Nouvelle normalité. Record battu. Sans précédent.
Les records de chaleur signifient qu’il faut changer le discours sur l’urgence climatique

Ces derniers jours, alors que l’Ouest canadien et les États-Unis cuisaient sous une canicule sous le signe des changements climatiques, les superlatifs se multipliaient pour décrire un phénomène inouï : dans la communauté britanno-colombienne de Lytton, le thermomètre a atteint un niveau ahurissant de 49,5 °C, le 29 juin, battant tous les records de chaleur trois jours de suite.

On peut comprendre que pareil chiffre effraie ou choque. Mais quelqu’un pouvait-il réellement s’en étonner ? Non. Depuis plus de 40 ans, les scientifiques nous préviennent : les changements climatiques entraîneront des canicules de plus en plus longues et intenses. Parler de « normales » et de « nouveaux records » n’a plus beaucoup de sens.

Mais si l’on veut faire face à la crise climatique, il ne sert à rien d’appuyer sur l’idée que l’humanité « aurait dû savoir », « aurait dû agir plus tôt » ou que nous devrions « avoir honte de notre inaction ». Au strict plan de la communication, ça ne marche pas.

 

Parlons climat


Quelle serait la meilleure approche pour communiquer sur le changement climatique ?

D’abord, en parler davantage. Le réchauffement planétaire est la plus grande urgence à laquelle la planète ait jamais été confrontée, mais on ne le saurait pas à en juger par le contenu des médias.

En 2020, les reportages sur le changement climatique ne représentaient que 0,4 % des informations diffusées à la télé et à la radio américaines. Soit presque moitié moins qu’en 2019 à 0,7 %. En 2021, même au milieu d’une canicule sans précédent frappant tout l’axe des Rocheuses de la Californie au Yukon, on y faisait rarement référence.

 

Un « modèle du déficit » en déficit


Ironiquement, le plus grand angle mort tient à la manière dont on informe le public.

L’approche conventionnelle repose le « modèle du déficit d’information ». Selon ce principe, le public agira sur le changement climatique si on leur donne des faits.

Cette approche fondée sur l’information façonne toute la communication, aussi bien les campagnes de lutte contre l’alcool au volant que les changements climatiques.

Sauf que le lien entre ce que les gens savent et leurs actions n’est pas toujours linéaires. Fournir davantage de faits à une personne politiquement motivée au climatoscepticisme n’aura aucun effet.

L’information, quoique cruciale, ne suffit pas devant un sujet difficile à appréhender. Pour un individu pris isolément, le problème du changement climatique peut paraître immense, effrayant et insoluble. Si l’on veut que l’individu s’engage et, par extension, induise une action politique, la crise climatique doit prendre une dimension personnelle, immédiate, compréhensible et résoluble.

Cartes des opinions climatiques canadiennes 2018, YPCCC

 

Les diagrammes, les graphiques et même les photos d’ours polaires n’y changeront rien. Au Canada, 83 % de la population convient que la Terre se réchauffe. Mais 47 % pensent que cela ne leur causera aucun préjudice personnel.

Pour toucher les gens, il faut alimenter la conversation avec des histoires de personnes qui s’attaquent au problème et, ce faisant, améliorent leur qualité de vie là où ils vivent. Ces exemples transforment une matière jugée abstraite et effrayante en un sujet tangible et quotidien – et « réglable ».

Ça ne sert à rien de parler un climatosceptique en ressassant les mêmes données et les mêmes faits qu’on expose depuis des années, affirme la climatologue Katharine Hayhoe.

 

Des solutions qui comptent


Les spécialistes de la communication environnementale soulignent depuis longtemps que l’un des principaux obstacles à la mobilisation est une communication trop orientée sur la peur.

Le défi consiste plutôt à associer l’alarmisme et la capacité d’agir. La combinaison de la peur et de l’aptitude à agir induit ce qu’on appelle la « maîtrise du danger », c’est-à-dire des actions visant à atténuer le danger. C’est l’inverse de la « maîtrise de la crainte », qui tend plutôt au déni et à l’inaction.

Avec la Covid-19, la communication était fortement centrée sur l’aptitude de chacun à influer le cours des choses : lavage des mains, distanciation physique, masque. Dans le cas du changement climatique, les informations sur l’aptitude individuelle sont beaucoup moins évidentes.

On affirme souvent que les grands émetteurs, notamment les producteurs de combustibles fossiles, sont les premiers responsables et qu’il leur incombe de réparer les dégâts. D’après le quotidien The Guardian, seulement 100 entreprises seraient responsables de 71 % des émissions.

Oui, il est clair que le monde doit cesser de brûler des combustibles fossiles – pétrole, gaz et charbon. Mais pour y parvenir, les individus peuvent aussi afficher des exemples de comportement pro-environnemental.

On peut afficher des photos de comportements favorables à l’environnement, susceptibles d’inspirer ceux qui vous suivent.

 

Il peut s’agir d’un geste aussi simple que de publier sur les médias sociaux des photos de campagnes de nettoyage communautaires, de randonnée ou de messages sur l’utilisation des transports en commun, par exemple. Cette forme de communication – en contrepied d’un mode de vie à forte intensité de carbone – normalise l’urgence et l’importance de protéger la Terre, mais aussi la capacité individuelle d’agir.

Certains des communicateurs les plus efficaces sont les météorologues de la télévision, qui ont un auditoire fidèle. La plupart abordent la question en relation avec le vécu de leur public.

 

Il faut le voir pour le croire


La communication sur les risques s’appuie souvent sur une injonction morale – « faites ceci ou cela, sinon… »

Par exemple, dans un parc, une affiche intime de ne pas nourrir les canards parce que la nourriture humaine est mauvaise pour eux. Et les visiteurs continuent de nourrir les canards.

Or, une bonne communication devrait plutôt s’appuyer sur des normes sociales dites « tacites », qui invitent à se conformer au bon comportement d’autrui qui leur est bénéfique.

Au Royaume-Uni, en 2015, une campagne invitait les gens à « ramener leurs déchets à la maison, d’autres le font ». Avec un tel message, une personne sera moins susceptible de jeter ses détritus que si les panneaux indiquent « Garder votre parc propre. Ne jetez pas vos déchets. »

L’un des moyens les plus efficaces de communiquer l’urgence climatique consiste simplement l’histoire de personnes et de communautés agissantes.

On en trouve un excellent exemple dans la série « En avant, les Premières Nations », du webzine Canada’s National Observer. Ses reportages expliquent comment les communautés ouvrent la voie vers un avenir fondé sur les énergies renouvelables.

Certains grands médias d’information, comme Global News, où je travaille, y consacrent plus de temps et repensent leur couverture climatique. Récemment, un grand reportage rapportait la transition énergétique profonde en cours en Alberta.

Certains médias consacrent plus de temps aux reportages sur des solutions climatiques, comme la transition vers les énergies renouvelables.

 

Ces reportages sur des transformations en cours envoient le message que l’action pour atténuer la crise climatique est possible, normale, valorisante et souhaitable. Ces exemples concrets, qui montrent la voie, dynamisent et mobilisent ceux qui sont prêts à l’action.

Ils déplacent aussi la conversation, qui vise habituellement les sceptiques et les négationnistes, vers des valeurs et des habitudes favorables chez les gens de plus en plus sensibilisés et inquiets devant l’urgence climatique.

Au lieu d’alimenter le récit de la peur, les histoires de solutions climatiques renforcent le sentiment du public quant à sa capacité d’agir. Elles l’y éveillent en se fondant sur le principe de toute bonne communication : joindre les gens là où ils en sont à travers une histoire mobilisatrice.

C’est le principe de narration 101 pour rallier le public au lieu de le repousser comme le font encore trop de comptes-rendus sur le climat.


Kamyar Razavi, PhD candidate in the School of Communication, Simon Fraser University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source: goodplanet.info

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