Impact du réchauffement climatique sur le PIB : pourquoi les statistiques se trompent
Depuis la parution du premier rapport du GIEC sur le changement climatique en 1990, les publications scientifiques sur ses conséquences potentiellement dévastatrices se sont multipliées : températures insoutenables dans les régions tropicales, sécheresses, possible déstabilisation des calottes polaires et hausse majeure du niveau marin…
Pourtant, face à ces perspectives alarmantes, la plupart des estimations des dommages économiques associés suggèrent que la perte de PIB mondial serait limitée à quelques pour cent. Nettement moins que les 4,5-6 % de pertes liées à l’épidémie de Covid-19. Autrement dit, tout cela ne serait pas bien grave.
Ces deux visions semblent difficilement conciliables. Les méthodes employées pour évaluer les potentiels dommages climatiques ont déjà été sévèrement critiquées pour leur manque de fondements scientifiques, mais la croyance qu’un réchauffement global de 3 ou 4 °C n’est qu’un problème mineur reste courante chez bien des économistes.
Des projections fondées sur une approche statistique
Parmi les méthodes les plus fréquentes, l’approche statistique a le vent en poupe. Il s’agit généralement d’établir empiriquement un lien entre le PIB et une ou plusieurs variables climatiques (température, précipitation…) utilisées comme indicateurs de l’ensemble des impacts climatiques. Ce lien est établi à partir des données disponibles sur les dernières décennies, puis employé pour projeter le PIB futur avec ou sans changement climatique.
Ainsi, une étude parue en 2015 a proposé une relation entre température moyenne annuelle et croissance du PIB à l’échelle des pays. Dans cette hypothèse, un réchauffement global de 4 °C en 2100 conduirait à une réduction du PIB mondial d’au moins 23 %.
Ce chiffre peut sembler élevé, mais il s’agit d’une perte de PIB potentiel, c’est-à-dire par rapport à ce qu’il aurait été à cette même date sans changement climatique. Le scénario socioéconomique utilisé comme référence postulant la poursuite d’une forte croissance au XXIe siècle, le monde n’en serait pas moins plus « riche » qu’aujourd’hui.
Une autre étude, parue en 2018, estime quant à elle que le climat joue sur le niveau de PIB et non pas sur sa croissance. Dans ce cas, les conditions météorologiques annuelles peuvent exercer un choc sur une économie, mais n’affectent pas la trajectoire projetée et la perte de PIB mondial en 2100 serait limitée à seulement 1-2 %.
Démonstration par l’absurde
De notre point de vue, ces projections sous-estiment l’une comme l’autre les dommages potentiels d’un réchauffement global de cette ampleur.
Or, si l’on peut éprouver des difficultés à se figurer les nouvelles conditions climatiques et environnementales pour un réchauffement de 4 °C, faute de situation analogue dans un passé récent, nous pouvons avoir une bonne idée de ce à quoi elles ressembleraient pour un refroidissement de 4 °C : car cela correspondrait à un retour à la dernière période glaciaire, pour laquelle nous disposons non seulement de simulations climatiques, mais également de nombreuses données de terrain.
Urgence climatique, le coût exorbitant de la procrastination
Aussi, afin de souligner encore le caractère irréaliste des projections de dommages obtenues par approche statistique, nous avons adopté une approche originale de démonstration par l’absurde et appliqué les méthodologies des deux études citées précédemment à un hypothétique refroidissement de 4 °C en 2100.
Nous avons ensuite confronté les projections de PIB obtenues à ce que la littérature scientifique nous dit du visage de notre planète au maximum de la dernière ère glaciaire, il y a 20 000 ans. Nous n’avons pas considéré les calottes glaciaires de plusieurs kilomètres, qui recouvraient alors le Canada et les pays scandinaves, car leur croissance requiert des millénaires et non pas quelques décennies.
En utilisant l’hypothèse que la température affecte le niveau de PIB, nous avons obtenu une perte de PIB potentiel mondial de moins de 2 % en 2100. Les pays essuyant le maximum de pertes sont ceux du nord, avec par exemple – 8 % pour le Canada ou la Norvège, alors que ceux du sud connaissent une augmentation de PIB de 1-2 %.
En nous fondant sur une relation entre température et croissance annuelle du PIB, nous avons obtenu un effondrement complet du PIB des pays du nord, mais une forte croissance du PIB dans les régions tropicales. Au niveau global, les gains au sud font plus que compenser les pertes au nord et le PIB mondial progresse de 36 % par rapport au scénario de référence.
Des résultats irréalistes
Contrairement à ce que suggèrent ces chiffres, les conditions dans un tel scénario seraient dramatiques pour une bonne partie de l’humanité. Citons quelques éléments majeurs :
- Le Canada et les pays scandinaves seraient enfouis sous une couche de neige permanente et croissante de plusieurs mètres et verraient leur température moyenne annuelle diminuée d’environ 20 °C ; les régions alpines, les pays baltes, une partie des îles britanniques, de la Pologne et de l’Allemagne seraient également enterrés sous la neige. Il est donc assez peu vraisemblable que les populations et les activités humaines pourraient s’y maintenir à leurs niveaux actuels.
- Les températures hivernales en Europe de l’Ouest chuteraient de 10 à 20 °C, le sol gelé en permanence jusqu’à la latitude de Bordeaux, la végétation naturelle actuelle remplacée par de la steppe ou de la toundra et de gigantesques tempêtes de sable surviendraient.
Maintenir une agriculture serait extrêmement difficile, sinon impossible, les infrastructures endommagées par le froid, les besoins énergétiques pour le chauffage exploseraient… En bref, là encore, difficile d’imaginer que la population européenne puisse se maintenir à son niveau actuel.
- En Chine, le sol gelé s’étendrait jusqu’à Pékin, le froid empêcherait la céréaliculture dans les plaines du nord, le débit du Yangtze serait diminué de moitié avec un impact majeur sur la production hydroélectrique.
- Dans les tropiques, la diminution des températures serait modérée (2-3 °C), ce qui pourrait favoriser les pays concernés, mais ce refroidissement s’accompagnerait de perturbations sérieuses du cycle hydrologique, avec une forte diminution de la mousson et une expansion des déserts sur plusieurs centaines de kilomètres.
Les résultats obtenus en liant température et niveau de PIB ne sont donc absolument pas réalistes et disqualifient clairement cette approche. Pour le Canada par exemple, comment imaginer que les conséquences du passage à un climat polaire permanent en quelques décennies à peine n’affecteraient pas sa croissance et se limiteraient à une perte de 8 % de PIB potentiels ?
Ceux obtenus avec un impact sur le taux de croissance semblent plus plausibles, du moins pour les pays du nord. Mais les projections d’augmentation du PIB des pays en zone tropicale, outre qu’elles ne prennent pas en compte l’impact sur l’économie mondiale d’un effondrement complet de la plupart des pays de l’OCDE, ne sont pas crédibles : nous avons par exemple conclu à une augmentation de plus de 300 % du PIB des pays sahéliens, difficilement conciliable avec une expansion du Sahara de plus de 400 km vers le sud.
Et si c’était le réchauffement climatique qui provoquait la stagnation séculaire ?
L’utilisation de ces approches statistiques aboutit donc à des projections de PIB absurdes dans le cadre d’un hypothétique retour en période glaciaire à la fin du siècle. Il n’y a aucune raison de supposer que ce type de méthodologie puisse nous fournir des projections plus fiables dans le cas d’un réchauffement global qui pourrait être de même amplitude que celui qui nous sépare de la dernière période glaciaire.
Pourquoi ces résultats absurdes ?
Les raisons potentielles de l’échec de ces approches, détaillées dans notre article, sont nombreuses. Citons-en quelques-unes, non exhaustives :
- Les moyennes annuelles, à l’échelle d’un pays, des températures ou des précipitations sont probablement de mauvais indicateurs des phénomènes climatiques susceptibles d’occasionner des dommages, notamment les événements extrêmes. Il serait sans doute judicieux d’utiliser aussi les variations de températures et/ou précipitations.
- Par construction, certains facteurs de risque climatiques majeurs ne sont pas pris en compte : changement de l’extension des glaciers et du pergélisol, modification du niveau marin et de la géochimie de l’océan ou bascule des écosystèmes, etc. Sans compter les bouleversements induits sur les relations socioéconomiques entre les États.
- La façon de gérer les cas où la température d’un pays sort de son intervalle historique est problématique. Deux cas de figure sont possibles :
Premier cas de figure : la nouvelle température se trouve dans l’intervalle historique d’autres pays ; on utilise alors la relation température-PIB établie pour ces autres pays. La validité de cette stratégie est indémontrable et reste assez douteuse, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté technique et du coût pour adapter des infrastructures initialement conçues pour durer des décennies à un climat radicalement différent. Par ailleurs, les écosystèmes ont leur vitesse d’évolution propre et peuvent mettre des siècles à atteindre un équilibre avec un nouveau climat.
Second cas de figure : La nouvelle température sort des conditions jamais observées dans aucun pays. Dans ce cas, on plafonne cette température à la valeur maximale (ou minimale) de l’échantillon de calibration, ce qui conduit potentiellement à une importante sous-estimation des dommages.
Ainsi, en admettant que des relations empiriques PIB-variable(s) climatique(s) établies sur quelques décennies soient fondées, ce qui reste très discutable, les conclusions que nous pouvons en tirer apparaissent très limitées : sur les dernières décennies, avec un climat encore assez stable, l’effet de la variabilité météorologique interannuelle sur le PIB semble relativement faible.
En sachant que seuls les impacts pour lesquels la température moyenne annuelle est effectivement un indicateur pertinent sont pris en compte. Aussi, nous estimons que ce type d’approche statistique ne peut permettre d’évaluer de façon réaliste les conséquences les plus graves d’un changement climatique de grande ampleur et ne devrait pas être utilisé pour cela.