Les Indiens équatoriens en danger face à l'État et aux compagnies minières

Le gouvernement équatorien vient de déclencher une grande offensive militaire contre les indigènes shuar qui résistent à l’exploitation minière à ciel ouvert en Amazonie. En optant pour le tout-répression, Rafael Correa surenchérit dans la criminalisation des mouvements sociaux et l’extractivisme forcené auxquels il a cédé ces dernières années.

En août dernier, une force constituée par plus de 1 500 militaires et policiers équatoriens avait expulsé quatre familles shuar (32 personnes) et détruit les modestes « chozas » (maisons traditionnelles en bois et paille) de la communauté de Nankintz à grands coups de pelleteuses pour y établir un campement de base pour les travailleurs de la multinationale minière chinoise EXSA. Le 21 novembre dernier, un groupe de shuars était parvenu à réoccuper le terrain du campement, mais en furent délogés dès le lendemain. Ces affrontements violents avaient fait des blessés des deux côtés et la présence brutale et menaçante des forces de l’ordre dans cette zone de forêt amazonienne avait traumatisé les femmes et les enfants de la communauté. Malgré les allégations du Ministère de l’Intérieur qui, en pleine période préélectorale (les élections présidentielles sont programmées pour février 2017), prétendait avoir la situation sous contrôle, de nouveaux heurts sont advenus le jeudi 15 décembre, se soldant par le décès par balle d’un policier. Une mort regrettable, qui s’ajoute malheureusement aux assassinats non élucidés d’activistes shuars luttant pour la préservation de la forêt et de leur territoire depuis 2009.

Trop contente de pouvoir exploiter la tragédie individuelle de Luis Mejía Solórzano (le policier mort en service) et de sa famille, la puissante machine propagandiste du gouvernement de Rafael Correa, depuis longtemps déjà habituée à traîner dans la boue ce qu’elle désigne comme la « gauche infantile » et les « écologistes romantiques » – qu’un appareil judiciaire totalement asservi au pouvoir n’hésite pas à emprisonner à l’occasion –, matraque à longueur de journée contre les Indiens shuars (la nationalité indigène la plus importante d’Amazonie équatorienne, avec (100 000 individus) les accusations de « barbarie » et de « terrorisme ».

La Province de Morona Santiago est à l’heure actuelle complètement militarisée. Le pouvoir a émis des ordres de capture contre 41 personnes impliquées dans la tentative de reprise de Nankintz. Selon nos sources locales, nombre d’entre eux se seraient réfugiés avec femmes et enfants dans des zones reculées de la forêt. Huit habitants de Panatza ont été incarcérés arbitrairement et des dizaines de petits centres shuars sont progressivement envahis par l'armée et ses machines, en grande partie d'origine chinoise. La tête du responsable de la mort du policier est mise à prix par les forces de l'ordre depuis ce dimanche 18 décembre (50 000 dollars), comme dans un western, les conséquences de ce type de pratiques peuvent être dramatiques.

Comment en est-on arrivé là ?

C’est sur les instances des organismes représentatifs de la nationalité shuar – qui rejettent tous les grands projets extractivistes dans la région – que les quatre familles expulsées cet été s’étaient installées en depuis 2006 sur les bords d’une route de terre pour y surveiller et freiner la pénétration des entreprises minières à capital sino-équatorien. Bien que le territoire de Nankintz ne soit pas officiellement reconnu comme « circonscription du territoire indigène », l’appartenance ethnique de ses habitants et le fait que leurs ancêtres aient vécu des fruits de ces terres depuis de siècles devraient suffire à leur garantir le droit à l’autodétermination que leur reconnaissent des textes comme la Constitution équatorienne 1998 et la Déclaration 169 de l’OIT de 1989.

Sur la carte ci-dessous, on peut voir en orange le territoire de la concession minière, les étoiles représentant les montagnes qui vont être brutalement triturées par la multinationale chinoise :

Descendants des guerriers qu’on appelait jadis « jivaros » (les fameux « réducteurs de tête », cibles de bien des fantasmes blancs qui ont parfois coûté cher à cette ethnie du piémont andin amazonien),  les résistants shuars ont baptisé leur village d’irréductibles « Nankintz », à savoir d’après mes informateurs le « peuple des lances ». Et c’est la lance à la main, mais parfois aussi armés d’escopettes rouillées et de bâtons de dynamite, qu’ils disputent depuis des années l’accès stratégique au cœur de ces vallées porteuses d’une biodiversité exceptionnelle.

Ce à quoi font face les habitants de ces humbles cabanes aujourd’hui détruite, et avec eux tous les membres et de la nationalité shuar qui leur apportent leur soutien unanime, c’est à un gigantesque « projet extractiviste de dernière génération » : l’exploitation minière à ciel ouvert et à grande échelle autorisée par un gouvernement qui a jadis osé se targuer de son orientation écologiste avant de faire des défenseurs de l’environnement et de l’Amazonie une des principales cibles de sa répression. Pour faire court, il s’agit pour la multinationale chinoise à laquelle est confiée ce projet  de découper des pans entiers de montagnes, de les passer au tamis, d’en exporter le cuivre et autres minéraux plus ou moins précieux sans laisser grand-chose d’autre aux populations qu’un état de dépendance économique et sociale accrue et de dégradation environnementale irrémédiable. Ce type d’exploitation détruit en effet tout le système hydrologique de la région, surplombée par une cordillère de 150 km de long qui marque en partie la frontière avec le Pérou. L’ensemble du réseau fluvial amazonien dépend de la cordillère des Andes et les zones intermédiaires de petite montagne et de piémont forestier sont des systèmes aussi complexes que fragiles qui régissent directement les conditions d’existence de millions de personnes (au Pérou et au Brésil en l’occurrence). La terre retournée est stérilisée pour des dizaines d’années et l’économie et l’écologie locales se retrouvent elles aussi sens dessus dessous. Sans parler des effets de l’aliénation culturelle et de l’anomie sociale, dont sa victime, les communautés locales, un travail de sape déjà initié par les entreprises minières canadiennes en charge des « relations communautaires » dans le cadre de leurs activités exploratoires depuis les années 1980.

Les shuars, ainsi qu’une bonne partie de la population métisse locale, sont d’autant plus indignés par cette expansion brutale et dévastatrice du front minier en Amazonie qu’ils avaient voté avec enthousiasme en 2006 pour un Rafael Correa qui leur avait promis de mettre un frein aux appétits des multinationales du secteur. Mais la mise en exploitation de la région de Nankintz a été signée en 2012 par le ministre de l’Énergie et des Mines Wilson Pastor Morris, un fonctionnaire pétrolier formé à l’école des grands contrats avec Texaco, dont le gouvernement équatorien dénonce par ailleurs les méfaits.

Pour le gouvernement équatorien, l’escalade du conflit environnemental et sa militarisation sont aussi l’occasion de faire taire les voix critiques en période électorale en faisant planer la menace de l’« apologie du terrorisme » sur tous ceux qui oseraient défendre le droit des shuars à préserver leur territoire et, ce faisant, à protéger cette immense réserve de biodiversité qu’est l’Amazonie équatorienne. En Amérique latine comme dans bien des régions d’Asie et d’Afrique, les multinationales extractivistes chinoises, aux côtés de leurs prédécesseurs occidentaux, sont aujourd’hui au premier rang des déprédateurs de l’environnement face aux peuples ancestraux qui, en défendant leur survie, défendent aussi notre futur à tous. Soutenir ces lances d'un crépuscule parmi tant d'autres est crucial, le silence autour de ces luttes et leur isolement sont des armes au service d’États au comportement néocolonial et de multinationales avides ; la circulation de l’information et la solidarité internationale sont souvent la seule chance pour ces peuples de faire aboutir leurs luttes parfois désespérées sur des solutions pacifiques et minimalement équitables. 

 

Source : blogs.mediapart.fr

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