C’est une rencontre qui suscite pêle-mêle espoir, confusion et défiance. Un de ces participants déclarait même le 4 avril dernier, « je crains que bien des choses […] soient déjà réglées en amont de ce débat ».
Mine de lithium dans l’Allier : un débat déjà tranché ?

Ce débat, qui se tient depuis le 11 mars et s’achèvera le 31 juillet 2024, c’est celui de la Commission Nationale du débat public (CNDP) sur le projet de mine de lithium à Échassières, dans l’Allier. Sous fond de tension entre opposants et partisans du projet, il mobilise différents imaginaires sur la transition énergétique.

Car ce projet de mine, baptisé « EMILI » par l’entreprise française Imerys qui en est à l’origine, vise à créer la première mine de lithium en France, un matériau indispensable pour la fabrication de voitures électriques. Avec un investissement d’un milliard d’euros, il prévoit une production annuelle de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium à partir de 2028, en utilisant une méthode d’extraction souterraine.

 Fourni par l'auteur 

Un débat dans une atmosphère tendue

Sans surprise, avec de tels enjeux, les discussions se déroulent parfois dans une atmosphère tendue où les positions paraissent difficilement conciliables. Mais le débat n’en demeure pas moins fréquenté avec des salles souvent pleines et environ 150 personnes qui suivent régulièrement en direct les réunions par vidéo.

Malgré le travail préparatoire de recherche et d’organisation effectué par la CNDP en amont du débat, plusieurs vices de forme ont cependant été relevés par les participants durant les réunions.

D’une part, la communication d’informations importantes est souvent renvoyée à plus tard. C’est le cas par exemple de l’étude d’impact sur l’eau qui n’a été révélé que tardivement dans le débat.

Lors de la réunion du 26 mars, un participant se plaignait ainsi :

    « Ce n’est pas la première fois que cela se produit dans ce débat public : on nous dit que nous aurons les éléments plus tard. Alors, à quel moment la décision sera-t-elle prise ? Est-ce qu’il faudra attendre que toutes les études, qu’elles soient sociales ou environnementales, soient terminées après que les décisions et les orientations du projet soient déjà prises ? […] Peut-être aurait-il fallu attendre d’avoir tous les éléments pour mener ce débat public. »

Imerys s’est alors défendu en invoquant le stade peu avancé du projet qui justifie de ne pas mener les études demandées trop en amont.

Certains ont pu également regretter la nature peu interactive des échanges. Le manque de micros a limité les interactions directes, et les aspects techniques de la retransmission vidéo ont empêché des joutes verbales intéressantes. Autre frustration relevée, les tentatives d’approfondissement des discussions par les opposants ont souvent été renvoyées à plus tard, sous prétexte que ce n’était pas le sujet du moment.

Lors de la réunion du 4 avril 2024, en début de séance, des tracts ont ainsi été jetés dans la salle par les opposants au projet. On pouvait y lire une critique du débat de la CNDP comme une forme de « démocratisme appliqué » visant à désamorcer les conflits réels et vivants.

Dans quelle mesure avons-nous besoin du lithium ?

Si la forme de ce débat a donc pu susciter quelques tensions, celles-ci n’ont pas manqué d’émerger non plus dans le fonds des discussions. Les opposants et défenseurs du projet se sont notamment affrontés sur les questions des besoins en matériaux, de sobriété, de dépendance aux importations, d’électrification des transports, etc.

 Tract distribué lors du débat. Fourni par l'auteur 

L’enjeu des mobilités de demain a tout particulièrement pris une place centrale dans les discussions car contrairement à d’autres métaux aux usages multiples, le lithium est principalement utilisé pour les batteries des véhicules électriques. La question de l’extraction du lithium est de ce fait étroitement liée à la place de la voiture individuelle dans nos sociétés et à nos modes de mobilité.

Des associations locales de citoyens, à l’instar de Stop Mines 03 ou Préservons la forêt des Colettes, farouchement opposées au projet, ont à cet égard mis en doute le bien-fondé de la mobilité électrique et les risques environnementaux de l’extraction minière. D’autres voix comme celle des représentants de l’association NegaWatt conditionnent l’exploitation du lithium à la mise en place de mesures de sobriété.

Selon cette perspective, l’exploitation du lithium devrait se conjuguer à une demande et une utilisation raisonnée des matériaux pour ne pas compromettre la transition énergétique. Ces opposants insistent également sur la nécessité de ne pas résumer la transition écologique à la seule question de la réduction des émissions de carbone. L’impact sur l’eau et sur la biodiversité de l’activité minière est à ce titre largement mentionné par les opposants.

Du côté d’Imerys et des citoyens favorables au projet, on affirme que, que ce soit avec sobriété ou sans sobriété, l’exploitation du lithium sera nécessaire. Pour eux, les besoins sont avérés et ouvrir une mine de lithium en France doit se faire au plus tôt compte tenu de l’horizon temporel des projets miniers (plus de dix ans sont nécessaires entre la découverte d’un gisement et le début de l’exploitation d’une mine). Il est aussi impératif, ajoutent-ils, d’électrifier nos transports afin d’espérer atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés dans le cadre du Pacte Vert Européen pour lutter contre le changement climatique.

Alan Parte, représentant d’Imerys affirme ainsi que « 30 % des émissions européennes viennent des modes de transport et l’électrification est la seule alternative crédible. » Pour répondre aux opposants qui invoquent la sobriété, il ajoute « L’électrification des mobilités n’est pas antinomique avec la reconsidération de nos modes de consommation et de transport, de la taille des véhicules ».

La question de la taille des véhicules dans lesquels le lithium d’Imerys sera utilisé est un autre point sensible du débat. Un rapport de l’ONG WWF France publié le 9 avril 2023 est notamment beaucoup cité par les opposants aux projets car il démontre que les SUV électriques représentent une menace pour la transition énergétique, la construction d’un SUV équivalant à celle de cinq voitures citadines.

Il s’agissait même d’une des premières questions posées aux représentants d’Imerys lors de l’ouverture du débat public le 11 mars. À la question d’un membre de l’association StopMine03, « Pouvez-vous vous engager à ce que cette production de lithium ne soit pas engagée dans un circuit de consommation qui soit celui des véhicules SUV ? », Imerys répond alors qu’elle ne peut prendre un tel engagement.

On touche là au cœur du problème pour les opposants. Si Imerys défend la faisabilité de la transition énergétique à travers l’exploitation de la mine d’Echassières, le lithium qu’elle extrait ne peut, pour les opposants au projet, finir dans des SUV. Car si la demande en lithium explose du fait du poids des véhicules électriques trop important alors nous aurons trop peu de lithium pour électrifier le parc automobile.

Extrait du débat public évoquant la question des mobilités de demain.

La dimension internationale du débat complexifie davantage les choses

Si ce dilemme n’est pas tranché, ces discussions entre opposants et promoteurs du projet sont, elles, fort scrutées, notamment au niveau européen, crucial à prendre en compte pour comprendre ce qui se joue à Échassières.

Car le projet d’Imerys intervient dans un contexte où la sécurité des approvisionnements en minerais critiques est devenue une priorité stratégique en Europe et en France pour assurer la faisabilité de la transition énergétique. En exploitant le lithium sur son sol, la France diminuerait ainsi le risque de tension des approvisionnements sur ce métal qu’elle importe à 100 %.

Le projet d’Imerys apparaît donc comme un dossier qui pourrait faire jurisprudence et déterminer le futur de l’industrie minière européenne. Cette dernière axe depuis longtemps sa communication sur son rôle essentiel pour extraire les métaux nécessaires à la fabrication des technologies bas-carbone (batteries, éoliennes, etc.). En Europe, les organisations professionnelles à l’instar d’Euromines ont régulièrement alerté sur la dépendance aux importations de l’Europe à l’égard de ses métaux qui devraient s’accentuer avec l’explosion de la demande dans les années à venir. C’est un discours qui a largement été relayé par les organisations internationales. Dans son dernier rapport, L’Agence Internationale de l’Énergie met par exemple en garde sur le fait que les projets d’exploitation en cours ne pourront pas répondre à toute la demande en lithium à mesure que l’électrification des transports s’accélère.

« Pour adresser le changement climatique et réduire notre consommation d’énergie fossile pétrolière, charbonnière et gazière, nous avons besoin d’énormes quantités de métaux et de minéraux. Une partie sera obtenue grâce au commerce, mais une autre partie importante devra venir de l’exploitation minière nationale au sein de l’UE » déclare de son côté Jan Moström, président d’Euromines.

Malgré la fermeture de la majorité de ses mines à la fin des années 1990, la France a joué un rôle majeur dans la promotion d’une relance de l’exploitation minière en Europe, poussée par un appel à une approche plus interventionniste pour sécuriser son accès aux matières premières critiques.

En janvier 2022 l’ancien patron de PSA Peugeot-Citroën, Philippe Varin, remettait par exemple pour cela un rapport au gouvernement français sur la « sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales ». Il y préconisait que l’Europe exploite toutes ses ressources minérales nationales de manière « responsable » pour réduire les dépendances stratégiques et soutenir la transition verte.

Enfin, la régulation européenne sur les matières premières critiques (CRMA) proposée par la Commission européenne dès mars 2023 fixait elle l’objectif suivant : 10 % des matières premières consommées en Europe devront être extraites sur le sol européen.

Cette législation a le potentiel d’accélérer le développement de l’industrie minière en Europe après des décennies de léthargie. Car elle vise à désigner certains « projets stratégiques » comme étant d’un « intérêt public supérieur », ce qui, en plus de faciliter l’accès à des financements publics, accélérerait le processus d’autorisation en contournant potentiellement certaines garanties environnementales. Cette notion de projet stratégique pourrait de surcroît autoriser les entreprises à passer outre les préoccupations environnementales et sociales.

Bruno Le Maire a annoncé l’application CRMA à l’échelle nationale en avril 2024. Il assure que cette simplification « permettra de diviser par deux les délais d’instruction et de gagner plus de 6 mois en moyenne par projet. » Bien que la future mine d’Imerys ne soit pas désignée (pour l’instant) comme projet stratégique, le débat offre un avant-goût des tensions qui traverseront les futures ouvertures de mines en Europe.

Le 7 juillet dernier, cependant, alors que la France entière avait les yeux rivés sur les résultats des élections législatives anticipées, un décret annonçait que que le projet de mine de lithium était « d'intérêt national majeur » (PINM). Ce régime dérogatoire issu de la loi « Industrie Verte » de 2023 permet notamment à l'État (et non à la mairie) de délivrer un permis de construire, et d'accélérer la mise en conformité, quelle que soit l'intensité ou la légitimité des contestations.

Aligné sur ses engagements européens, l’État français apporte ainsi un soutien ferme au projet Imerys, qui se présente comme un élément clé de la relance de l’industrie minière en Europe.

Ce soutien public pose néanmoins la question de l’utilité du débat avec une multitude d’enjeux qui dépasse largement le cadre du projet. S’exprimant à ce sujet, Antoine Gatet, représentant de France Nature Environnement, se montrait quelque peu amer :

« J’aurais quand même préféré, je le dis parce que ça me choque à chaque fois, que le ministre de l’Industrie n’annonce pas l’ouverture d’une usine de lithium avant de faire le débat public. C’est très difficile pour nous de pouvoir faire vivre le débat démocratique quand les acteurs publics ont déjà annoncé que de toute façon on allait le faire. […] »

 Source: theconversation.com

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