À partir du 9 mai et pour deux semaines, des délégations du monde entier se réunissent à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour lutter contre la désertification. Il y a urgence. Jusqu’à 40 % des sols aujourd’hui sont dégradés.
Trois milliards d’humains sont affectés par la désertification

La tempête de sable qui frappe l’Irak est un exemple des conséquences de la désertification. Partout dans le monde, le désert avance de manière inexorable. Ses nuages orangés ensevelissent les villes. On manque d’eau et les sols se dégradent. En Irak, 5 000 personnes ont été hospitalisées la semaine dernière pour des troubles respiratoires. Le lac Sawa a complètement disparu et le pays devrait connaître « 272 jours de poussière » par an durant les deux prochaines décennies.

Au même moment, le 5 mai, on annonçait aussi en Éthiopie « la pire sécheresse jamais vécue ». 20 millions de personnes sont directement impactées dans la Corne de l’Afrique par la baisse des précipitations. 5 % de la population éthiopienne se retrouve en situation de grave insécurité alimentaire. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), la fréquence de ces événements dans l’est de l’Afrique a doublé depuis 2005.

C’est dans ce contexte inquiétant que se réunissent à Abidjan, en Côte d’Ivoire, à partir du lundi 9 mai et pour deux semaines, les 195 pays membres de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Les différentes délégations vont tenter de se mettre d’accord sur une série d’objectifs avec l’ambition de stopper l’accroissement de ce phénomène aggravé par les activités humaines et le réchauffement climatique.

Jusqu’à 40 % des sols de la planète sont dégradés

De l’Afrique Subsaharienne, à l’Asie centrale en passant par le Proche-Orient, des centaines de millions de personnes sont aujourd’hui touchées par la désertification. Selon l’ONU, 3,2 milliards d’êtres humains sont affectés à court terme. « Ce sont les populations les plus pauvres et les plus marginalisées, vivant dans les zones les plus vulnérables », précise l’organisation internationale.

La grande muraille verte. En quinze ans, seulement 10 à 15 % des objectifs de la muraille verte entre Dakar et Djibouti ont été atteints, notamment faute de financements. Great green wall

Dans un rapport publié en avril, l’ONU estime que 70 % des terres émergées ont déjà été transformées par les activités humaines, et jusqu’à 40 % sont dégradées. En cause ? La déforestation, les monocultures intensives, l’exploitation minière et l’urbanisation. « Si les tendances actuelles persistent, le risque de changements environnementaux généralisés, abrupts ou irréversibles augmentera », préviennent les auteurs du rapport. Le 26 avril, on apprenait justement que l’humanité avait dépassé une nouvelle limite planétaire, l’humidité des sols, du fait de leur érosion, de leur artificialisation et de la sécheresse.

Autant d’enjeux que devra traiter la Convention des Nations unies ces prochains jours. Mais les obstacles sont nombreux. À l’inverse des COP sur le climat et sur la biodiversité, cette Convention fait figure de parent pauvre de la diplomatie internationale. Ses thèmes peinent à se retrouver sur le devant de la scène et à mobiliser l’opinion publique.

Pourtant, il y a urgence. L’équivalent de la surface du Bénin, soit 12 millions d’hectares, part en poussière chaque année. Si nous ne modifions pas nos modes de consommation et de production, il faut s’attendre à ce qu’en 2050 l’équivalent de la surface du continent sud-américain soit dégradé. Avec tout le cercle vicieux que cela peut entraîner : pénurie alimentaire, migration et guerre. Selon une étude du Programme des Nations unies pour l’environnement, 40 % des conflits de ces dernières années sont liés à la dégradation des sols et à la rareté des ressources naturelles.

« Les pays du Nord ne voulaient pas de cette Convention »

« Cette Convention est indispensable, mais elle manque clairement de notoriété, dit à Reporterre, Patrice Burger, le président de l’association de solidarité internationale Cari. On ne pourra pas lutter contre le réchauffement climatique ou en faveur de la biodiversité sans protéger les sols. Après l’océan, le sol est la deuxième réserve de stockage de carbone sur notre planète. Il y a aussi plus de biodiversité dans la terre que partout ailleurs. On a trop longtemps passé sous silence ces enjeux. »

Encore aujourd’hui, cette Convention sur la désertification ne soulève pas les foules. On attend seulement 25 chefs d’État durant les deux prochaines semaines. À Glasgow, en novembre dernier lors de la COP26 sur le climat, on en avait compté 120. Après trois ans de pause suite à la pandémie de Covid-19, le cycle des négociations reprend son cours, mais au ralenti. Emmanuel Macron n’a pas encore dit s’il allait être présent.

La grande muraille verte. Great green wall

« Il y a beaucoup de préjugés sur ces questions, insiste Patrice Burger. Dans l’imaginaire occidental, la désertification ne nous concerne pas, elle ne toucherait que les déserts, les zones arides, avec leurs dunes et leurs palmiers. Alors que cela n’a rien à voir. Nous faisons face à un processus global de dégradation des terres partout sur notre planète. »

La marginalisation de cette Convention s’explique aussi par son histoire. « Elle est née en même temps que les autres COP, au sommet de la Terre, à Rio en 1992 », raconte Patrice Burger. Mais dès son origine, elle n’a pas fait unanimité. « Elle a été négociée au dernier moment par les Africains, ils l’ont arrachée aux pays du Nord qui n’en voulaient pas. » Il a fallu attendre 1996 et sa ratification par cinquante premiers États pour qu’elle se mette réellement en œuvre.

« Il faut développer massivement l’agroécologie »

Deux raisons expliquent cette frilosité : la lutte contre la désertification coûte cher et les premiers pays concernés vivent déjà sous perfusion de l’aide internationale. Or un financement massif par les pays du Nord est indispensable pour réaliser les programmes de restauration des sols et de reforestation.

La ferme agroécologique Buzurna Juzurna, à Beyrouth (Liban). © Inès Gil/Reporterre

La lutte contre la désertification vient aussi frontalement remettre en question le modèle agricole intensif. Certains préfèrent fermer les yeux, mais comme le rappelle le Mauritanien Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, « jusqu’à 70 % de l’eau utilisée l’est pour les besoins agricoles et 80 % de la déforestation est due à l’agriculture ».

Pour Patrice Burger, les mauvaises pratiques agricoles sont responsables en grande partie de la dégradation des sols, en laissant notamment la terre à nu et en usant de produits chimiques qui tuent le vivant. « Face à la désertification, il n’y a pas mille solutions, plaide-t-il. Il n’y a pas non plus d’illusion technologique à avoir, il faut développer massivement l’agroécologie, au plus près des territoires et en lien avec les populations. » La société civile compte bien porter ce combat au cœur de ces rencontres internationales pour ne pas en faire un énième rendez-vous manqué.

Source: reporterre.net

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