Le crapaud doré, tombé au champ d’honneur du changement climatique
Pendant quelques jours chaque année, une armée de ces petits batraciens apparaissaient mystérieusement dans les mares de cette forêt tropicale pour se reproduire.
« Le sol est très sombre et les crapauds dorés se dessinaient comme des figurines animales. C’était un sacré spectacle » au milieu des « arbres noueux, sculptés par le vent et recouverts de mousse », raconte J Alan Pounds, écologue à la réserve biologique de Monteverde au Costa Rica.
Mais ça, c’était avant sa disparition, constatée en 1990.
Le crapaud de Monteverde est la première espèce connue dont l’extinction est attribuée au changement climatique. Quelques autres l’ont rejoint dans la tombe, et ce n’est certainement qu’un début.
Même si le monde parvient à limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle — objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris–, 9% des espèces de la planète pourraient disparaitre, selon les experts climat de l’ONU (Giec).
Le crapaud doré ne vivait que dans les forêts de Monteverde. « Environ 99% de sa population a été perdue en une seule année », explique à l’AFP J Alan Pounds, dont les conclusions sont validées par le rapport du Giec sur les impacts du réchauffement publié en février.
« Gâchette » climatique
Quand le scientifique est arrivé au Costa Rica au début des années 1980 pour étudier les amphibiens, le changement climatique n’était pas une priorité, mais il faisait déjà sentir son souffle.
Après la disparition de cette forêt du crapaud doré et d’autres amphibiens, comme la grenouille harlequin de Monteverde, les chercheurs ont mis en regard l’évolution du climat local et celle des populations d’espèces.
Ils y ont vu l’influence périodique du phénomène El Nino, mais aussi des tendances durables liées au changement climatique, les déclins se produisant après des périodes inhabituellement chaudes et sèches.
La chytridiomycose a également joué un rôle majeur, pour J Alan Pounds et ses collègues qui résument ainsi : la maladie a été « la balle, le changement climatique a appuyé sur la gâchette ».
Un mécanisme qui s’est répété ailleurs. Comme pour le melomys rubicola, petit rongeur qui vivait sur une minuscule lande de terre au large de l’Australie et que personne n’a aperçu depuis 2009. Le seul mammifère endémique de la Grande barrière de corail, incapable de survivre à la submersion de son habitat, a été déclaré éteint en 2016.
Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le changement climatique est une menace pour près de 12.000 espèces, dont près de 6.000 risquent l’extinction.
« C’est absolument terrifiant », commente Wendy Foden, experte climat à l’UICN. « Nous avons besoin d’un mouvement #metoo pour les espèces ».
Des négociations internationales sont en cours pour parvenir à un traité pour mieux préserver la nature, notamment en protégeant au moins 30% des terres et des océans d’ici 2030.
Mais avec le réchauffement climatique, cette protection classique n’est pas suffisante, souligne Wendy Foden. « Même les contrées sauvages les plus isolées seront affectées par le changement climatique ».
Forêt sans nuage
A Monteverde, même les nuages ont changé.
Les précipitations ont augmenté dans cette région ces 50 dernières années mais elles sont devenues plus erratiques, alternant entre périodes très pluvieuses et périodes très sèches, souligne J Alan Pounds.
Dans les années 1970, cette forêt comptait environ 25 jours secs par an en moyenne, contre environ 115 ces dix dernières années.
Et le brouillard qui enveloppait la forêt pour conserver l’humidité pendant la saison sèche, donnant son nom à cette « forêt nuageuse », s’est réduit d’environ 70%.
« Souvent, ça ressemble plus à une forêt de poussière qu’à une forêt de nuages », regrette Pounds.
Quant au crapaud doré, une équipe de conservationnistes s’est lancée l’an dernier sur ses traces dans son habitat historique de la « forêt éternelle des enfants » toujours au Costa Rica, après des rumeurs disant qu’il avait été aperçu.
Mais rien. « Avec chaque année qui passe, il semble de moins en moins probable qu’il réapparaisse », dit J Alan Pounds.
© AFP