Interdiction des moteurs thermiques : un « sabordage industriel », selon la filière
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a réagi sans triomphalisme au résultat du vote. Il a souligné que la décision était « révolutionnaire mais positive », même si « cela va nous demander des travaux considérables, pour nous puissance publique » pour être prêt à temps pour 2035. [Michael Gancharuk/Shutterstock]
Luc Chatel, président de la Plateforme automobile et mobilités (PFA), qui représente les constructeurs automobiles français, a mis en garde contre une telle décision jeudi (9 juin) sur BFMTV : « Une voiture électrique vaut 50% plus cher qu’une voiture thermique. Je ne sais pas si on aura les clients pour acheter des voitures électriques ».
Selon M. Chatel, les bornes de recharge électrique sont trop peu nombreuses sur le territoire : « nous aurions besoin d’un million de bornes de recharge au total d’ici 2030 », contre seulement 60 000 aujourd’hui en activité.
Cette situation s’ajoute aux pressions inflationnistes, qui ont un impact sur les coûts de production des voitures électriques « à hauteur de +26 % », selon M. Chatel.
Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a réagi sans triomphalisme au résultat du vote. Il a souligné que la décision était « révolutionnaire mais positive », même si « cela va nous demander des travaux considérables, pour nous, puissance publique », pour être prêt à temps pour 2035.
Il a aussi annoncé vouloir rencontrer des représentants de l’industrie vendredi (10 juin) pour « regarder comment est-ce qu’on continue à accompagner le secteur », en veillant à ce que « nos véhicules électriques soient produits au maximum en France ».
« Il faut soutenir la reconversion de plusieurs milliers d’emplois », a déclaré un représentant de la filière à EURACTIV France. Il faudra aussi « assurer le déploiement des infrastructures et soutenir le développement de la production des batteries ».
M. Le Maire a aussi annoncé qu’il « faudra sans doute une clause de revoyure dans cinq à sept ans». A-t-il confirmé cette intention aux représentants de la filière vendredi ? « Il faut l’espérer », selon une source proche du dossier.
« Une vraie bagarre » au Parlement européen
« Je ne vois pas à quoi une clause de revoyure servirait », s’exclame Karima Delli, députée européenne et présidente de la commission du Transport au Parlement européen, à EURACTIV. « Il y a un calendrier fixé ».
Et d’ajouter : « On va structurer la filière, en créant les conditions d’une relocalisation des entreprises en France. Il faudra aussi accompagner les salariés pour faciliter leur reconversion vers l’électrique ».
En 2015, le « Dieselgate » avait largement sensibilisé le public aux problèmes de pollution liés à la filière automobile, alors que le transport routier représente aujourd’hui 70% des émissions de gaz à effet de serre. La puissance des lobbies automobiles avait aussi été révélée au grand jour.
« Au sein du Parlement européen s’est engagée une véritable bagarre entre députés européens et lobbies à quelques jours du vote », raconte Mme Delli, les lobbies ayant tout fait pour supprimer la date butoir de 2035.
Pourtant, « on a un sujet d’infrastructures considérable », affirme M. Chatel. « Je ne sais pas si on aura l’électricité nécessaire, qui plus est décarbonée ». Un enjeu d’ampleur européenne : si la France dépend en large partie de l’énergie nucléaire, la réalité est tout autre dans le reste de l’Union européenne.
« On ouvre les vannes aux asiatiques »
Dernier grief de la part des constructeurs : interdire la production de voitures thermiques reviendrait à « ouvrir les vannes aux asiatiques » et notamment à la Chine, qui est passée maitre de la production des voitures électriques et continuera en même temps à produire des voitures thermiques moins chères.
« La France, malgré les investissements, ne maitrise pas les chaînes de valeur » pour la voiture électrique, explique PFA à EURACTIV France. Si « l’électrique est une nécessité environnementale, la transition doit être proportionnée ».
Une accusation que Mme Delli balaye : « la France reste une terre d’industrie et d’automobiles ». Le vote, contrairement à ce qu’affirment les constructeurs, marque le début d’un nouveau plan industriel majeur : « On a perdu 100 000 emplois à cause du dumping social et des délocalisations. Il est temps de les faire revenir. »
Les préoccupations des constructeurs français ressemblent en tout point à celles de leurs homologues allemands. Dans une déclaration publiée juste après le résultat du vote, Hildegard Müller, présidente de la puissante fédération des constructeurs automobiles allemands VDA, avait affirmé que le Parlement européen avait voté « contre le marché, contre l’innovation et les technologies modernes ».