Les émissions de CO2 de Total repartent à la hausse
Total parvient à réduire progressivement l'intensité carbone de sa production grâce au gaz et aux renouvelables, mais la forte croissance de la major française contrebalance cette tendance.
Vendredi, Total a annoncé qu'il claquait la porte de l'American Fuel & Petrochemicals Manufacturers, une association qui défend les intérêts de l'industrie pétrolière et gazière aux Etats-Unis. Tout comme Shell il y a quelques mois, la major française estime que ses positions sur le climat ne sont plus « alignés » avec celles de ce lobby qui s'oppose aux subventions pour les véhicules électriques ou aux biocarburants.
Total lui reproche de ne pas soutenir l'Accord de Paris sur le réchauffement climatique. Le groupe menace de quitter trois autres fédérations professionnelles américaines et canadiennes « en cas de désaccord persistant » sur le réchauffement climatique, le soutien aux énergies renouvelables ou encore la tarification du carbone.
Plus de gaz
Le numéro quatre mondial privé des hydrocarbures, qui vient de publier son rapport annuel sur le climat, se présente comme « la major de l'énergie responsable » et multiplie les efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, conscient de la menace qui pèse à long terme sur la demande de pétrole. Le groupe investit d'abord massivement dans le gaz naturel. Il s'agit bien sûr d'une énergie fossile, mais il génère moins d'émissions de CO2 que le pétrole.
Et il se développe dans la distribution d'énergie aux particuliers en Europe ainsi que la production d'électricité d'origine renouvelable. Total renforce aussi l'efficacité énergétique de ses sites de production d'hydrocarbures, de ses raffineries et de ses usines pétrochimiques.
Acquisition de Maersk Oil
Ces efforts sont récompensés. L'intensité carbone des produits vendus par Total, c'est-à-dire les émissions de CO2 rapportées à sa production, a reculé de 5 % depuis 2015. Le pétrolier affiche l'ambition d'une baisse de 15 % d'ici à 2030. Il se targue aussi d'être l'un des meilleurs élèves dans la lutte contre les émissions de méthane, avec un taux de fuite de sa chaîne de production et de distribution inférieur à 0,25 %, contre une moyenne mondiale de 1,4 %, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Seulement voilà, dans le même temps, Total grossit. Il a fait l'acquisition du danois Maersk Oil l'an dernier, et démarré la production sur des champs géants en Russie, en Australie , au Nigeria ou encore en Angola. Au total, la production a progressé de plus de 8 % l'an dernier. En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre des sites du groupe (production, raffinage, chimie, distribution) sont reparties à la hausse en 2018, en valeur absolue, après trois années consécutives de recul, passant de 41 à 42 millions de tonnes de CO2. Total veut passer sous la barre des 40 d'ici à 2025.
Quant aux émissions des produits vendus pour leur usage final (l'essence consommée par un automobiliste qui fait le plein chez Total par exemple), elles ont reculé depuis 2010 mais stagné l'an dernier, à 400 millions de tonnes de CO2. « C'est un problème structurel : Total est une entreprise dont la raison d'être est la croissance », souligne Paul Mougeolle, de l'association de défense de l'environnement Notre affaire à tous.
« 95 % des investissements dans les hydrocarbures »
« Quoi qu'il en soit, l'objectif de réduction de l'intensité carbone affiché par Total n'est pas compatible avec celui de la limitation du réchauffement à moins de 2 degrés d'ici à 2050 », soutient Mark van Baal, de l'association néerlandaise Follow This, qui fait pression sur les majors pour qu'elles se mettent en adéquation avec l'Accord de Paris. La consommation mondiale d'énergie ne cessant de croître, faire baisser la part relative des émissions n'a qu'un impact limité en valeur absolue, raisonne-t-il.
Follow This remet en question la stratégie d'expansion de Total dans le gaz naturel. « Le gaz est la cigarette light de l'industrie pétrolière. Il faut arrêter de brûler toutes les énergies fossiles, et non passer à des énergies un peu moins polluantes qui nous engageront pour des décennies », estime Mark van Baal.
« Pour limiter le réchauffement à 1,5 degrés en 2030, il faut diminuer les émissions de 45 %, bien plus que l'ambition affichée par Total », relève lui aussi Paul Mougeolle. Les investissements du groupe français dans les énergies renouvelables restent marginaux selon lui : « Entre 2016 et 2018, Total a consacré environ 95 % de ses investissements aux hydrocarbures ».