Derrière l’avenir radieux promis par ces chiffres spectaculaires, n’y a-t-il pas la menace du déclin assuré d’un modèle économique et social
La bio, un business model ?

Avec une croissance à deux chiffres qui fait rêver en ces temps de difficultés économiques, la bio a le vent en poupe. Mais son modèle économique est en tension, entre petites structures de vente et de production et industrialisation.

20 % de croissance : un chiffre digne de la propagande soviétique sous Staline, et pourtant : c’est celui de la bio au premier semestre 2016 en France. Un marché estimé à 6,9 milliards d’euros en 2016 selon l’Agence bio. Mais en gagnant de la vitesse, la bio est-elle en train de perdre ses valeurs ? Derrière l’avenir radieux promis par ces chiffres spectaculaires, n’y a-t-il pas la menace du déclin assuré d’un modèle économique et social alternatif et durable ?

C’est en tout cas l’inquiétude soulevée par Adnan Jaoui, Claude Gruffat, Didier Perréol et Jean Verdier, respectivement présidents de Biodéal, de Biocoop, d’Ekibio et du Synabio. Avec l’aide d’une trentaine d’experts de l’alimentation durable, ils ont écrit un e-book intitulé Alimentation naturelle (bio) et durable : état des lieux et perspectives.

Un modèle économique en tension

Sans doute ont-ils raison de s’inquiéter : depuis quelques années, flairant le bon filon, les industriels ne se font pas prier pour surfer sur la vague verte de la bio. Dans les villes par exemple, des enseignes aux couleurs vitaminées fleurissent comme des roses au printemps : celles de petites surfaces qui ne proposent que des produits estampillés naturels (bio).

Parmi les marques de grande distribution qui ont franchi le pas, Carrefour avec sa ligne Carrefour bio ouverte en 2013, Auchan et ses magasins Coeur de Nature, Casino qui multiplie l’ouverture de magasins Naturalia (plus de 140 en 2016, contre 64 en 2011(2)), Intermarché proclame qu’« il fait bio tous les jours », Leclercq développe sa marque Bio village… La liste est longue.

Outre ces petits magasins spécialisés, en matière de bio, les supermarchés se partagent la plus grosse part du gâteau : la majorité des ventes de produits se fait dans les grandes et moyennes surfaces (près de 45 % des produits naturels (bio) en 2015). Un enjeu de taille pour les grands groupes, et un bon filon pour la communication : en octobre dernier, le nouveau président de Monoprix Régis Schultz a ainsi annoncé le remplacement de la baguette classique par une baguette naturelles (bio), sans hausse de prix.

Le développement de la bio en grande surface : un bon signe ?

Les magasins spécialisés en bio ont peur de se faire couper l’herbe sous le pied par les grandes et moyennes surfaces. D’autant que certains se font avalés tout crus par les ténors de l’agroalimentaire. Monoprix a racheté Naturalia, tandis que Carrefour a acquis Greenweez, le leader français du e-commerce bio.

Mais faut-il forcément considérer la progression de la bio dans les supermarchés comme un danger ? Pour Étienne Paulin, de la Coop du Val Fleury, c’est plutôt un bon signe : « Le développement dans la grande distribution est important, car plus on augmente la proposition des produits dans les différents vecteurs de distribution, automatiquement cela va emmener plus consommateurs. »

Pour les acteurs du secteur, si les supermarchés veulent prendre une juste part à la progression de la bio, ils doivent jouer fair-play. « Aujourd’hui encore, la grande distribution communique sur le bio pas cher, il est urgent que les enseignes qui adhèrent à l’esprit de la Bio communiquent sur le prix juste. (…) La Bio ne gardera ses valeurs qu’en créant une autre forme d’économie », note Alain Delangle, de biocohérence. System U semble avoir retenu la leçon : la coopérative de commerçants a créé une gamme de produits laitiers bio en partenariat avec le collecteur Biolait et le transformateur LSDH, basée sur un partenariat de trois ans renouvelable avec une négociation préalable des volumes de lait souhaités et une rémunération des partenaires « au juste prix ».

« L’agriculture biologique ne peut être réduite à un mode de production et de consommation »

Pour les auteurs d’Alimentation bio et durable : état des lieux et perspectives, les chiffres de croissance de la bio masquent en effet un enjeu majeur. Selon Franck Bardet, responsable de la filière animale chez Biocoop : « Quand les gens parlent du bio, ils parlent des produits bio, alors que la Bio est une filière constituée d’acteurs qui prennent en compte une vision, une activité sociale et économique, voire un modèle de société ». Les auteurs de l’e-book résument : « l’agriculture biologique ne peut être réduite à un mode de production et de consommation ».

Pour Claude Gruffat, président de Biocoop, consommer bio ne suffit pas, encore faut-il devenir « consomm’acteurs » : « Quand je fais mes achats chez Biocoop, dans une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), au marché paysan, je vote pour un certain modèle de société qui se construit avec un certain modèle économique, celui de l’économie de besoins, celui de l’Économie Sociale et Solidaire. Quand je fais mes achats dans la distribution de masse standardisatrice, je vote pour un autre modèle économique, un autre modèle de société : celui de la prédation, de la concentration de la valeur ajoutée sur peu de personnes, de l’appauvrissement du plus grand nombre, celui de la financiarisation de l’économie. »

La bio : un futur certain

Même si les grandes et moyennes surfaces accaparent toujours la plus grande part du marché du bio, la tendance pourrait bien s’inverser à l’avenir. En effet, ce sont la vente directe et les ventes en magasins spécialisés bio qui progressent le plus vite (respectivement +20 % et +17 % en 2015 par rapport à 2014).

Mais les auteurs de l’e-book pointent un risque pour l’avenir : une filière bio à deux vitesses, « en route vers la médiocrité dorée », avec d’un côté, des circuits courts de produits locaux et de saison qui rémunèrent justement les producteurs ; et de l’autre, une gamme impressionnante de produits naturels (bio) importés, produits à bas coûts aux quatre coins du monde par des travailleurs pauvres, et dont les prix fluctuent au rythme des cours mondiaux.

Source : consoglobe.com
 

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