Pour exercer sa « capacité à agir », Dieu a donné à l'être humain la possibilité d'exploiter les ressources du monde et d'exercer une prédation raisonnée, pour assurer uniquement sa propre survie. Tout ce qui va au-delà de cela est considéré, du point de vue coranique et prophétique, comme une transgression vis-à-vis du monde et l'être humain sera jugé pour cela.
Tired Earth : La courte interview de Omero Marongiu, Sociologue

Cette interview a été réalisée par Marcel clément

Photo éditée : ©Tired Earth France

 

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?

Je m'appelle Omero Marongiu-Perria, né dans le Nord de la France de parents italiens, mon père était mineur de fond. Issu d'une famille de tradition catholique, je me suis converti à l'islam à l'aube de mes 18 ans. Après un parcours militant d'une quinzaine d'années, j'ai quitté le monde associatif cultuel pour me consacrer à l'approche historico-critique de l'islam et au développement d'une théologie libérale, avec plusieurs publications sur le sujet. Sur le plan intellectuel et théologique, je suis un membre actif du courant musulman libéral francophone.
Titulaire d'un doctorat de sociologie (2002) avec une spécialisation sur l'islam, j'ai travaillé durant les années 2000 dans le champ de l'anti-discrimination, puis je me suis spécialisé dans le management des processus en qualité de formateur et de consultant. j'exerce dans ce champ professionnel jusqu'à ce jour.
En avril 2021, les éditions Atlande ont publié l'ouvrage L'Islam et les animaux, que j'ai eu l'honneur de diriger.

La croyance ou la non-croyance aux religions affecte-t-elle les attitudes des sociétés vis-à-vis de l'environnement ?

En matière de rapport à l'environnement, je n'opposerai pas la croyance et la non-croyance mais plutôt deux types de paradigmes. Le premier considère que l'être humain ne se situe pas au sommet de la « hiérarchie des êtres créés » et qu'il doit collaborer avec les êtres et les éléments de son environnement - les animaux, les plantes et les minéraux - en respectant le cycle de la nature et sans épuiser les ressources qu'elle lui offre. c'est ce qu'ont toujours pratiqué les êtres humains jusqu'a une époque récente, indépendamment de leurs croyances. Je pense que cela a fait partie de l'expérience humaine et c'est une conséquence du rapport immédiat qu'avaient les humains avec la terre, la nature, les animaux. On pourrait ajouter à cela que la majorité des êtres humains ont toujours vécu dans une économie de subsistance qui les a éloignés de la logique de prédation sur le monde telle qu'on la voit se déployer partout sur la planète aujourd'hui à partir d'un paradigme complètement opposé. Selon cette seconde approche, l'être humain est considéré comme étant séparé du reste du monde, il se pense comme un être à part, au sommet d'une hiérarchie, doté d'une capacité agir sur le monde qui lui donne le droit, de fait, de l'exploiter sans aucune considération pour les caractéristiques propres aux autres éléments qui composent son environnement. Ce paradigme se déploie sous nos yeux à travers la course effrénée à l'exploitation des ressources de la Terre, aux ambitions de colonisation d'autres planètes pour y puiser de nouvelles ressources ou pour y habiter, toujours dans la même logique d'assouvissement des désirs humains au détriment du reste du monde créé. Partant de là, je pense que les croyances et les religions sont à la fois le sous-bassement et la légitimation de ces deux paradigmes. Dans les croyances animistes, chaque élément est doté d'un souffle vital qui lui est propre et lorsque l'être humain est susceptible de lui porter préjudice, il doit effectuer un rite expiatoire. Les religions monothéistes sont parfois moins enclines au respect de la création. Dans le monde chrétien, l'idée d'une différence irréductible entre l'humain et le reste de la relation s'est imposée, dans le prolongement de la philosophie stoïcienne, renvoyant par exemple les animaux dans le champ de machines dépourvues d'âme ou de conscience de soi, pour reprendre l'approche de Descartes. Les études récentes en matière d'éthologie animale ont littéralement bouleversé notre compréhension de l'intelligence animale, ce qui nous oblige à relire nos textes fondamentaux - la Bible et le Coran pour les religions monothéistes - en relativisant la toute-puissance humaine. Je pense que, sur ce plan, nombre de théologiens ont fait fausse route en considérant que Dieu avait donné une suprématie et un blanc-seing à l'être humain dans l'agir sur le monde, en tout cas ce n'est pas ce que dit le Coran à ce sujet.

Quelle est la responsabilité de l'homme envers la nature et les animaux, du point de vue de l'Islam ?

Quand on parle de l'islam, il faut de mon point de vue distinguer le discours coranique des élaborations théologiques ultérieures, qui sont toujours des réflexions humaines contingentes et tributaires de considérations politiques et économiques. Le Coran nous propose un récit de la création assez original même s'il s'inscrit dans le prolongement du récit monothéiste biblique ; Après avoir achevé la création, Dieu propose aux Cieux, à la Terre et aux montagnes de prendre en charge le « dépôt » - amâna en arabe - ce qu'ils ont refusé. Ce dépôt réside, selon les commentateurs, dans l'acceptation de la foi et du message monothéiste, mais il faut y voir quelque chose de beaucoup plus subtil et profond qui réside dans l'articulation entre la liberté d'agir et son corollaire, la responsabilité devant Dieu et devant le monde. La création a refusé de supporter le poids de cette liberté car elle y a vu la charge de la responsabilité, mais l'être humain a accepté en considérant uniquement l'aspect de gratification de la part de Dieu. Le passage coranique évoquant ce récit conclut en affirmant que l'être humain est prompt à se causer du tort à lui-même et est ignorant des conséquences de cette responsabilité. Sur les 6230 versets qui le composent, le Coran octroie une large part à la description du monde, à son fonctionnement, avec plusieurs centaines de passages où l'être humain est invité à observer, à réfléchir et à méditer sur la création. En complément, les textes de la Tradition prophétique évoquent de multiples aspects de la responsabilité des êtres humains vis-à-vis des animaux, des végétaux et même des minéraux, en mettant en lien l'action vertueuse ou, à l'inverse, destructrice, de l'humain dans le monde et le jugement, clément ou impitoyable, de Dieu à son égard. Pour exercer sa « capacité à agir », Dieu a donné à l'être humain la possibilité d'exploiter les ressources du monde et d'exercer une prédation raisonnée, pour assurer uniquement sa propre survie. Tout ce qui va au-delà de cela est considéré, du point de vue coranique et prophétique, comme une transgression vis-à-vis du monde et l'être humain sera jugé pour cela. Le poids de la responsabilité humaine dans l'action sur le monde est donc considérable et le Coran résume très bien cela à travers ce passage : "Le désordre est apparu sur la terre et sur la mer à cause des œuvres humaines, pour que Dieu leur fasse goûter une part [des conséquences] de leurs méfaits afin, peut-être, de les faire revenir [de leur erreur]." (Coran : 30, 41).

En tant que musulman, comment évaluez-vous la performance des communautés musulmanes sur les questions environnementales ?

N'étant pas spécialiste ni au courant de tout ce qui se passe dans les pays d'islam, je répondrai ici uniquement pour les musulmans de l'espace francophone européen. La prise de conscience de la nécessité d'aborder les questions environnementales a émergé au détour des années 1990 lorsque la problématique de l'abattage des animaux de la filière halal a pris une certaine ampleur. Les médias musulmans et non musulmans avaient mis en évidence le fait que certains animaux destinés aux chaînes d'abattage halal étaient dans des conditions sanitaires déplorables et les cadences d'abattage, notamment pour les volailles, posaient la question de la souffrance animale. Dans un premier temps, les contrôleurs et les opérateurs musulmans vont se soucier de surveiller la traçabilité de la viande halal pour garantir le respect des règles d'abattage selon les dispositions du droit musulman. Puis, progressivement, tout au long des années 2000, de plus en plus de musulmans vont se positionner en faveur du bien-être animal et de la diminution de la consommation de nourriture carnée, en impulsant directement ou indirectement une redéfinition des contours de la notion de halal. Le développement des réseaux sociaux, à la fin des années 2000, va accentuer la circulation de l'information et les débats sur la condition animale et sur les questions environnementales d'un point de vue musulman, et différentes expériences concrètes se sont, depuis, développées. D'une manière générale, je pense qu'il existe une véritable prise de conscience de la nécessité de repenser son rapport au monde et son impact sur le monde, en tant que croyant. Je ne compte plus les conférences et les débats sur les réseaux sociaux, incitant le croissant un revenir vers un rapport raisonné et moins consumériste au monde. Des passages du Coran et de la Tradition prophétique sont mobilisés pour inviter les croyants à plus de « sobriété », que ce soit dans l'alimentation ou dans le mode de vie. Des musulmans se lancent également dans des expériences de production agricole et d'élevage, dans la permaculture et/ou dans la production bio. Si certains le font dans un esprit de repli sur soi et volonté de vivre en autarcie, la plupart essaie de renouer avec un mode de vie moins axé sur le consumérisme et avec pour objectif de reprendre contact avec une vie spirituelle par une proximité accrue avec la terre et la nature. Pour ma part, je suis l'un des grands promoteurs du courant végétarien chez les musulmans, en adoptant une lecture originale du Coran basée sur un paradigme « collaboratif » entre les humains et le monde, et en m'inspirant du faut que la Bible mentionne qu'avant le déluge et l'autorisation divine octroyée à Noé de consommer des aliments carnés, les premières générations postérieures au couple originel étaient végétariennes. Je me suis aperçu que de plus en plus de musulmans adoptent aujourd'hui un régime flexitarien et qu'ils sont très soucieux, sur le plan spirituel, de leur impact sur l'environnement. Cela touche même désormais la construction des nouveaux lieux de culte, la qualité des matériaux, la consommation d'énergie, etc. et c'est un véritable gage de maturité qui se dessine devant nous. mais il reste encore tant à faire et le chantier environnemental ne sera jamais véritablement achevé.

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