Marie-Monique Robin, dans le monde de Monsanto
Depuis quinze ans, Marie-Monique Robin traque les dégâts environnementaux et sanitaires causés par Monsanto. Elle s'est fait connaître, en 2008, avec la publication du retentissant « le Monde selon Monsanto ». Aujourd'hui, elle poursuit son enquête accablante, déclinée en livre et documentaire : « le Roundup face à ses juges ». Entretien.
HD. Pourquoi le glyphosate pourrait être le prochain scandale sanitaire ?
MARIE-MONIQUE ROBIN. Parce qu'il estprésent partout : dans l'eau comme dans les aliments. La Commission européenne a établi une liste de 378 aliments susceptibles de contenir des restes de glyphosate : céréales, légumes, fruits et viandes. Les animaux sont nourris avec du soja OGM importé d'Argentine ou des États-Unis, imbibé de glyphosate. Ces OGM ont précisément été conçus pour être tolérants au glyphosate. Un autre usage, très peu cité, est aussi inquiétant. Il est utilisé comme agent « dessiccatif » : juste avant la récolte de blé, le Roundup est épandu pour assécher et accélérer le mûrissement des grains. J'ai montré dans mon livre que, contrairement à ce que dit Monsanto, il y a une translocation du glyphosate vers les graines. Dès la première application, la plante s'imbibe. C'est ainsi qu'une étude britannique montre que le pain complet non bio en est particulièrement imbibé.
Nous avons tous des résidus de glyphosate dans nos organismes. Des tests d'urine réalisés en Allemagne sur 2 000 personnes le montrent : les plus touchés étant les enfants et les mangeurs de viande.
La molécule est cancérogène, mais aussi tératogène. Elle peut entraîner des malformations chez les enfants dont la mère a été exposée pendant la grossesse. De plus en plus d'études établissent un lien avec l'autisme. Et le glyphosate agit à très faibles doses... Enfin, il est un antibiotique à large spectre, Monsanto en a obtenu le brevet en 2010. Nous avons donc des résidus d'un antibiotique très puissant dans l'organisme, qui détruit les bonnes bactéries de l'intestin et encourage les agents pathogènes.
HD. Pourtant, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir beaucoup de volonté pour l'interdire ?
M.-M. R. Il faut souligner leur incohérence. Depuis le 1er janvier 2017, les collectivités ne peuvent plus utiliser d'herbicides, au motif de la protection des populations. En 2019, le Roundup sera interdit aux particuliers. Cela veut bien dire qu'il y a un problème avec cette molécule. Le gouvernement doit l'interdire. Il doit aussi prendre des mesures d'accompagnement pour les agriculteurs. Cela suppose d'encourager la recherche publique pour trouver des solutions techniques. Nous avons besoin d'une recherche au service des paysans, pas de l'agro-industrie.
C'est possible. En 1985, une étude parue dans « Nature » fait le lien entre les CFC (chlorofluorocarbures, des gaz réfrigérants) et le trou de la couche d'ozone. Les gouvernements sont alors exemplaires. Contrairement à l'amiante, le tabac ou le bisphénol A... ils n'attendent pas une autre étude pour refaire un rapport, ils signent le protocole de Montréal : aujourd'hui, la couche d'ozone est en train de se reconstituer.
Là, nous avons un commissaire européen à l'Agriculture, Phil Hogan, qui dit devant le Parlement que le glyphosate n'est pas pire que le beurre. C'est proprement scandaleux. Après tout ce qui est sorti sur le glyphosate...
HD. Vous décrivez toutes les pratiques de Monsanto, aussi révélées par les Monsanto Papers ?
M.-M. R. Ce sont toujours les mêmes techniques. Monsanto fait des études toxicologiques jamais publiées dans la littérature scientifique sous le prétexte du secret commercial. J'ai eu accès au dossier d'homologation : leurs études montrent qu'il est tératogène (une étude de 1981) et cancérogène (1981 et 1983). Ces données ont été cachées... L'entreprise finance aussi de pseudo-laboratoires indépendants. Dans mon livre, la lobbyiste américaine Diane Forsythe raconte comment elle était chargée de trouver des scientifiques, hommes de paille de l'industrie, pour monter au créneau à chaque mise en cause de la molécule. Voilà comme ils sèment le doute.
HD. Les agences réglementaires ne font pas leur travail ?
M.-M. R. Elles ne sont que des faire-valoir pour les fabricants. Elles servent les intérêts de l'industrie, au détriment de la santé des citoyens. Dans l'affaire du glyphosate, on sait que l'agence allemande, le BfR, dans son prérapport, n'a fait que copier-coller celui de Monsanto. En 2015, alors que le Circ a classé cancérogène probable la molécule, l'Efsa, l'autorité européenne de sécurité des aliments, le juge « improbable ». L'Efsa a eu accès aux études et a écarté toutes celles qui soulèvent des problèmes avec cette molécule par des arguments complètement bidon que j'ai décortiqués. 96 scientifiques de renom en ont été scandalisés !
Cela pourrait constituer une grave crise institutionnelle. L'Efsa a été créée en 2002 pour rétablir la confiance entre les citoyens et les agences sanitaires... Comment s'en sortir ? Car il faudrait déjuger son travail. Ce qui laisserait entendre que tous les avis qu'elle a émis peuvent être entachés de suspicion... La Commission et les États membres doivent avoir le courage de reconnaître que le processus d'évaluation des produits chimiques ne fonctionne absolument pas.
le 19 octobre sort le livre « le roundup face à ses juges », de Marie-Monique robin, éditions la Découverte
une partie du livre
LE SRI LANKA A DIT NON AU GLYPHOSATE DEPUIS DEUX ANS
En juin 2015, au milieu de l'océan indien, l'île du sri lanka interdit le glyphosate. son président, d'origine paysanne, compte bien « protéger la santé du peuple » contre « l'herbicide responsable d'une maladie chronique rénale touchant 15 % de la population en âge de travailler » et qui a déjà tué « 20 000 personnes ». pour y arriver, il a fallu le combat d'un médecin, raconté par Marie-Monique robin dans son livre. channa Jayasumana a voulu comprendre pourquoi les riziculteurs étaient touchés par cette maladie, jamais vue avant 1994. En 2000, c'était déjà une épidémie... les malades arrosaient leur rizière d'herbicides à base de glyphosate et consommaient l'eau de leurs puits. l'eau y est naturellement « dure », elle a des taux élevés de magnésium et de calcium. « comme dans le sud de l'inde ou sur les côtes du salvador, du nicaragua et du costa rica », précise la journaliste. Dans les puits du sri lanka, le chercheur a relevé des niveaux très élevés de métaux lourds, ainsi que des restes de pesticides, essentiellement du glyphosate. pour comprendre, il faut s'intéresser à son pouvoir de « chélation » : il « attrape » métaux et minéraux et les rend solubles dans l'eau. c'est pour cette caractéristique que le premier brevet a été déposé en 1964 par la compagnie stauffer chemical. le glyphosate était alors utilisé comme détergent dans les chaudières !
Au sri lanka, le cocktail est détonant : « les résidus de glyphosate rejoignent la nappe phréatique, ils se lient aux minéraux et autres résidus d'engrais et pesticides pour former un "chélate", un complexe stable, qui peut rester dans les nappes près de trente ans et est beaucoup plus toxique pour les reins que le glyphosate ou les métaux lourds pris séparément », expliquait le chercheur devant le tribunal international contre Monsanto, qui s'est tenu en 2016 à la haye. À la barre, il a aussi raconté la campagne de diffamation des industriels du glyphosate, Monsanto en tête, pour remettre en cause son travail. Deux ans après, l'interdiction tient toujours... Mais le combat n'est pas fini. le ministre des plantations a annoncé qu'il pourrait étudier une levée partielle de l'interdiction... les récoltes ont été mauvaises, les grosses plantations de l'industrie du thé (3e producteur mondial) se font plus pressantes pour lever l'interdiction. sauf que la cause de ces mauvaises récoltes est à chercher du côté de « la sécheresse et du glyphosate... qui a dégradé les sols », écrit le « Daily Mirror sri lanka ».