Sénégal : La réserve de la Somone, un sanctuaire de la biodiversité
L’aire marine protégée (AMP) de la Somone, dont l’écosystème naturel de mangroves ceinture une lagune salée, est un site écologique riche et plein de charme, qui s’étend sur plus de plus de 4.000 hectares à la fois sur la mer et la terre ferme.
Elle est, cependant, confrontée à un problème d’empiétement, lié au fait que, faute de moyens, les autochtones n’ont plus de prise sur leur terroir, les investisseurs ayant commencé à se ruer vers sa lagune. Cela a réduit, du coup, la superficie de cette réserve qu’il est nécessaire de préserver et de sauvegarder, justifiant d’autant la nécessité d’éradiquer les activités humaines qui diminuent fortement son étendue.
Somone doit, en effet, sa spécificité à sa mangrove, mais aussi, à sa situation géographique offrant un maximum d’espaces sur la lagune, déclare Chérif Khatab Diop, le conservateur de cette réserve.
« Nous sommes là pour accompagner les populations largement attributaires de ces ressources, les réglementer, disposer d’un canevas les orientant sur ce qui est permis et leur interdisant ce qu’il y a à éviter », explique-t-il.
« L’homme dépend de la nature pour sa survie », lance-t-il d’emblée, en s’adressant à la presse, lors d’une visite de terrain organisée en marge d’un atelier de formation des journalistes sur « les enjeux de l’eau et le développement durable », à l’initiative de l’association « Africa 21 ».
Il estime que lui et son équipe ont « un travail exorbitant à accomplir avec l’aide du comité local de gestion de ce site et l’appui de l’Etat, dont la politique doit être valorisée à ce niveau ».
Richesse végétale, animale et ornithologique
Près de 9 agents étatiques et 12 éco-gardes assurent la surveillance de cet écosystème riche de diverses variétés végétales et animales.
Soixante espèces végétales et quarante-trois espèces de poisson y recensées, compte non tenu des oiseaux qui le peuplent. « Un suivi régulier se tient pour avoir le potentiel réel de la lagune en matière d’ornithologie », signale Chérif Khatab Diop. Il relève que l’AMP est aujourd’hui menacée par la prolifération de réceptifs hôteliers.
La Somone doit son nom au village éponyme, mais aussi, au bras de mer qui alimente sa lagune. Le nom Somone vient de l’ethnie somonos-somonos, originaire du sud de la Casamance.
Pour la plupart, les membres de cette ethnie sont venus du Mali pour s’installer dans ce petit coin de La Somone, explique Saliou Mbodj, le président du comité de gestion du site.
« C’est une population qui s’était spécialisée dans la pêche. Même si nos parents habitaient la terre ferme, ils n’avaient pas tout à fait accès à la mer », rappelle-t-il.
Les somonos-somonos, spécialisés de la pêche, s’adonnaient à cette activité au niveau de la lagune et ravitaillaient les habitants en poissons. C’est par la suite que le village de la Somone est né.
Aujourd’hui, le bras de mer Somone a un écosystème très varié mais qui, à l’origine, était très dégradé à cause de l’action humaine. C’est un milieu composé de produits halieutiques (poissons et crustacés) et de mangroves et dont le bois peut servir à la cuisson, grâce à sa résistance aux termites.
La réserve regroupe les villages environnants de Guéréw, Thiafoura Srokhassap, Popenguine et Ndayane. Leurs habitants se sont mis naturellement ensemble, accompagnés d’agents de l’Etat pour le reboisement de la lagune. C’est en repiquant que l’on s’est rendu compte que la mangrove a commencé à reprendre forme, et les produits halieutiques sont apparus, déclare Saliou Mbodj.
« C’est à ce moment que nous avons pris pour option de préserver la lagune ainsi que d’avoir cette vision de conservation », explique-t-il.
La réserve naturelle d’intérêt communautaire, dont la superficie initiale est de 700 hectares, a été créée à la demande des populations, à la suite d’une délibération du conseil rural, qui regroupait à l’époque les villages de Guéréw (Guéréo), Thiafoura, Srokhassap et Somone.
« On s’est dit qu’un seul village ne peut pas préserver cette lagune, si les autres continuent les mêmes pratiques. C’est la raison de cette union avec l’accompagnement des agents techniques de l’Etat », explique le volontaire.
L’écotourisme et ses retombées
La destination Somone se portant bien, un système de tarification a été mis en place au niveau de la réserve, pour réguler les visites dans le cadre de l’écotourisme, permettant ainsi aux populations de bénéficier de retombées. Suivant le type d’activités, les tickets d’entrée sont fixés entre 500 et 100 mille francs. « L’activité première est d’abord de conserver ce site (…) », rappelle Saliou Mbodj.
D’une superficie de 4.000 hectares, cette aire marine protégée permet le retour des oiseaux migrateurs. Et huîtres, arches, crevettes, crabes, crustacés et tortues marines, disparus depuis 15 ans, se côtoient dans la mangrove, sous le ballet des oiseaux migrateurs.
Au confluent des milieux marin et terrestre se dressent des palétuviers, des arbres dotés de mécanismes physiologiques très particuliers qui leur permettent de s’adapter à des conditions de vie très difficiles.
Au Sénégal, indique-t-on, seules six espèces de palétuviers ont réussi à s’adapter. Parmi elles, trois sont dominantes : rhizophora mangle (le mange rouge) rhizophora racemasa (le palétuvier rouge) et avicennia africana.
« La lagune ne doit pas subir trop de pression par rapport à ses ressources naturelles. C’est pourquoi on a mis en place une période de repos biologique d’une durée de quatre mois (du 1er août au 30 novembre) », informe-t-il.
Durant cette période, a-t-il indiqué, certaines espèces doivent être laissées se développer et d’autres se reproduire, comme les poissons, les arches, les huîtres, notamment celle sauvages qui s’agrippent à la mangrove.
Bienfaits du repos biologique
Avec le respect du repos biologique, la lagune a renoué avec la présence de poissons de grande taille.
Des normes de pêche sont en effet édictées de manière à équilibrer les activités et éviter ainsi la pression sur la ressource. « Seule la pêche sélective est autorisée », précise Saliou Mbodj.
Sur le sentier de la lagune qui s’étire sur près de 2 km vers l’autre bout de l’AMP maritime, peuplée de mangroves, se dresse une rivière abritant une grande diversité d’organismes vivants, de poissons, de crustacés, comme le crabe violoniste. Ce dernier, qui tient son nom de sa pince gauche proéminente, joue un rôle très important dans l’aération des sols de la mangrove.
Aux heures chaudes de la journée, les crabes violonistes sortent et s’enfouissent dans leurs terriers, en attendant le reflux de la marée. A l’approche des visiteurs du jour, ils s’éloignent au plus vite du chemin et se réfugient au pied des palétuviers.
Un paysage séduisant s’offre à la vue dans cette AMP créée par décret présidentiel en 2020, pour mieux préserver la lagune. Celle-ci est, aujourd’hui, est menacée par l’ensablement causé par des aménagements effectués en amont de la rivière Somone.
Pendant la saison de pluies, indique Saliou Mbodj, des effets de chasse d’eau doivent permettre à l’eau qui avait été entraînée par le courant maritime d’être remontée en mer. Il prévient que si ces effets de chasse d’eau ne sont pas rétablis en amont, un ensablement de la lagune est à craindre.
« Nous sommes en train de chercher des partenaires, car cela demande des investissements lourds que l’Etat seul ne peut prendre en charge. Ainsi, l’Union européenne et la Direction des aires protégées, le GIZ [coopération allemande pour le développement] y réfléchissent. Des études bathymétriques et environnementales ont été effectuées », signale-t-il.
Il ajoute qu’il « reste à lancer l’appel d’offres pour aller vers le dragage de la lagune ». « Les populations aussi attendent cela, sinon nous perdons une grande partie d’elle et de son écosystème », avertit-il.
Arrêt de l’exode rural
Selon lui, le fait de préserver cette lagune a permis de maintenir les populations sur ce terroir, de lutter contre l’émigration clandestine en créant des emplois verts avec l’écotourisme, à travers les balades payantes en mer.
A cela s’ajoute l’installation d’hôtels qui favorise également la création d’emplois. « On peut naître et rester sur place jusqu’à la retraite, sans quitter La Somone. C’est cela l’aspect économique et social qui vient s’y ajouter », se réjouit-il.
Une balade en pirogue dans cette mangrove tropicale renseigne sur la diversité écologique de la lagune dont le lit et les canaux sont remplis en permanence d’eau. Cela permet aussi de découvrir les diverses espèces halieutiques et ornithologues dans cet endroit magique, dont le calme et la quiétude en cette période de l’année renseignent à suffisance sur l’effectivité du repos biologique.
Le petit sentier qui y conduit, est balisé sur près d’une longueur de deux kilomètres. Pour guider les visiteurs, des panneaux pédagogiques sont implantées dans la réserve, afin de faciliter la découverte de son écosystème soumis aux aléas climatiques.
L’ambiance, calme, est parfois dérangée par les cris de bandes d’oiseaux de diverses espèces qui viennent s’y réfugier.
Au bout du chemin, un observatoire surplombe l’estuaire. Le site donnant une belle vue sur la vasière. A l’intérieur, des panneaux indiquent les espèces d’oiseaux fréquentant ce milieu aquatique peuplé de mangroves.
Ces oiseaux le rendent attractif et jouent un rôle important dans cette réserve, qui abrite près de 172 espèces. L’endroit est prisé par bon nombre d’entre eux qui viennent se nourrir au cœur des bancs de sable et des racines des palétuviers en marée basse. L’écosystème est extrêmement riche mais fragile, prévient notre guide.
Par moments, une volée vient briser la quiétude des lieux. Les crabes violonistes, non plus, ne sont pas en reste.
La mangrove étant essentielle à la reproduction des poissons, régulièrement, les populations locales, en particulier les femmes, reboisent les palétuviers et nettoient la lagune des déchets plastiques charriés par la mer.
Pendant la balade et sous un soleil de plomb, nous croisons un groupe de femmes portant des bassines sur la tête et partant pour la cueillette des coquillages au fond des eaux.
Cette promenade sur ce plan d’eau connecté à l’océan Atlantique a permis de mesurer la beauté du site et sa splendeur.
L’embouchure, large de quelques mètres, se jette dans le grand bleu avec, avec à l’arrière-plan de modestes restaurants et des hôtels.
A chaque fois que la vedette s’approche d’un endroit, le piroguier ralentit la vitesse du moteur, baissant d’un cran son vrombissement pour éviter de déranger les oiseaux.
« Baye Sang », le génie « blanc »
La balade se termine par la rencontre avec le génie du village, « Baye Sang ». Un génie de race blanche, dit-on. Sur un espace dénudé s’élève un baobab nain. L’arbre, sans feuilles et paré de cauris, est, dit-on, sacré.
Cet arbre, qui ne fait pas plus de deux mètres, a résisté au temps et serait plus que centenaire. Les populations et même certains visiteurs viennent y faire des sacrifices. Chaque coquillage posé est un vœu prononcé.
Des touristes viennent d’horizons divers pour l’admirer ou même parfois pour formuler des vœux.
Saliou Mbodj précise à ce propos que c’est un seul vœu qui est accepté.
Le seul à avoir résisté aux aléas marins, il est devenu un arbre-fétiche. En cela, il est considéré comme l’habitat du génie protecteur « Baye Sang », déformation sémantique de « Baye Jean » (le père Jean).