Ce que je fais professionnellement en tant qu’attaché, je le fais aussi en tant que citoyen engagé pour le vélo : je propose une vision du monde et de réaliser cette vision ensemble.
Interview de Stein van Oosteren, auteur et ancien porte-parole du collectif Vélo Île-de-France

 

Présentez-vous d’abord.

Je m’appelle Stein van Oosteren. J’ai grandi aux Pays-Bas, au paradis du vélo, mais sans me rendre compte que je vivais dans un paradis. Je ne m’en suis rendu compte qu’en France, où je me suis installé en 1996 pour faire ma thèse de philosophie à Paris. Il a fallu que beaucoup d’amis français me parlent de ce « paradis » pour que je puisse le découvrir et m’y intéresser ! Car quand on vit une réalité au quotidien, on ne l’aperçoit pas. On a le nez trop près du tableau, comme on dit. 

C’est d’ailleurs ce que j’aime tellement dans le sujet du vélo : il me challenge pour voir le monde autrement. Pour voir la France cyclable par exemple, la France qui n’existe pas encore mais que je vois déjà partout où je vais. Comme je la vois partout, je ne peux pas m’empêcher d’en parler. C’est ce que je fais en permanence en tant qu’activiste, auteur, chroniqueur (dans le magazine 200), blogueur, vidéaste, conférencier et même musicien.

Professionnellement je suis attaché diplomatique pour le gouvernement des Pays-Bas auprès de l’UNESCO. C’est très utile, car dans la diplomatie on apprend à faire ce qu’il faut faire pour changer le monde : mettre les gens d’accord qui ne sont pas d’accord entre eux. Ce que je fais professionnellement en tant qu’attaché, je le fais aussi en tant que citoyen engagé pour le vélo : je propose une vision du monde et de réaliser cette vision ensemble. 

Les Pays-Bas sont considérés comme le paradis du vélo. Quelle est la politique du gouvernement néerlandais envers les cyclistes ?

Aux Pays-Bas presque un déplacement sur trois est fait à vélo, et dans certaines villes même 60%. Ce n’est pas une culture du vélo ancienne qui a mis les Néerlandais sur le vélo, mais une politique vélo relativement récente qui a le même âge que moi, soit 51 ans. Cette politique a trois volets. D’abord créer des pistes cyclables et des parkings vélo partout pour protéger le cycliste et le vélo. Ensuite réduire la place et la vitesse des voitures, pour que le partage de la route devienne possible (jusqu’à 2.000 voitures par jour dans une rue). Enfin, en augmentant la fréquence des trains, les Pays-Bas ont développé un nouveau moyen de transport multimodal : le « vélo-train ». A vélo vous n’allez pas partout, mais avec le vélo plus le train, vous pouvez. Si le vélo marche si bien aux Pays-Bas, c’est parce que le train marche si bien, et vice-versa. Un cycliste sur trois que vous voyez dans une ville néerlandaise est un « vélo-trainiste », c’est-à-dire un cycliste qui soit va à une gare ou en vient.

La politique vélo néerlandaise est aussi un moyen de créer de la justice sociale. Je m’explique. La voiture exclut les mineurs, les personnes à faible pouvoir d’achat, les séniors à la fin de leur vie, ça fait 40% de la population ! Alors que le vélo permet à littéralement tout le monde de se transporter de manière autonome, même les personnes en situation de handicap. Les séniors entre 65 et 75 ans sont même le plus grand groupe d’adultes qui utilisent le vélo aux Pays-Bas. On n’arrête pas de faire du vélo quand on est vieux, mais on devient vieux quand on arrête de faire du vélo.

Pour toutes ces raisons, les autorités néerlandaises investissent chaque année 510 millions d’euros pour le vélo (4 fois plus qu’en France). Le résultat est époustouflant : une économie de 19 milliards d’euros en termes de santé et de productivité ! Le bénéfice s’exprime non seulement en termes de santé et de productivité, mais aussi en termes d’autonomie et de liberté pour les enfants. Pourquoi investir des milliards dans le transport scolaire (bus, chauffeur, carburant, administration) alors qu’on peut utiliser cet argent pour créer un réseau cyclable sur lequel les enfants peuvent aller à l’école sans aide ? C’est ce que font 3 enfants sur 4 aux Pays-Bas. C’est une vision d’avenir, car les enfants sont 20% de notre population, mais 100% de notre futur.

Quelle est votre motivation pour vous lancer dans le cyclisme ?

D’abord j’évite le mot « cyclisme » car ça renvoie au Tour de France. Je dis cela car le frein principal au développement du vélo en France est dans la tête : le fait qu’on associe le vélo à un sport, alors que c’est avant tout un TRAN-sport. Je parle donc du « vélo » plutôt que du « cyclisme ». 
Pour ma motivation, contrairement à ce qu’on pourrait penser, je n’étais pas du tout destiné à être un militant, et encore moins pour le vélo. Car pour un Hollandais comme moi, le vélo n’est pas un sujet. Ce qui m’a mis sur ce chemin est simplement le besoin de me rendre utile à la société et d’agir. Pour moi une belle manière de se rendre utile est de participer aux décisions concernant sa ville. Donc en 2016 je me suis engagé dans un comité d’habitants de ma ville Fontenay-aux-Roses (92). J’ai alors proposé de créer un groupe de travail pour rendre ma ville cyclable, car je trouvais dommage que personne n’utilise le vélo alors que ma ville est à 25 minutes à vélo de Paris. Ce groupe est devenu une association, FARàVélo. J’ai ensuite co-fondé le Collectif Vélo Île-de-France, qui regroupe toutes les associations de cette région de 12 million d’habitants. Dans cette incroyable aventure j’ai trouvé exactement ce que je cherchais : la possibilité de participer activement à la transformation de la société en me faisant plein de copains. Et aussi la possibilité de me dépasser en devenant un acteur reconnu dans un domaine. Une cause, même aussi basique que le vélo, peut vous transformer totalement personnellement et professionnellement. 

Il y a encore des gens en France qui ont peur du vélo à cause des automobilistes, est-il logique ? Quelle solution proposez-vous ?

La peur n’est pas logique mais psycho-logique par nature. Au lieu de la raisonner – ce qui est impossible – mieux vaut la comprendre pour la gérer. Je me mets donc toujours à la place d’un enfant de dix ans à vélo, et là je comprends tout de suite qu’il est inenvisageable que je partage la route avec des bus de 11 tonnes. Une fois que vous avez compris cela, la solution est simple : il faut séparer l’enfant des voitures par une bordure, une piste cyclable. Cette séparation physique est nécessaire car il fait disparaître la peur, ce qu’une simple bande cyclable (un trait de peinture) ne fait pas. Ce qui fait hésiter les gens à prendre le vélo n’est pas le danger objectif (en réalité le vélo n’est pas dangereux) mais la peur d’être en danger. Ce n’est donc pas en disant à une personne « n’ayez pas peur, les voitures ne vous toucheront pas » que vous allez lui donner envie de faire du vélo. Mais dès que vous créez un réseau cyclable continu il va tout d’un coup adorer le vélo, qu’il soit Français, Hollandais ou Chinois ! 

Les Jeux Olympiques ont lieu. Comment évaluez-vous les dispositions de la mairie parisienne pour faciliter la circulation des cyclistes ? Quel est le rôle des Jeux Olympiques dans la promotion de la culture cycliste ?

Les grands changements s’appuient toujours sur trois C : des Citoyens qui expriment un désir de changement, du Courage politique pour mettre en œuvre le changement et un Choc qui oblige à agir et à aller vite. La pandémie a été un choc (sanitaire) qui a bousculé notre imagination, et qui a donné lieu à un réseau de « coronapistes ». En dix jours, on a fait plus pour le vélo qu’en dix ans. Les JO sont un nouveau choc, logistique cette fois-ci, qui a obligé les autorités à changer le système de mobilité pour faire face à un afflux extraordinaire. Il se trouve qu’une piste cyclable transporte 7 fois plus de personnes qu’une voie motorisée, il était donc logique d’investir massivement dans le vélo. C’est ce que Paris a fait en créant un réseau d’ « olympistes » qui resteront après les JO. Mais des pistes ne suffisent pas, il fallait aussi proposer des vélos et du stationnement supplémentaire : 10.000 places de stationnement vélo, 3.000 Vélib’s et 30.000 vélos en libre-service. 

Cet effet d’accélérateur des JO va plus loin : ils ont été un test grandeur nature pour un nouveau plan de circulation. Ce test, on appelle ça l’urbanisme tactique, a permis à Paris de tester sa capacité à piétonniser le centre-ville. Ensuite viendra la phase 2 du test, les Jeux Paralympiques en septembre quand les Parisiens seront revenus. Ce grand test permettra à Paris de mettre en place une Zone à Trafic Limité définitive dans son centre-ville à l’automne. Bref, le choc des JO n’a pas été bon que pour le sport, mais aussi pour la mobilité et la qualité de vie qui en découle. Un véritable choc de l’imaginaire qui transformera Paris et consolidera son titre de la ville la plus désirable au monde.

Afin de préserver l'environnement, certains pays européens comme la France et le Royaume-Uni envisagent de mettre fin à la vente de voitures thermiques et d'augmenter la production de voitures électriques dans les prochaines années. Qu’en pensez-vous ? 

Cette mesure Européenne est un signe d’espoir. Elle montre que la politique peut créer des changements dont l’impact sera très grand et positif pour le climat et notre avenir. En revanche, je nous mets en garde contre un piège : celui de continuer à rouler comme avant car « c’est propre maintenant ». La voiture propre n’existe pas. Bien que la voiture électrique émette 2 à 3 fois moins de CO2 sur toute sa cycle de vie, elle en émet toujours trop pour pouvoir continuer de rouler comme avant. Car le transport représente 30% des émissions françaises, et c’est hélas la seule source d’émissions qui ne baisse pas mais augmente même. Sans parler des particules fines que la voiture électrique émet en plus grande quantité, à cause du poids des batteries qui usent les pneus plus vite. Peu savent que la plus grande pollution de microplastiques dans les océans est la poussière des pneus !

En conclusion, évitons de croire que la voiture électrique sauvera la planète, alors que son objectif est plutôt de sauver l’industrie automobile… On n’a vraiment pas besoin d’autant de voitures lourdes. On peut les partager et éviter beaucoup de trajets en voiture, puisque 50% de nos trajets sont inférieurs à 5 km, soit 20 minutes à vélo. Heureusement, des véhicules plus légers sont actuellement développés, les véhicules intermédiaires. Ils se situent entre le vélo et une petite voiture de 600 kg. Le futur de la mobilité se situe dans ce domaine-là : l’émergence de toute une panoplie de mobilités légères dont on ne sait plus vraiment s’il s’agit d’un vélo ou d’une voiture. Pour résumer, le futur de la mobilité n’est ni le vélo, ni la voiture, mais la disparition de la frontière entre les deux.

Photo : Stein van Oosteren dans un véhicule intermédiaire

 

A lire :
« Pourquoi pas le vélo ? Envie d’une France cyclable », Ecosociété (2021)
« 50 bonnes raisons de faire du vélo », Makisapa (2023)

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