Risque d’incendie des batteries au lithium : « tous les services d’incendie s’inquiètent »
Des chimistes et des pompiers s’alarment du manque de mesures de prévention et d'urgence en cas d’incendie de batteries au lithium. Selon eux, des accidents comme le feu dans un conteneur à Montréal pourraient survenir de plus en plus fréquemment, et il faut s’y préparer.
Lundi dernier, il a fallu 15 heures aux services d’urgence pour éteindre un incendie de batteries au lithium dans le port de Montréal. Les flammes ont causé un panache de fumée dans le quartier résidentiel à proximité.
Selon le chef de division du Service de sécurité incendie de Montréal, Martin Guilbaut, durant l’incendie, les batteries sont entrées dans un emballement thermique, ce qui a forcé les pompiers à refroidir le conteneur durant plusieurs heures. L’emballement thermique correspond à la propagation d'un feu d’une cellule à l’autre, puis à l’ensemble de la batterie. Les températures peuvent alors atteindre plus de 1000 degrés Celsius.
M. Guilbaut n’avait jamais vu un feu comme celui-là en 32 ans de carrière. Il s’attend toutefois à ce que des incendies similaires se reproduisent dans l'avenir.
Je dirais que tous les services d’incendie sur la planète s’inquiètent de cela.
Une citation de Martin Guilbaut, chef de division du Service de sécurité incendie de Montréal
Les pompiers ont dû arroser le conteneur de batteries pendant des heures pour le refroidir et s'assurer que le feu était bel et bien éteint.
Photo : Radio-Canada / Simon-Marc Charron
La production et l'utilisation de batteries au lithium augmente, notamment en raison du virage électrique dans l’industrie automobile qui mène à la construction d’usines de batteries.
Des batteries au lithium-ion sont aussi utilisées pour des appareils de micromobilité comme les vélos ou les trottinettes. L’an dernier, des pompiers de grandes villes nord-américaines ont souligné le danger de la surchauffe de ces batteries, après plusieurs incendies liés à des trottinettes électriques, notamment à Toronto.
Selon le professeur de chimie à l’université McGill, Eric McCalla, le feu dans le port de Montréal soulève des questions sur la façon dont les batteries sont entreposées et transportées.
"Nous ne sommes pas habitués à éteindre ces feux, donc il y aura beaucoup de connaissances qui devront être développées", dit-il.
Selon M. McCalla, les fabricants et les entreprises de livraison prennent normalement les précautions nécessaires pour éviter ce type d’accident. Si une batterie au lithium prend feu, l’incendie ne devrait pas se répandre, à moins d’une erreur.
C’est quelque chose qui n’arrive pas très souvent, donc la réglementation n’est pas à jour.
Une citation de Eric McCalla, professeur de chimie à l’université McGill
"Mais je pense qu’on commence à comprendre qu’il va devoir se passer quelque chose puisqu’une augmentation du nombre de véhicules électriques approche", souligne-t-il.
Des risques pour la santé
Au moment de l'incendie dans le port, la Ville de Montréal a émis un avis de confinement pour les résidents du secteur : demeurer à l'intérieur et fermer portes et fenêtres ainsi que systèmes de ventilation, par mesure de précaution. L’avis a été levé quelques heures plus tard, lorsqu’on a déterminé "qu'aucune toxicité n'[avait] été détectée dans le panache de fumée".
Cette fumée inquiète toutefois la professeure d’épidémiologie à l’Université McGill, Jill Baumgartner. Elle explique que l'incendie d'une batterie au lithium peut relâcher des polluants dangereux dans l’air comme le fluorure d’hydrogène.
L’exposition à ce polluant peut causer des brûlures chimiques, de l’irritation des yeux et de la détresse respiratoire, selon la professeure Baumgartner.
La Ville de Montréal n'a détecté aucune toxicité dans le panache de fumée.
Photo : Radio-Canada
Une exposition intense peut également entraîner une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral. Les risques pour la santé varient selon la durée de l’exposition, la concentration de polluants dans l’air et l’état de santé des personnes.
"Les pompiers et les premiers répondants devraient surveiller l'état de santé des résidents qui habitent près du lieu où le feu a eu lieu au cours des prochains jours", dit Jill Baumgartner. Elle souligne toutefois que les effets "liés à l’exposition à des polluants comme le fluorure d’hydrogène ont plus de chances de survenir tôt après l’exposition."
Demandes de changements à la réglementation
Randy Narine, un pompier basé en Ontario, est parmi ceux qui souhaiteraient que la réglementation sur l’entreposage et le transport de batteries au lithium soit plus stricte.
M. Narine est également chercheur pour le Clean Energy Safety and Training Council, un organisme sans but lucratif qui fait de la recherche et forme les travailleurs de première ligne et les premiers répondants.
"Quand [les batteries au lithium] entrent en emballement thermique, elles relâchent beaucoup de polluants dangereux", dit-il. "Comprendre comment réduire ces polluants va permettre de protéger le public."
Même si l’événement qui s’est produit à Montréal est rare, le pompier considère qu’Ottawa devrait adopter un règlement sur la prévention de ce type de feu et l'intervention d’urgence.
Selon lui, "les batteries automobiles rangées en vrac dans un entrepôt" et "expédiées en vrac dans des conteneurs" posent un risque. Il pointe aussi du doigt les appareils de micromobilité gardés en vrac dans des magasins.
Les batteries au lithium sont notamment utilisées pour les moteurs de véhicules électriques.
Photo : iStock
Les solutions pour assurer un transport sécuritaire des batteries incluent notamment l’usage de caissons pour séparer chacune des unités afin d’éviter la propagation du feu d’une batterie à l’autre. Selon M. Narine, il n’existe pas de norme à ce sujet dans le secteur du transport pour le moment.
Au Québec, l’Ordre des chimistes demande également un meilleur encadrement de la manipulation, de l’entreposage et du transport des batteries au lithium. L’organisation souhaite aussi que la province lui donne un plus grand rôle en matière de prévention.
À la suite de l’incendie de lundi, l'Administration portuaire de Montréal a soutenu dans une déclaration avoir pris toutes les précautions nécessaires pour ce type d'urgence. Elle dit attendre les résultats de l’enquête en cours avant d'apporter des changements à ses politiques.
Le ministère de la Sécurité publique du Québec a pour sa part déclaré qu’il existe des réglementations fédérales, provinciales et dans certains cas municipales pour encadrer le transport et l’entreposage des batteries au lithium.
Le ministère dit aussi avoir travaillé, avec l'École nationale des pompiers, à des initiatives pour améliorer l'intervention des pompiers en cas de feu de batteries au lithium et fournir des outils de prévention aux citoyens.
Le gouvernement du Québec dit être "en contact avec des organismes de normalisation pour assurer la veille des normes liées aux risques incendie de ce type de batteries."