La fusion Monsanto-Bayer n'est pas favorable aux regards des chefs
La prise de contrôle de l’américain, spécialiste des semences OGM, par l’allemand Bayer, a mis le feu aux fourneaux. Pour les cuisiniers, c’est la liberté de choisir leurs produits qui est directement menacée.
« Ces multinationales de l’agrochimie n’ont qu’un seul but : gagner toujours plus d’argent sur le dos des consommateurs. » Tonnerre d’applaudissements. L’homme n’est pourtant pas un leader révolutionnaire et la scène de ce théâtre bonbonnière de Turin n’accueille pas un meeting politique. Il s’appelle Olivier Roellinger, cuisinier à Cancale, venu débattre au Festival Terra Madre, sous les auspices de Slow Food, des rapports entre les chefs et les producteurs locaux, avec ses collègues Michel Bras, trois étoiles à Laguiole, Altin Prenga, chef albanais, et Cristina Bowerman, chef italienne.
Le motif de cette indignation : la prise de contrôle de l’américain Monsanto, spécialiste des semences OGM également célèbres pour son herbicide Roundup, par l’allemand Bayer, inventeur de l’aspirine et fabricant de pesticides néonicotinoïdes sous les marques Gaucho ou Proteus. La fusion de ces deux groupes – pour un montant de 59 milliards d’euros – donnerait naissance à un mastodonte de l’agrochimie aux conséquences imprévisibles pour notre alimentation. Cette annonce a mobilisé des chefs français qui, en collaboration avec le site Atabula, font circuler dans la profession une « Lettre ouverte contre l’invasion de l’agrochimie dans nos assiettes », défendue par Olivier Roellinger à la tribune de Slow Food. Extraits.
« Avec cette acquisition, ce nouveau mastodonte des semences et des pesticides a une ambition : contrôler toute la chaîne alimentaire, de la terre où pousse la semence jusqu’à l’assiette du consommateur. Une telle entreprise n’a qu’une ambition : accroître ses activités, donc ses bénéfices, sur tous les continents, au mépris de la biodiversité et de la santé des populations. (…) Demain, à cause des OGM, du Roundup et des différents produits chimiques sortis des usines, les diversités culturales et culturelles n’existeront plus. La nature vivante ne sera plus qu’un produit marketé, transformé, muté au service d’un Léviathan.
Il est nécessaire que les chefs et tous les acteurs de la restauration prennent la parole et expriment publiquement leurs inquiétudes : sans un produit sain et de qualité, sans diversité des cultures, le cuisinier ne peut plus exprimer son talent créatif. Il n’est plus en mesure de faire son métier comme il l’aime et de le transmettre avec passion. Quant au paysan et à l’agriculteur, ils se transforment en simples exécutants d’un grand tout agrochimique qui les dépasse : des ouvriers à la solde d’une entreprise apatride, hors sol. »
Pour une agriculture à échelle humaine
Des centaines de cuisiniers et de gens des métiers de bouche, connus (Michel Bras, Michel Guérard, Yannick Alleno, Cyril Lignac, Christophe Michalak, Yves Camdeborde, Guillaume Gomez, Mercotte, etc.) ou inconnus, ont déjà signé cet appel. À travers son Alliance des chefs, qui compte 700 membres dans quinze pays, Slow Food participe à ce mouvement de protestation derrière son président Carlo Petrini pour qui « le pouvoir des multinationales de l’industrie agroalimentaire croît de plus en plus et les spéculations financières sur notre nourriture conditionnent la vie ainsi que la survie de millions de paysans dans le monde entier ». La liberté de choisir ses semences pour l’agriculteur comme celle de choisir ses produits pour le cuisinier est directement menacée par cette fusion entre deux piliers de l’agriculture intensive.
Les traces de pesticides régulièrement retrouvées dans les produits alimentaires non bio – la plus récente concernait le muesli – sont une conséquence directe de l’activité de ces groupes industriels et du mode de culture intensive qu’ils imposent. Pour y échapper, Slow Food préconise de changer de paradigme et de miser sur une agriculture à échelle humaine, car, outre ces multinationales qui se comptent sur les doigts de la main, ce sont plus de 500 millions de petites entreprises agricoles qui chaque jour nourrissent la planète. C’est avec elles qu’il faut lutter. Et comme l’a proclamé José Bové présent à Turin : « Ils sont des géants, mais nous sommes des millions. »
Cette fusion n’est que le dernier épisode dans un secteur en pleine concentration. Les Américains Dow Chemical et DuPont ont décidé de se marier et le chinois ChemChina veut racheter le Suisse Syngenta. Seule la Commission européenne pourrait empêcher ces manœuvres en invoquant l’article 2 du règlement 139/2004 évoquant « la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun ». Rien n’est encore définitivement fixé, mais l’appel des cuisiniers sera-t-il entendu à Bruxelles ?
Source : lemonde.fr