La probabilité de coupures d’électricité est faible pour l’hiver à venir
Mais dans certains scenarii, le délestage sera obligatoire si aucunes mesures de sobriété ne sont prises pour répondre à la fatigue d’un système structurellement sans marges.
Mercredi (14 septembre), en même temps que le discours sur l’État de l’Union européenne, le gestionnaire de réseau d’électricité français RTE présentait ses perspectives pour les mois à venir. Dans l’après-midi, le gestionnaire de réseau gazier GRTgaz procédait au même exercice.
Leurs constats sont similaires : en cas de tension, la baisse de la consommation énergétique sera nécessaire pour éviter les mesures de délestage. Et ce, même dans les scenarii qui prévoient la disponibilité du parc nucléaire et de faibles tensions sur le marché de l’électricité. Car si l’hiver peut être « chaud » ou sur la « médiane des simulations de météo » (intermédiaire), il peut aussi être « froid », voire « très froid ».
Le président du Directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, prévient également que l’automne est tout autant à risque que l’hiver, en raison de la faible disponibilité de l’énergie hydraulique (33 TWh contre 43 TWh en moyenne sur les années précédentes) et de la faible disponibilité prévisionnelle du parc nucléaire dont la moitié seulement est en fonctionnement au 12 septembre (280 à 300 TWh en 2022, contre environ 380 TWh entre 2016 et 2019).
Trois scenarii de production
Le gestionnaire de réseau distingue trois scenarii de production croisés avec quatre niveaux de températures.
Grâce à une approche volontariste, le scénario haut planche sur une rapide disponibilité du nucléaire (40 GW en décembre et 50 GW en janvier, soit 82 % des capacités) impliquant un rythme de remise en service des réacteurs « inédit » note RTE, ainsi qu’une faible, voire une absence, de tension sur l’offre gazière sur le marché européen — le scénario peut également être atteint avec de fortes mesures de sobriété.
Ainsi, même en cas d’hiver froid, voire très froid, le risque de coupures est faible.
Dans le scénario intermédiaire qui est le plus probable, la capacité disponible de nucléaire sera de 45 GW en janvier (environ 75 % du parc) ce qui demandera une grande capacité d’importation d’électricité. Les mesures de sobriété pourront être nécessaires dès un hiver dans la médiane des simulations météo, mais à des fréquences très réduites.
En cas d’hiver très froid, il sera nécessaire de prendre des mesures de sobriété, avec le risque, si cela n’est pas fait, de recourir à des mesures de sauvegarde du réseau, tel que des coupures temporaires et localisées.
Enfin, dans le scénario dégradé, le gaz manque, ce qui perturbe le marché de l’électricité, la disponibilité du nucléaire est très faible, tandis que la demande est stagnante. Dans ce scénario, et même dans le cas d’un hiver doux, RTE avance que les coupures seront «inévitables si la consommation ne baisse pas ».
Le délestage pourra être évité grâce à la mise en place d’une vingtaine d’actions de sobriété telles que les prévoit le dispositif Ecowatt mis en place par RTE.
Le risque de coupure est très faible
Mais le gestionnaire de réseau se veut rassurant : la conjoncture d’évènements amenant à des coupures d’électricité sera rare, voire « improbable » précise-t-il dans son résumé pour les décideurs. Dans la plupart des cas de tensions, l’effort collectif nécessaire portera sur une baisse de 1 à 5% de la consommation.
Par conséquent, le président du Directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, affirme que « nous pourrions traverser un hiver, même froid, sans difficulté » si des actions de sobriété sont menées. En juillet, un cadre de la gestion des risques confiait l’inverse à EURACTIV France en affirmant qu’il était « à peu près sûr que nous aurons des coupures d’électricité cet hiver ».
En ce sens, si le scénario dégradé s’accompagne d’une météo froide et prolongée, la vigilance devra être permanente avec jusqu’à 20-30 jours de tensions sur les six prochains mois. La baisse nécessaire de la consommation pourrait alors atteindre 15%, surtout entre 8 heures et 13 heures le matin, et 18 heures et 20 heures le soir durant la semaine.
La Commission européenne vient en ce sens de proposer un objectif contraignant de réduction de 5% de la consommation pendant certaines heures de pointe.
« La réduction de la demande permet de rééquilibrer le marché de l’énergie, de faire baisser la facture énergétique, de réduire les émissions et de nous protéger contre les manigances de la Russie avec le gaz », abonde Frans Timmermans, commissaire européen à l’Action pour le climat.
En outre, ces objectifs s’inscrivent dans le prolongement des objectifs de réduction de la demande de gaz adoptés par les États membres en juillet dernier, truffés d’exceptions.
Perspectives de GRTgaz
Les scenarii pour l’électricité sont étroitement liés à la disponibilité de gaz qui, moins en France quand dans d’autres pays de l’UE, permet tout de même de produire de l’électricité.
Pour preuve, les gestionnaires de réseau gazier GRTgaz et Teréga ont montré que la consommation de gaz pour la production d’électricité en France, hors cogénération, a doublé entre janvier-août 2021 (environ 24 TWh) et janvier-aout 2022 (environ 39 TWh).
Ainsi, côté gaz, un hiver aux températures moyennes, sans pics de froid marqués, ne forcera pas de mesures de sauvegarde du gaz, même sans approvisionnement en gaz russe, contrairement à un hiver froid ou très froid qui représenteront respectivement une disponibilité en baisse de 2 et de 4,7%.
Un déficit marginal est à craindre sur les quelques jours de grand froid, dans la mesure où la marge de manœuvre est très faible. Et contrairement à l’électricité, les pointes ne sont pas horaires mais journalières.
Il sera donc nécessaire d’économiser le gaz, et a fortiori l’électricité produite au gaz, pour éviter de piocher trop lourdement dans les stockages qui ne subviennent qu’à un tiers de la consommation française. Car tout soutirage en première partie d’hiver, qui concentre généralement le plus de journées de grand froid, aggravera le risque de moindre disponibilité pour la deuxième partie de l’hiver, même si les journées de grand froid sont généralement moins intenses.
Il faudra également conserver le gaz naturel liquéfié (GNL) dans les cuves pour permettre aux terminaux d’émettre à leur maximum durant les pointes de consommation précise GRTgaz, auquel cas il sera nécessaire de renflouer les stockages.
En cas d’hiver très froid, les consommateurs pourront également agir en réduisant de 1°C leur chauffage par exemple, ce qui permettrait une économie de gaz de 7% selon GRTgaz.
Pour l’ensemble des mesures de sobriété possibles, le gestionnaire mettra à disposition un dispositif similaire à celui d’Ecowatt pour l’électricité.
Recours à l’interruptibilité
L’industrie a également son rôle à jouer grâce aux dispositifs d’interruptibilité volontaire rémunérées. Le potentiel d’économie est de 200 GWh/j, soit environ 5 % de la consommation d’une journée très froide selon un croisement des chiffres de GRTgaz.
Le délestage des grands consommateurs ne sera entrepris qu’en dernier recours, en cas de très forte tension sur le marché et de faible économie d’énergie. En revanche, cette mesure seule ne pourrait couvrir le déficit (-258 GWh/j) d’une pointe de froid modérée en deuxième partie d’hiver très froid (base hiver 2010-2011) durant laquelle la disponibilité des stockages est moindre.
Mais « si tout le monde prend sa part, il n’y aura pas de coupure » rassure la Première ministre Elisabeth Borne, dans une conférence de presse suivant les présentations des gestionnaires mercredi.
En outre, « le risque que quelques pourcents de la consommation française ne puissent être alimentés durant certains jours est réel, mais la France ne court pas le risque d’un “black-out” » note RTE.