Les girafes s'éteignent dans la plus grande indifférence
En 2016, une équipe de scientifiques a eu une révélation (encore sujette à débat) concernant les girafes. Jusqu’alors, l’opinion courante était que toutes les girafes appartenaient à une seule espèce, Giraffa camelopardalis. L’analyse génétique semble aujourd’hui indiquer qu’il existe quatre espèces distinctes de girafes, elles-mêmes divisées en cinq sous-espèces. Parmi celles-ci figure la rare girafe du Niger (ou girafe d’Afrique de l’Ouest, Giraffa camelopardalis peralta), cette réfugiée aux taches claires que l’on ne trouve plus que dans la région de Kouré, au Niger.
Sur la base de cette nouvelle taxinomie, toutes les girafes, sauf deux sous-espèces, seraient considérées comme vulnérables, en danger ou en danger critique d’extinction. À travers toute l’Afrique, les populations ont diminué de près de 40 % en trois décennies. Il ne resterait plus qu’environ 110 000 girafes sur la planète. (À lire aussi : Comment sauver le plus grand animal du monde ?)
Il s’agit d’une « extinction silencieuse », estime Julian Fennessy, codirecteur de la Fondation pour la préservation de la girafe (GCF). Car, si le public s’inquiète de la disparition des éléphants et des grands singes, la plupart des gens croient que la girafe s’en sort très bien à l’état sauvage. De fait, dans certaines parties de l’Afrique, les girafes se portent bien. En Afrique du Sud et en Namibie, les élevages privés de gibier augmentent le nombre d’animaux sauvages, et les girafes sont chassées de façon légale. Les populations y ont presque doublé lors des dernières décennies.
En Afrique de l’Est, les perspectives sont bien plus sombres pour la girafe réticulée et la girafe masaï. Selon Arthur Muneza, coordinateur de la GCF pour l’Afrique de l’Est, « ce qui tue les girafes dans le sud du Kenya, ce sont les clôtures. C’est un péril encore plus important que le braconnage. Les girafes ne peuvent pas sauter par-dessus les clôtures, ce qui signifie que leurs aires de répartition sont en train de se morceler. »
La croissance démographique, le surpâturage du bétail et le changement climatique poussent les éleveurs et les agriculteurs vers les zones sauvages et les habitats des girafes. En parallèle, la population de girafes de Nubie, située principalement en Ouganda, a diminué de 97 % lors des trente dernières années, ce qui en fait l’un des grands mammifères les plus menacés du monde.
Les girafes du Niger sont encore plus rares. Toutefois, leur nombre est remonté à plus de 600 en vingt-cinq ans – il n’en restait que 49 en 1996. Leur retour est l’une des plus grandes réussites en matière de conservation en Afrique. C’est aussi l’une des plus inattendues.
Le Niger est le dernier sur 189 pays dans le classement des Nations unies selon l’indice de développement humain. D’habitude, la protection de la faune ne figure pas parmi ses priorités. En 1996, après un coup d’État, le nouveau président du Niger, Ibrahim Baré Maïnassara, a envoyé l’armée dans la brousse pour capturer des animaux à offrir aux présidents du Nigeria et du Burkina Faso voisins. Pas une seule des girafes capturées n’a survécu à l’opération, et la population de girafes du Niger a diminué de près d’un tiers. Cette situation dramatique a amené le Niger (doté d’un nouveau président) à élaborer en 2011 la première stratégie nationale de conservation des girafes en Afrique. Les autorités ont quasiment éliminé le braconnage et, faute de prédateur naturel, le nombre de girafes a pu croître.
Mais, avec un taux d’augmentation de 11 % par an, les conflits avec les agriculteurs et les bergers semblaient inévitables. Pour que la population de girafes du Niger continue à augmenter et qu’elles restent en bonne santé, une solution a été trouvée : les transférer à 800 km de là, où elles fonderont une nouvelle population.
Extrait de l’article de Joshua Foer « Girafes » publié dans le numéro 241 du National Geographic Magazine.