Ce lac suisse est aussi une immense batterie de 900 MW
En Suisse, du côté du Nant de Drance, une immense batterie de 900 MW a enfin vu le jour après 14 ans de construction. Et si ce projet a pris autant de temps, c’est que la batterie en question n’a pas grand-chose à voir avec celle qui alimente votre smartphone ou votre voiture. Ici, nous ne parlons pas de gigantesques amas de nickel, de cobalt et de lithium, mais… d’un lac tout ce qu’il y a de plus normal.
Très sommairement, une batterie, ce n’est ni plus ni moins qu’une réserve d’énergie potentielle, c’est-à-dire de l’énergie qui peut être restituée sous une autre forme au terme d’une conversion. Par exemple, un ressort accumule de l’énergie potentielle lorsqu’on le comprime et la restitue mécaniquement lorsqu’on le relâche.
Dans les batteries traditionnelles, cette énergie potentielle est chimique ; lorsqu’elle est connectée, c’est une réaction entre l’anode, la cathode et l’électrolyte qui permet restituer l’énergie du système sous forme d’électricité.
Mais même dans une batterie, cette énergie potentielle n’a aucune obligation d’être chimique. Elle peut aussi prendre d’autres formes. Lorsque vous soulevez un objet, il accumule également de l’énergie potentielle sous l’effet de la gravitation. Et il va chercher à retourner dans un état énergétiquement favorable, c’est-à-dire plus stable — un peu comme un ressort comprimé qui veut à tout prix se détendre.
Lorsque l’objet est lâché, il restitue cette énergie en tombant au sol. Et c’est précisément ce concept qui est au cœur du fonctionnement de ces « batteries à eau »; il s’agit d’énergie potentielle gravitationnelle.
Une énergie potentielle issue de la gravitation
L’idée est à la fois très simple, ingénieuse et élégante. Elle repose sur deux bassins situés à des hauteurs différentes. Lorsque la demande en électricité augmente ponctuellement sur le réseau, comme c’est par exemple le cas en début de soirée, il suffit d’ouvrir les vannes dans le lac le plus en altitude.
Une partie de son contenu est alors libre de se déverser dans le réservoir en contrebas. Mais au passage, elle fait aussi tourner des turbines astucieusement positionnées sur le trajet de façon à générer de l’électricité à la seule force de la gravité. Cela revient à convertir l’énergie potentielle gravitationnelle en électricité.
En d’autres termes, on décharge la batterie vers le réseau électrique. Et pour la recharger, il suffit de pomper le contenu de ce réservoir vers le lac en altitude, et le tour est joué ; il ne reste qu’à ouvrir les vannes pour relancer un nouveau cycle.
Pour résumer, c’est un peu comme un barrage hydroélectrique en circuit fermé. Mais il est important de noter que ce n’est pas un moyen de production d’énergie ! De la même façon qu’une batterie chimique n’est pas capable de se recharger seule, l’eau ne peut pas faire le chemin inverse d’elle-même et il faut donc dépenser de l’énergie ; techniquement, cela reste donc un moyen d’accumuler de l’énergie, et non pas de la produire.
Un vieux concept adapté aux enjeux d’aujourd’hui
Mais ce qui est très intéressant avec cette approche, c’est sa solidité et sa flexibilité. En effet, elle peut se mettre à produire de l’électricité très rapidement dès les premiers pics de consommation. C’est un gros avantage par rapport aux autres moyens de production, qui peuvent être relativement lents à être mis en route. Cela permet donc de répondre rapidement à une pénurie.
C’est d’autant plus intéressant à l’époque des énergies renouvelables. En effet, malgré tous leurs avantages, ces technologies ont souvent le défaut d’être intermittentes ; le bilan de l’éolien reste nul tant que l’air est calme, comme celui du photovoltaïque pendant la nuit, et ainsi de suite. Avec une technologie de ce type, il est possible de stocker cette énergie et de la restituer plus tard, sans tenir compte de la météo.
Même si cette technologie n’est pas sans risque, le fait de se passer des dangereux produits chimiques sous haute tension que l’on trouve dans les batteries standard est aussi un avantage indiscutable. © 7 News
De plus, cette approche permet de profiter des fluctuations du marché de l’énergie. Grâce à sa réactivité, elle permet d’amortir le prix du kilowatt-heure lors des pics de consommation. À l’inverse, l’eau peut être repompée pendant la nuit, quand les prix sont beaucoup plus raisonnables.
Une évolution à suivre
Le projet suisse n’est pas le premier au monde, loin de là. La centrale hydroélectrique de Dinorwig, qui fonctionne sur ce concept, a d’ailleurs abrité la plus grosse batterie du Royaume-Uni pendant quelques années. Elle a perdu ce titre avec l’inauguration d’une immense centrale solaire dans le Wiltshire, en 2021, mais elle reste un élément incontournable du réseau anglais.
On trouve aussi des centrales de ce genre aux États-Unis. D’après Interesting Engineering, la Chine compte aussi construire une gigantesque batterie de ce type d’ici 2025.
Même si ce concept est avantageux à bien des égards, il ne s’est pas encore vraiment démocratisé pour des raisons assez évidentes. Pour commencer, tous les territoires ne sont pas adaptés. Et même quand c’est le cas, sa mise en place implique aussi des travaux pharaoniques. Les ingénieurs suisses ont par exemple eu besoin de 14 ans pour creuser près de 20 km de tunnels à travers les Alpes.
Mais le jeu en valait la chandelle, puisque les 900 MW de cette batterie peuvent désormais alimenter plus de 900 000 domiciles. Il sera donc très intéressant de voir à quel point cette technologie va se répandre au cours des prochaines décennies. D’ici-là, ceux qui voudront visiter cette merveille d’ingénierie pourront le faire en s’inscrivant dès maintenant aux portes ouvertes de septembre prochain (à cette adresse).