L’Uruguay : vers des énergies renouvelables
Si on cite souvent les pays nordiques comme étant les bons élèves de l’écologie, il en est un que l’on oublie, et à tort. L’Uruguay, petit pays de 3,4 millions d’habitants, est presque entièrement alimenté par des énergies renouvelables. Regard sur ce combat pour l’indépendance énergétique.
Le but que se donne l’Uruguay est de taille : l’indépendance énergétique pour 2030. En 2012, l’électricité était déjà principalement d’origine hydraulique (51,1 %) – l’eau est complètement mise à profit – suivie de près par les énergies fossiles (40 %), la biomasse (8,1 %), tandis que l’éolien représentait 0,8 %. En 2016, selon les prédictions de l’Administration du Marché Électrique, le pays disposera de 1,346 mégawatt d’origine éolienne, soit 30 % des besoins en électricité couverts par l’éolien, ce qui fait de l’Uruguay le pays avec la part d’énergie éolienne la plus importante.
En comparaison, d’après un rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF), le Costa Rica, l’Uruguay, le Brésil, le Chili et le Mexique sont à l’avant-garde dans le développement des énergies renouvelables en Amérique latine. Pourtant, ceux que l’on considère souvent à tort comme les pays les plus avancés en la matière sont le Danemark, l’Espagne, et l’Allemagne, pour qui l’éolien représente respectivement 28 %, 21 %, et 12 % de l’électricité.
Plusieurs facteurs pour la transition énergétique
Le passage aux énergies renouvelables a été déclaré nécessaire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cela est dû à une augmentation de la consommation : une décennie de croissance économique qui a entraîné une consommation d’énergie accrue, tant sur le plan domestique que dans le secteur de la production. Depuis 2004, la demande énergétique augmente de 6 % par an, et la Direction nationale de l’énergie estime qu’elle continuera de croître de la même façon dans les années à venir. Si 40 % d’augmentation d’énergie était estimée initialement, c’est finalement 80 à 100 % de la capacité énergétique alors en place qui s’y est ajoutée. Cela s’est fait plus particulièrement grâce à l’éolien, au photovoltaïque, à la biomasse, au gaz naturel ainsi qu'aux biocombustibles.
Le besoin se révélait également économique : chaque année, l’Uruguay dépense en moyenne deux milliards de dollars pour s’approvisionner en combustibles, que ce soit pour l’importation de pétrole et ses dérivés, ou l’achat d’énergie au Brésil par l’UTE - l’Administration nationale des Usines et des Transmissions Électriques -, compagnie électrique nationale uruguayenne. Enfin, Raul Sendic, ministre de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Industrie Minière (MIEM), estimait indispensable de prendre en compte le changement climatique. L’éolien s’est avéré un moyen de pallier les sécheresses, surtout quand en 1993, Ramón Méndez, directeur national de l’énergie du MIEM, déclara que l’Uruguay avait un potentiel éolien au moins aussi important que son potentiel hydraulique.
Des moyens d'envergure mis en oeuvre
Il faut dire que le pays se donne les moyens d’atteindre ses objectifs : le principal produit d’importation à l'heure actuelle serait les éoliennes. Des études furent menées afin d’examiner les lieux les plus favorables en fonction du vent. Celles-ci ont démontré que le sud du territoire national, la zone côtière et les montagnes ainsi que la ville de Montevideo et la région nord-ouest étaient les plus propices. La hauteur des éoliennes ainsi que les modèles furent également longuement étudiés.
Financièrement, le projet est gigantesque. L’investissement global dans le secteur est estimé à deux milliards de dollars, à en croire les opérateurs privés et les représentants du gouvernement qui s’appuient sur les chiffres des coûts unitaires de l’achat, du montage et de la mise en marche de chaque éolienne. Selon Ramón Méndez, les transformations globales en matière énergétique du moment ont représenté sept milliards de dollars au cours des dernières années, soit « cinq fois plus que l’investissement moyen de l’ensemble de l’Amérique latine dans le secteur de l’énergie ». 3 % du PIB uruguayen est annuellement réinvesti dans le secteur de l’énergie, ce qui représente un investissement massif depuis 2008. En deux ans, 2,5 milliards ont été injectés dans les parcs éoliens.
Ces projets d’ampleur ne seraient pas possible sans l’accord entre les principaux partis politiques, donnant ainsi lieu à une politique énergétique pour 2005-2030. Le pays dispose, à vrai dire, de la meilleure stabilité juridique et politique de la région, ce qui est encourageant et rassurant pour les investisseurs.
Une autre façon d’attirer les financements étrangers : les avantages fiscaux. Ces projets d’envergure étant beaucoup trop importants pour le marché local, une aide extérieure est indispensable. Actuellement, le pays dispose de 20 parcs éoliens en service et 12 autres sont en construction. Le plus grand parc est « R del Sur », situé à 200 km de Montevideo et inauguré en 2014. Il comporte 25 générateurs de deux mégawatts chacun pour un total de 50 mégawatts. Le projet a nécessité 14 mois de construction pour 100 millions de dollars, et constitue un parfait exemple de collaboration interne et externe, puisqu’il a été financé à la fois par des sociétés espagnoles et uruguayennes.
Des résultats visibles
Si l’objectif que s’est fixé l’Uruguay semble audacieux, il est indéniable que les efforts sont là, et les résultats semblent porter leurs fruits. Selon Ramón Méndez, « de toute l’énergie que consomme l’Uruguay, près de 50 % proviennent déjà de sources renouvelables - essentiellement hydrauliques -, et concernant l’électricité, en 2015, plus de 90 % seront issue d’énergies renouvelables ». Si l’on tient compte du fait que l’Uruguay consomme en moyenne 1 100 mégawatts et que les estimations indiquent que cette moyenne se situera aux alentours de 1 200 mégawatts en 2016, et si tous les parcs fonctionnent d’ici là, la demande totale du pays pourrait être couverte par l’énergie d’origine éolienne. « Par un matin venteux d’été, près de 100 % de ce que l’on consomme pourrait être couvert par l’éolien », assure le directeur national de l’Énergie. Dans ce cas, « nous pourrions stocker toute l’eau des barrages et maintenir les moteurs thermiques éteints, parce que nous n’en aurions pas besoin. »
D’autres points positifs découlent de ce programme. De nouveaux emplois ont été créés, pour commencer. Il est prévu d’élaborer certaines des éoliennes, et de développer de nouvelles aptitudes pour les générations futures avec en partenariat notamment la Faculté d’ingénierie de la UdelaR, l’Université de la République, située à Montevideo. Si l’éolien ne nécessite pas beaucoup de main-d’œuvre en dehors de la construction, 25 % des investissements n’en demeurent pas moins dans le pays, consacrés à la logistique, au transport, et au montage. Des projets d’exportation dans la région ont même été évoqués.
Toute cette mise en place fournit, par conséquent, une source de revenus supplémentaire. De fait, les Uruguayens ont vu leurs revenus quadrupler en l'espace de dix ans selon Roberto Kreimerman, ministre de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Industrie minière.
Le directeur de l’Institut de mécanique des fluides et d’ingénierie environnementale de l’Université de la République, José Cataldo, souligne également que le développement intensif de l’éolien n’a pas d’influence négative sur l’environnement, et particulièrement sur l’agriculture. Il convient de mentionner que l’économie uruguayenne est très agricole, l’élevage occupant une place importante, ce qui en fait un sujet sensible au niveau politique.
Quelques point noir à l'horizon
Si le projet dans son ensemble semble organisé et fonctionnel, il n’en demeure pas moins que le point de vue logistique concernant l’apport des pièces par voie maritime n’est pas parfaitement au point. Les énormes pièces qui composent chaque éolienne et entrent dans le pays par le port de Montevideo ont mis à l’épreuve sa logistique opérationnelle. Les mâts en pièces, les pales, les nacelles, et les moteurs ont exigés l’efficacité maximale de l’administration publique, de la douane, des opérateurs et des transporteurs.
De plus, les propos de José Cataldo sont mis en doute par un groupe d’environ 70 voisins qui s’oppose à la construction d’un parc dans la Sierra de las Animas, qui est, selon eux, un site emblématique du pays avec un riche patrimoine naturel, scientifique et culturel. Dans cette zone où la végétation est très bien conservée et où les traces humaines sont encore rares, ces éoliennes défigureraient le paysage et nuiraient à la biodiversité et à l’écosystème. Ces voisins en colère soulignent également que cela porterait préjudice au tourisme, qui constitue la première source d’investissement du pays.
Leurs dires sont corroborés par Clémentine Desfemmes dans un article sur l’impact de l’éolien sur la biodiversité. La construction d’éoliennes perturbe les écosystèmes car elle implique des infrastructures qui conduisent à la destruction de la végétation et à la multiplication des surfaces bétonnées ainsi que des allées et venues humaines. Sans compter la destruction de l’habitat naturel de nombreuses espèces. Les pales et le barotraumatisme - dépression créée par la rotation des pales à proximité de l'éolienne - sont également responsables de la mort de nombreux oiseaux ou autres animaux volants. Cependant, ce n'est rien en comparaison des victimes de la chasse, des lignes électriques à haute tension, des plates-formes pétrolières ou des bâtiments aux parois vitrées.
Des solutions existent toutefois pour limiter ces impacts. Réduire la vitesse de rotation des pales la nuit, pour limiter le nombre de victimes, ou détourner le trajet des chauves-souris grâce à un radar constituent de bons exemples, de même qu’éviter d’aligner les éoliennes sur les axes migratoires des oiseaux. Qui plus est, démarrer un chantier d'installation en dehors des périodes de reproduction des espèces les plus sensibles est un moyen simple pour réduire les perturbations de la faune, et recréer une mare ou faire pousser des haies aux abords des éoliennes peuvent compenser les dommages causés.
L’Uruguay semble sur la bonne voie pour atteindre son objectif pour 2030 : l’indépendance énergétique grâce aux énergies renouvelables. Les moyens investis sont considérables et l'aide étrangère est nécessaire, pourtant il semble que les gains pour le pays soient indéniables sur les plans économique et social, voire éducatif. Le pays se pose comme un modèle, non seulement pour ses voisins latino-américains, mais pour le monde entier, puisqu’il devance même le Danemark, l’Espagne et l’Allemagne sur le plan énergétique. Il ne reste qu’à espérer que les inconvénients que les éoliennes peuvent représenter soient pris en compte et résolus au mieux, pour le bien-être des hommes comme de la faune et de la flore du pays.