cinq chambres d’agriculture françaises, dont celles de régions reconnues pour leur foie gras comme l’Ariège, la Lozère et le Gers, tout au long du mois d’avril 2021. Elle a également rencontré la FNSEA, le lobby agricole français.

Interrogé sur les discussions au cours de ces réunions, M. Decerle a déclaré qu’il avait rencontré une série d’acteurs, y compris des ONG, au cours de la même période pour discuter des questions de bien-être animal, et que les discussions n’étaient « pas différentes des autres ».

En effet, selon la base de données, l’eurodéputé a rencontré les groupes de campagne Eurogroup for Animals et Four Paws afin de discuter du bien-être animal à peu près à la même période.

Un représentant de Mme Tolleret a indiqué à EURACTIV qu’ils n’avaient pas d’autres commentaires et qu’ils « ne se souviennent pas de ce qui a été abordé ou n’ont pas de compte-rendu de ces réunions » étant donné qu’elles ont eu lieu il y a longtemps.

D’antis à pro-foie gras

Dans le but de réconcilier les différentes positions du Parlement sur les deux rapports, l’eurodéputé écologiste portugais Francisco Guerreiro s’est battu sans succès pour que la formulation du rapport soit modifiée afin d’inclure une réitération de son appel à l’interdiction du gavage.

Dans le même temps, un certain nombre d’eurodéputés qui avaient voté pour le rapport End the Cage Age ont apparemment changé d’avis, choisissant de ne pas soutenir une modification de la formulation du rapport, comme par exemple Marlene Mortler du PPE et l’eurodéputé de gauche Mick Wallace.

Interrogé sur sa position sur la question, le président de la commission agricole et rapporteur du rapport End the Cage Age, Norbert Lins, a expliqué à EURACTIV qu’il s’était abstenu de voter sur les amendements spécifiques au foie gras sur les deux rapports en raison du respect pour les traditions culturelles.

« Les produits agricoles et leur production artisanale sont au cœur de notre culture européenne et font partie de notre patrimoine », a-t-il déclaré.

Il a toutefois concédé que ces traditions « doivent évoluer vers des critères de durabilité et de bien-être animal plus élevés ». « Je veux soutenir les agriculteurs et les producteurs dans cette transformation afin de maintenir notre patrimoine culturel plutôt que de les mettre au pilori », a-t-il continué.

S’il n’a pas pris position sur le foie gras lors du vote en plénière la semaine dernière, le compte rendu de vote (p. 60, amendement 320) montre qu’il a voté en faveur de l’ajout initial de l’amendement de M. Decerle et Mme Tolleret voté en commission AGRI en octobre.

Pourquoi ce revirement  ?

Pour M. Decerle, ce changement de position témoigne simplement de l’acceptation par les eurodéputés d’une position plus pragmatique sur la question.

« Le Parlement comprend mieux la question — il n’a pas adopté une position positive ou négative, mais une position réaliste qui reflète la réalité de la production », a-t-il déclaré.

Cependant, pour M. Guerreiro, le fait que la mention du foie gras ait été incluse dans le texte n’est qu’« un exemple de plus de la nature non scientifique, erronée et absurde de ce rapport ».

« Comment est-il possible d’affirmer que le fait de gaver des animaux en leur enfonçant des tubes dans la gorge pour leur faire ingurgiter des quantités non désirées de nourriture sont des “procédures qui respectent le bien-être des animaux” et “leurs paramètres biologiques” ? », s’est-il interrogé.

La réaction des défenseurs du bien-être animal a été prévisible sur cette initiative.

Faisant référence au changement d’avis du Parlement, Olga Kikou, responsable du groupe de campagne Compassion in World Farming, s’est demandée comment les représentants élus peuvent avoir la confiance des citoyens s’ils « ne peuvent même pas faire leurs devoirs ».

« Ils perdent indubitablement toute crédibilité si, huit mois seulement après la résolution de juin, dans laquelle ils demandaient l’interdiction de la production de foie gras, ils votent un rapport qui entérine cette pratique cruelle », a-t-elle averti.

Elle a ajouté que le texte voté va jusqu’à définir la production de foie gras comme étant « dans le respect des paramètres biologiques des animaux », ignorant complètement les faits scientifiques et les règles des États membres de l’UE qui ont déjà interdit cette pratique au niveau national.

Les réactions des éleveurs

Pour leur part, Euro Foie Gras et l’association des agriculteurs de l’UE COPA-COGECA ont salué l’affirmation selon laquelle la production de foie gras respecte les critères de bien-être animal.

Christophe Barrailh, président d’Euro Foie Gras, a expliqué à EURACTIV que le secteur méritait d’être mentionné dans le rapport étant donné son engagement envers « la qualité des aliments, la santé et le bien-être des animaux », ainsi que sa contribution à la vie des zones rurales.

« Le secteur répond à toutes les exigences de l’UE en matière de bien-être animal, et va même au-delà avec sa propre charte européenne, ainsi que diverses initiatives nationales visant à optimiser les conditions d’élevage des canards et des oies », a-t-il souligné.

Selon M. Barrailh, le secteur souffre d’un « déficit de connaissances » et d’un « manque de compréhension » qui a conduit à « des idées fausses et des préjugés alimentés par les stéréotypes erronés des militants défenseurs des animaux ».

« Les oiseaux migrateurs stockent naturellement de la graisse dans leur foie avant leur voyage », a-t-il expliqué, ajoutant que l’engraissement des oies et des canards pour la production de foie gras est une « simple reproduction de cette aptitude physiologique naturelle, non pathologique et totalement réversible ».

Source: euractiv.fr

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