Interview de Nicolas Barla, ingénieur réseaux électriques
Présentez-vous d’abord.
Je suis ingénieur spécialisé dans l’énergie, je travaille dans un institut de recherche sur les réseaux électriques (SuperGrid Institute). Je suis aussi élu à la Métropole de Lyon, membre des Shifters, animateur Fresque du Climat et 2tonnes, et j’ai une chaîne Youtube (Barla Energie Climat) sur laquelle je parle des enjeux climatiques et énergétiques (en particulier au niveau du système électrique).
Les responsables du projet Emili dans l’Allier affirment que ce projet est respectueux de l'environnement. Dans quelle mesure adhérez-vous à cette affirmation ?
En avril dernier j’ai contribué à la concertation organisée par la CNDP sur ce projet. J’ai lu attentivement le dossier du maître d’ouvrage, voici ce que j’en ai retenu :
- la mine sera souterraine, exploitée à partir du fond (les résidus sont utilisés comme remblais)
- les matériaux seront transportés par train et par canalisation, pas par camion
- la consommation d’eau sera très limitée pour un projet minier : l’eau sera utilisée dans des circuits fermés alimentés par une station d'épuration pour compenser l'évaporation dans certains procédés
Source des schémas : dossier du maître d’ouvrage
Ce projet n’aura bien sûr pas un impact nul sur l’environnement, mais il est bien conçu et de gros efforts ont été faits pour limiter ses impacts (notamment paysager, carbone, et hydrique).
Réaliser ce projet me paraît particulièrement pertinent car :
- les impacts sociaux et environnementaux des projets miniers sont beaucoup plus faibles s’ils sont réalisés en Europe qu’ailleurs
- le lithium est un métal critique : il est indispensable pour électrifier les usages et notre sécurité d’approvisionnement n’est pas garantie à moyen terme
- l’électrification des usages est le principal levier à notre disposition pour sortir des combustibles fossiles, en complément d’une évolution de nos modes de vie vers plus de sobriété
- les impacts de l’usage de combustibles fossiles sont sans commune mesure avec ceux de l’extraction des ressources minières nécessaires à la transition énergétique
L’exploitation minière du lithium au Chili a provoqué des problèmes sociaux. Ce travail en France ne poseront-ils pas des problèmes aux populations locales ?
À ma connaissance il ne devrait pas y avoir de problèmes sociaux pour la population locale. Au contraire : le projet permettra de créer des emplois.
Au Chili les problèmes sociaux sont liés à la dégradation de la ressource en eau pour les populations locales. Le lithium est extrait dans la saumure (mélange d’eau et de sels) des salars (lacs très salés, aussi appelés « déserts de sel ») puis est placé dans des bassins géants afin que l'eau s'évapore. Au bout de 12 à 18 mois les sels (composés en partie de lithium) sont récupérés au fond des piscines. Cette méthode est lente et consommatrice de grandes quantités d'eau.
La technologie prévue pour le projet EMILI est différente : la matière extraite de la mine sera envoyée dans une usine de concentration puis une usine de conversion, dont la consommation d’eau ne représentera que 1 200 000 m3/an.
Source du schéma : dossier du maître d’ouvrage
En France, 27 milliards de m3 d’eau sont prélevés chaque année : 4 milliards sont consommés et le reste est rendu au milieu naturel. Ces 4 milliards de m3/an pour 70 millions d’habitants représentent 60 m3/an/hab. Les 1 200 000 m3/an consommés par le projet EMILI sont donc équivalents à la consommation d’eau de 20 000 habitants. C’est tout à fait raisonnable pour un projet qui permettra presque de satisfaire les besoins en lithium du pays !
Le graphe suivant représente la répartition des prélèvements et consommations d’eau en France (en millions de m3/an entre 2010 et 2020):
Source du graphe : Ministère de la Transition Ecologique
Source du schéma : dossier du maître d’ouvrage
Récemment, un débat public a été lancée pour le projet Emili. Comment évaluez-vous le rôle de telles actions dans la préservation de l’environnement ?
Les concertations et débats publics permettent aux citoyens de s’approprier les enjeux des différents projets, de se faire un avis éclairé et de faire entendre cet avis. Ces processus permettent aux décideurs de faire de meilleurs arbitrages, et aux citoyens de mieux accepter les décisions prises. C’est une saine approche de la démocratie qui permet aux citoyens de s’impliquer en-dehors des élections.
Comment évaluez-vous les politiques du gouvernement français en matière de transition écologique et énergétique ?
Je trouve que les politiques menées par les gouvernements de ces dernières années (nous n’avons plus de gouvernement depuis le 16 juillet) sont allées dans de bonnes directions, mais beaucoup trop lentement.
Notre pays a fait de belles choses : signature des Accords de Paris, objectif de neutralité carbone pour 2050 et de -55% entre 1990 et 2030, Stratégie Nationale Bas Carbone (SNCB) avec des budgets carbones quinquennaux, Stratégie Nationale Biodiversité, Programmation Pluriannuelle de l'Energie (PPE), Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC), Haut Conseil pour le Climat (HCC), Convention Citoyenne pour le Climat, Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE), …
Les plans, organismes et acronymes ne manquent pas ! Il serait très exagéré de parler d’inaction climatique. L’Etat a une très bonne compréhension des enjeux et une forte volonté de décarboner le pays. Mais le dernier gouvernement était très frileux sur l’évolution des modes de vie vers plus de sobriété, et sur les moyens financiers à accorder à la transition écologique.
J’espère que le prochain gouvernement accordera plus d’importance et de moyens à ces sujets. Le Nouveau Front Populaire affiche clairement une volonté en ce sens, l’extrême-droite veut faire marche arrière toute sur ces sujets, et les libéraux et la droite veulent plus ou moins continuer les politiques actuelles.