Biodiversité : accélération de la disparition d'animaux sauvages
C'est un pourcentage qui ne cesse d'augmenter. Tous les deux ans, le WWF (World Wide Fund) réalise un rapport sur l'état de santé de la planète et l'impact de l'activité humaine. En 2016, dans son dernier rapport "Planète vivante", le WWF indiquait déjà que 58 % des populations de vertébrés avaient disparu entre 1970 et 2012 contre 52 % dans le précédent rapport. Cette année, le WWF révèle que ce pourcentage est passé à 60 % entre 1970 et 2014. Comment expliquer l'accélération de la disparition des vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) ? Et comment endiguer ce phénomène ? Décryptage.
L'activité humaine en cause
Le rapport Planète Vivante du WWF fait beaucoup réagir tous les deux ans, lors de sa publication, car il y dresse un constat alarmant sur la situation de la biodiversité à l'échelle mondiale. Et pourtant, tous les deux ans, cela ne fait qu'empirer. Cette année encore, le WWF met en garde. "Depuis 44 ans, nous avons perdu sur la planète 60 % d’animaux sauvages, des espèces proches de nous, comme des mésanges, ou des espèces iconiques, plus loin de nous, comme les éléphants, rhinocéros ou les tigres. Pourquoi ? car nous détruisons leurs habitats. Nous détruisons les forêts, les littoraux, les barrières de corail. Résultat : les espèces qui y vivent disparaissent également. L’humanité est en train de coloniser l’ensemble de la planète, il y a aujourd’hui moins de 20 % des terres qui sont vierges de l’activité humaine. Nous sommes en train de grignoter toute la place disponible qui était auparavant occupée par d’autres espèces que la nôtre", dénonce Pascal Canfin, le directeur général du WWF France.
Un constat que partage la communauté scientifique internationale. En 2011, le chercheur Gerardo Ceballos, de l'Institut d'Ecologie de l'Université national autonome du Mexique, participait par exemple à l'élaboration du rapport Accelerated modern human–induced species losses : Entering the sixth mass extinction dans lequel il pointait également du doigt l'accélération de la disparition des vertébrés. "Nous avons perdu en 500 ans plus de 1000 espèces et en 100 ans, entre 300 espèces et 400 espèces. Le taux d’extinction des 100 dernières années est cent fois plus important que celui des 2 derniers millions d’années. Les vertébrés qui ont disparu lors des cents dernières années auraient dû disparaître en 10 000 ans", met aujourd'hui en avant le chercheur mexicain. Il insiste notamment sur la croissance de la population, la consommation excessive et l’usage des technologies qui produisent des énergies fossiles dans la disparition d'espèces de vertébrés.
Dégradation, perte d'habitat, surexploitation, réchauffement climatique, agriculture intensive : les facteurs à l'origine de la disparition des espèces sont nombreux. L'ONG américaine, Panthera, qui oeuvre en faveur de la sauvegarde des félins dans le monde, et qui a une antenne en France depuis 2016, met également en avant la chasse et le braconnage. C'est même la deuxième cause de disparition d'animaux sauvages, selon l'ONG. Il existe par exemple des quotas décidés dans le cadre de la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction. "Pour les léopards, il est autorisé d'en tuer 2 500 par an dans un certain nombre de pays africains", explique Grégory Breton, biologiste spécialisé dans l’étude des félins et directeur général de l’antenne francophone de Panthera. Un chiffre qui ne prend pas en compte le nombre d'animaux tués lors de chasses illégales.
Selon l'ONG Panthera, il existe aujourd'hui moins de 100 000 félins sur la planète, toutes espèces confondues, dont 3900 tigres sauvages et 20 000 lions.
Préserver des terres vierges de toute activité humaine
Puisque la dégradation de l'habitat des animaux est la première cause de la disparition d'espèces, une des solutions passerait par la protection de l'écosystème dans lequel ils vivent. "Il faudrait préserver entre 30 et 40 % des terres émergées pour assurer la survies des services éco-systémiques majeurs qui permettent aux humains de vivre, des services essentiels comme la purification de l’eau et de l’air. Sinon, il y a des modèles qui montrent que l'on risque d’aller vers un collapse de la population humaine qui ne disposera plus de ces services pour assurer son devenir", affirme Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la Biodiversité.
Cette mesure de protection fait d'ores et déjà partie des objectifs dit d'Aichi, qui constituent le nouveau "Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020" pour la planète, et qui ont été adoptés lors de la Convention sur la diversité biologique en octobre 2011.
Jean-François Silvain reconnaît aujourd'hui que ces objectifs seront difficilement atteignables, notamment parce que la mise en place d'aires protégées "entre en conflit avec les humains": "cela veut dire limiter les activités humaines dans ces surfaces".
Pourtant, ces espaces "non-humains" sont primordiaux, comme le rappelle le WWF dans son rapport. "En s'attaquant au capital naturel de la planète, l'humanité se met elle-même en danger", peut-on y lire. "Si la nature disparaît, il faut la remplacer. Pourquoi ? parce qu’elle nous rend des services gratuitement. Exemple avec la pollinisation de nos céréales, de nos fruits et de nos légumes. _Si nous devions faire ce travail et remplacer tous les services que la nature nous rend gratuitement, par du travail humain ou par des technologies, les économistes nous disent que cela coûterait une fois et demi la totalité de la richesse qui est produite dans le monde_. Notre richesse économique, notre prospérité, notre qualité de vie sont adossées à des fondamentaux qui sont en train de disparaître. Nous ne sommes pas en capacité de payer pour les services rendus par la nature, cela nous coûterait une fortune, cela remettrait en cause l’ensemble de nos équilibres économiques. La meilleure chose à faire, c’est donc de protéger cette nature", détaille Pascal Canfin, du WWF France.
La lutte contre le braconnage
L'ONG Panthera mise, elle, sur la lutte contre le braconnage. "Il faut faire en sorte que les parcs nationaux et les pourtours de ces parcs aient les moyens réels de protéger les animaux. Il faut donc mettre en place des patrouilles, avec des réseaux de renseignement, des méthodes similaires à la lutte contre le terrorisme, pour faire en sorte qu’ils soient protégés. A ONG Panthera, nous avons élaboré des pièges photographiques qui vont détecter des formes étranges comme des véhicules, des formes humaines ou des vélos et qui, mis en réseau, vont permettre d’alerter les patrouilles pour qu'elles sortent sur le terrain directement. Aux pourtours des frontières, nous utilisons des chiens dressés pour détecter tout braconnage, toute dépouille ou carcasse. Nous aidons également les éleveurs à mettre en place des moyens pour protéger le bétail car bien souvent, les animaux sauvages sont abattus en représailles à des actes de prédation sur du bétail", détaille Grégory Breton, de l'ONG Panthera, présente dans 36 pays à travers le monde.
Changer les modes de consommation
Le WWF appelle à la mise en place de mesures concrètes dans son rapport pour éviter que la disparition de vertébrés ne s'accélère. "Il faut changer le modèle agricole, diminuer ce que nous importons comme huile de palme et comme soja, qui sont responsables de la déforestation de l’Amazonie ou des forêts d’Asie du sud-est à travers notre alimentation. Le bœuf, la viande que nous mangeons, contribue également à la déforestation et donc à la disparition du vivant puisque les forêts sont rasées et remplacées par des exploitations de monocultures immenses de soja. Ce soja est donné aux animaux, que nous mangeons ensuite. Cela peut paraître lointain mais la viande que nous mangeons a un impact direct et immédiat sur la déforestation de l’Amazonie. Nous pouvons, en diminuant notre consommation de viande, individuellement, diminuer notre propre impact sur la déforestation et donc sur la disparition des espèces", affirme Pascal Canfin, directeur général du WWF France.
Des recommandations évidemment partagées à l'étranger : comme le rappelle le chercheur mexicain, Gerardo Ceballos, de petits gestes au quotidien peuvent avoir un impact important sur la biodiversité. "Il faut consommer moins, utiliser des technologies moins polluantes, utiliser moins de plastique, des shampoings ou gels douche qui ne polluent pas l’environnement, baisser la consommation de vêtements", détaille-t-il.
Les enjeux de la sensibilisation
Au-delà des rapports du WWF, publiés tous les deux ans, la communauté scientifique se positionne en faveur d'une meilleure sensibilisation du grand public. Il est aujourd'hui plus simple pour les ONG d'alerte sur les changements climatiques que sur les risques de disparition d'espèces.
Le climat s’impose à nous, il génère des éléments extrêmes. Qu'il n'y ait plus de moineaux à Paris, cela ne va pas changer votre vie quotidienne. Idem pour les tigres en Inde, certains peuvent même se dire que les habitants seront tranquilles. Nous ne sommes pas face au même type de catastrophes.
Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité
La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) se heurte parfois à un "plafond de verre" quand elle tente de faire partager un constat scientifique. "_Nous n'avons pas une métrique unique, alors que les gens du climat peuvent parler de degrés et de tonnes d’équivalent carbone_. Nous avons une multiplicité d’indicateurs possibles. Quand nous discutons avec les acteurs du monde industriel qui se rendent compte qu’il faut intégrer les enjeux de biodiversité dans leurs actions pour réduire leur impact, ils nous demandent de pouvoir quantifier l'incidence de leur politique et ce n’est pas si facile que cela", déplore Jean-François Silvain, le président de la FRB.
Ces difficultés à sensibiliser le grand public posent problème alors que les ONG comme WWF comptent justement sur la "mobilisation des scientifiques" pour faire prendre conscience des enjeux de la biodiversité au public. "Tout le monde a entendu parler du dérèglement climatique. La prise de conscience sur la disparition de la nature, c’est beaucoup moins connu et la prise conscience est plus faible", regrette Pascal Canfin.