La nouvelle ruée vers l’or accélère la destruction de l’Amazonie
Il avait pourtant essayé de se ranger et acheté un lopin de terre pour y élever du bétail, à Sao Felix do Xingu, dans l’Etat du Para (nord), sur un bout de jungle déjà déboisé où il n’aurait pas à abattre de nouveaux arbres.
Ce Brésilien de 61 ans aux six petits-enfants en avait assez de creuser, de détruire l’environnement, de la folie de la fièvre de l’or.
Mais tout a changé avec la pandémie de Covid-19. Le prix de l’or a atteint des sommets et Silva (un pseudonyme, il ne veut pas révéler son vrai nom) n’a pas résisté: avec ses économies il a loué une pelleteuse, embauché quatre ouvriers et il s’est remis à creuser.
Sur son terrain de pâturages vert profond, il y a maintenant une énorme fosse d’environ 40 mètres de long et 30 de large. Au fond du trou, une eau saumâtre pompée pour être ensuite filtrée afin de séparer les particules d’or d’autres sédiments boueux. Mais les quantités d’or escomptées n’y sont pas encore.
« Je sais que ce n’est pas bien. Je sais les problèmes que ça cause », lâche le sexagénaire, le visage buriné par les années de dur labeur sous le soleil des tropiques.
« Mais je n’ai pas d’autres revenus », poursuit l’homme devenu chercheur d’or à la fin des années 70 sur le site emblématique de Serra Pelada, dont les images montrant des foules de mineurs recouverts de boue sur les flancs de la mine aux allures de fourmilière humaine ont fait le tour du monde.
C’est non loin de la Serra Pelada qu’il a acheté sa ferme, finalement transformée elle aussi en site d’orpaillage.
Chaos dans les réserves
La ruée vers l’or n’a jamais vraiment cessé au Brésil, alimentée par la pauvreté, l’appât du gain, l’impunité et les niveaux records du prix du métal précieux.
Alors qu’avec la crise sanitaire les investisseurs se sont tournés vers cette valeur refuge, le nombre de mines illégales a récemment explosé dans le bassin amazonien, ouvrant de grandes cicatrices brunes au milieu du vert émeraude de la végétation.
Au Brésil, les mines ont déjà entraîné le déboisement de 114 km2 en Amazonie depuis le début de l’année, l’équivalent de 10.000 terrains de football. Le record annuel a été battu en seulement huit mois, dès le mois d’août.
L’opération d’Antonio Silva est assez restreinte et la terre qu’il abime est la sienne.
Mais un grand nombre de sites d’orpaillage se situent dans des terres censées être réservées aux indigènes, où d’énormes mines sont construites avec engins lourds et méthodes brutales.
En Amazonie, les territoires indigènes s’étendent sur 1,2 million de km2 et sont pour la plupart recouverts de forêt vierge, mais aussi riches en minéraux.
Difficiles d’accès, ils sont d’autant plus vulnérables aux intrusions de gangs d’orpailleurs qui attaquent les villages, transmettent des maladies, polluent les cours d’eau, attirent drogue et prostitution et sèment le chaos au sein de communautés essentielles pour la préservation de l’Amazonie.
« Il faudrait me passer sur le corps »
Le gouvernement estime que 4.000 orpailleurs sévissent actuellement sur des terres indigènes en Amazonie, un chiffre largement sous-estimé selon les ONG.
Des études récentes ont montré que 100 tonnes de mercure avaient été déversées dans les fleuves de l’Amazonie brésilienne en 2019 et 2020 et que jusqu’à 80% des enfants des villages riverains souffraient de troubles neurologiques — avec des QI plus faibles que la moyenne, entre autres — en raison de l’exposition à ce composant chimique.
Le mercure, utilisé par les orpailleurs pour séparer l’or du minerai, empoisonne aussi les poissons, aliment de base de nombreuses communautés autochtones.
Plongés en plein cauchemar, les indigènes ont commencé à organiser des patrouilles pour empêcher l’installation de nouvelles mines, payant parfois un lourd tribut.
Dans les terres Munduruku, dans l’Etat de Para, parmi les plus touchées par ce phénomène, les gangs ont commencé à soudoyer des autochtones avec de l’argent, de l’alcool ou de la drogue.
Maria Leusa Munduruku, 34 ans, un des chefs de la tribu, a pris la tête d’un mouvement de résistance féminine. Elle a aussitôt reçu des menaces de mort.
Le 26 mai dernier, des hommes armés ont fait irruption dans sa maison. « Ils avaient des bidons pleins d’essence, en ont répandu partout et ont mis le feu », raconte-t-elle, en allaitant son bébé. Tout l’intérieur de la maison a été calciné.
« Je leur ai dit que je ne partirai pas, qu’il faudrait me passer sur le corps. »
Maria Leusa, qui a cinq enfants et déjà un petit-fils, n’a pas baissé les bras. En septembre, elle est allée à Brasilia, à 2.500 km de son village, pour rejoindre une manifestation pour la préservation des terres indigènes.
« Il faut s’assurer que nos enfants pourront pêcher dans les rivières et vivre sur nos terres, c’est pour ça que je me bats », explique-t-elle.
Facteur Bolsonaro
Le Brésil est le septième producteur d’or au monde, avec 107 tonnes l’an dernier.
Mais selon des études récentes, seul un tiers de cette production a une origine certifiée par des documents permettant une véritable traçabilité.
L’orpaillage illégal s’est intensifié sous la présidence de Jair Bolsonaro et l’impunité n’a fait qu’encourager les orpailleurs, dont la production est exportée dans le monde entier, selon des procureurs du Para.
« Nous nous sommes rendu compte que ça ne servait à rien de se limiter à de simples opérations policières sur le terrain », dit Helena Palmquist, porte-parole du Parquet du Para.
Les mineurs s’enfuient quand la police arrive, les équipements qu’ils ont abandonnés sont brûlés mais les gangs en rachètent facilement, explique-t-elle.
Les procureurs ont alors commencé à s’attaquer aux puissantes firmes de courtage qui achètent massivement de l’or à la provenance douteuse. En août, ils ont demandé la suspension des opérations de trois grands courtiers en or, assortie d’une amende de 10,6 milliards de réais (1,6 milliard d’euros), dans un dossier toujours en attente de jugement.
Mais de puissants intérêts sont en jeu. « Les représentants du lobby de l’or rencontrent régulièrement le ministre de l’Environnement ou de hauts fonctionnaires, ils ont un accès direct au gouvernement », dit Mme Palmquist.
« Cela vient d’une idée très enracinée au Brésil, où l’Amazonie est vue comme un bien qui doit être exploité et non préservé », résume-t-elle.
Les mentalités cependant commencent à changer. À Sao Felix, Dantas Ferreira, un fermier de 53 ans, sait qu’en descendant un peu la rivière Xingu, où il a l’habitude de pêcher, on peut voir un affluent, le Fresco, déverser ses eaux troubles polluées par des déchets miniers.
Fervent partisan de Jair Bolsonaro, comme la plupart des habitants de la région, il trouve que la destruction de l’environnement est allée trop loin et lance un appel au président d’extrême droite : « Il faut que ça cesse, si on n’éradique pas l’orpaillage illégal, nos rivières ne seront plus jamais comme avant ».
© AFP