L’extraction du minerai de lithium ou lépidolithe, a d’indéniables impacts environnementaux, que les porteurs des projets de mine tendent bien sûr à minimiser.
Interview du Dr Stéphane Gayet, médecin spécialiste en infectiologie et prévention

Quels sont les principaux impacts environnementaux associés à l'extraction du lithium ? Et les communautés locales, souvent situées près des sites d'extraction de lithium, sont-elles impactées par cette activité ?

Il est toujours utile de préciser que le lithium (de « lithos », mot grec : pierre) est un corps simple (symbole Li) qui est un métal léger et alcalin, d’un blanc argenté ; c’est le plus léger de tous les solides. En dehors de son utilisation phare dans les batteries, il fait partie de la pharmacopée pour son action sur le système nerveux, et sans oublier d’autres usages industriels. Le lithium est devenu aujourd’hui indispensable pour les batteries, en particulier celles des véhicules électriques : c’est un peu le « nouveau pétrole ».

Toute industrie minière est intrinsèquement polluante. L’extraction du minerai de lithium ou lépidolithe, a d’indéniables impacts environnementaux, que les porteurs des projets de mine tendent bien sûr à minimiser. Prenons l’exemple du projet de mine dans l’Allier, au village d’Echassières (400 habitants, tout près du Puy de dôme). On envisage d’y produire deux millions de tonnes de déchets miniers par an, mais leur stockage n’est pas encore étudié. On estime que l’exploitation consommera plus de 1,2 million de mètres cubes d'eau par an, mais la source de cette eau n’est pas encore définie ; cette extraction devrait commencer en 2028, et de ce fait, on pourrait s’attendre à une réduction importante de l’eau disponible pour l’usage courant, ne serait-ce que domestique et agricole. Par ailleurs, l’exploitation d’une mine de minerai génère un empoussièrement polluant de l’air ainsi que des nuisances sonores. Il faut également prendre en considération l’amputation foncière que représente une mine, ce qui n’est pas négligeable : elle comporte la superficie de la mine et celle des voies de circulation qu’il faudra aménager. Enfin, il ne faut pas oublier l’échelle macro écologique du projet : l’extraction de minerai de lithium va-t-elle vraiment dans le sens d’une réduction des émissions de carbone, connaissant la tendance aux grosses voitures qui exigent de grosses batteries ?

Or, les communautés locales y voient évidemment leur intérêt économique et social : la mine augmenterait le dynamisme territorial, avec la création de 500 à 600 emplois directs et toutes les retombées sur la démographie et les besoins subséquents de logement, transport et les activités de consommation. Bien entendu, l’argument de l’œuvre utile en faveur de la décarbonation est mis en avant, mais il reste discutable. De plus, pour positiver le projet de mine, les entités qui le portent prévoient de réduire la pollution occasionnée par les transports de minerai et autres produits, en substituant des trains aux camions habituels ; ce qui oblige cependant à créer de nouvelles voies ferrées, création elle-même polluante et dégradante de l’environnement, en plus de l’empreinte foncière.

Quelles sont les perspectives d'avenir pour le marché du lithium, notamment en ce qui concerne l'innovation et la réglementation ?

Le lithium entre notamment dans la composition des batteries. Par exemple, dans la batterie d’une bicyclette électrique, il y a de l’ordre de 50 grammes de lithium ; mais dans celle d'une grosse voiture, de type véhicule utilitaire à tendance sportive (« SUV »), il y en a environ 10 kilos, ce qui est énorme. Mais son usage ne se limite pas aux accumulateurs ; car, si plus de 70 % du lépidolithe (minerai de lithium) est effectivement employé à la fabrication de batteries, il faut avoir à l’esprit ses autres usages – outre celui en pharmacopée –, que sont la fabrication de verreries et céramiques thermorésistantes, celle de graisses lubrifiantes à haute performance et l’amélioration de la qualité de l’aluminium par un abaissement de sa température de fusion. Il n’en reste pas moins vrai que tous les accumulateurs sans exception, depuis les piles et accus minuscules de nos domiciles, jusqu’aux monstrueuses batteries de gros engins, tous utilisent et nécessitent du Li. D’où la course mondiale à la découverte et l’exploitation de mines. La plupart des pays du monde sont en quête de lithium et les gisements sont nombreux, sur presque tous les continents.

Sur le plan de l’innovation à venir, la recherche porte sur les moyens d’optimiser les accumulateurs à lithium, de façon à les rendre toujours plus légers et plus performants ; mais aussi sur des substances alternatives au Li. On va bien finir par trouver une meilleure technique pour accumuler l’électricité. Il faut se faire à l’idée que notre monde évolue vers le « tout électrique » ; schématiquement, les deux sources d’électricité sont le réseau de distribution et les accumulateurs d’électricité ; ces derniers présentent l’énorme avantage de la mobilité. Les accumulateurs au lithium-ion sont ce qu’il y a de mieux, dans l’état actuel de nos connaissances. Mais il est tout à fait certain que des progrès technologiques arriveront. Dans cette attente, le lithium est un optimum.

Le lithium est-il essentiel pour la transition énergétique vers des sources d'énergie renouvelables ? Est-il un risque ou une solution, voire une autre erreur contre l’environnement ?

Le minerai de lithium est parfois appelé « or blanc », étant donné qu’il est un métal performant et indispensable pour les batteries et autres accus de tous types, sans omettre les piles (non rechargeables) au lithium qui sont cinq à sept fois plus puissantes que les classiques piles alcalines. Le minerai de lithium fait l’objet de convoitises de la part de nombreux pays du monde, étant donné la transition énergétique qui est mondialement imposée. Car le renoncement aux sources d’énergie fossiles (par essence non renouvelables) a nécessité de leur trouver une alternative disponible et satisfaisante. Or, dans l’état actuel de nos connaissances et techniques, l’énergie électrique s’est imposée comme le successeur du pétrole ; et si l’on sait parfaitement produire de l’électricité aujourd’hui, la principale difficulté présentée par cette énergie est son stockage : les batteries et autres accus au lithium-ion sont devenues la solution optimale. Une batterie au lithium-ion est un accumulateur liquide d’énergie, qui utilise le principe d’échange réversible des ions lithium entre deux électrodes, pour accumuler et délivrer de l’électricité à la demande.

C’est dire qu’à l’heure actuelle, le minerai de lithium paraît indispensable pour la transition énergétique : que l’on produise de l’électricité à partir d’éoliennes, de panneaux solaires, de turbines hydrauliques, etc., il faudra toujours une forme de stockage, parce qu’il est particulièrement difficile d’adapter en temps réel la production aux besoins de consommation. Tout est là. Surtout, les accumulateurs permettent une mobilité, comme avec le pétrole ; c’est pour cela que l’on utilise parfois l’expression de « mobilité verte », grâce aux batteries au lithium.

Mais aucune solution n’est définitive. Il y a eu la révolution énergétique de l’électricité, puis celles de la vapeur d’eau, du charbon, du pétrole, du gaz et de l’énergie nucléaire, sans parler du gaz de schiste dont l’extraction est tellement préjudiciable.

À chaque transformation décisive de notre mode de production d’énergie, on s’imagine que nos besoins seront largement pourvus à l’avenir ; mais tout a une fin sur notre terre. Le choix qui a été fait à l’échelle mondiale pour succéder à l’énergie issue du pétrole, est celui des accumulateurs d’électricité. Soit, nous n’avons à ce jour en effet pas d’autre solution. Mais il est certain que nous connaîtrons d’autres révolutions énergétiques ; peut-être découvrirons-nous une meilleure technique d’accumulation d’énergie électrique, que les batteries lithium-ion ? C’est plus que probable. Et il est plus que probable que l’on affirme un jour que le choix des accumulateurs au lithium avait été une erreur, parce que l’on découvrira tous les inconvénients que cette technique comporte. Il est également probable que des maladies occasionnées par le lithium surviennent ; parce que tout est ainsi ; nous sommes toujours en quête d’optimisation de nos activités, mais nous ne pourront jamais tout contrôler.

Quelles politiques ou réglementations devraient être mises en place pour garantir une exploitation responsable du lithium, tout en soutenant la croissance des technologies vertes ?

Le gouvernement français et les institutions européennes comptent relancer l'extraction minière du lithium sur le sol européen. Cette course mondiale – nous sommes loin d’être les seuls - effrénée à l’exploitation minière et industrielle du lithium, va avoir des répercussions sur l’économie et l’écologie mondiales.

Dans ce contexte, une réglementation afférente au lithium va devoir être élaborée et se développer, c’est tout à fait impératif, c’est une évidence. On doit s’attendre à une série de réglementations contraignantes, concernant les conditions sécuritaires, personnelles et écologiques, d’extraction du lépidolithe, la richesse du minerai en lithium – il faudra sans doute construire des normes -, la sécurité des ouvriers qui utilisent industriellement le lithium pour la fabrication de produits commerciaux prêts à l’emploi, le traitement des déchets miniers ainsi que le recyclage des accumulateurs. Il y a beaucoup à faire pour mettre de l’ordre dans l’exploitation du lithium.

Car en l’absence d’une réglementation coercitive et à l’échelle mondiale, on risque fort d’assister à un véritable pillage du sous-sol de nombreux pays, à la pollution et la dégradation environnementales consécutives, à une accumulation de batteries et autres accus en fin de vie et plus ou moins abandonnés – sources d’une pollution encore inconcevable – et à de probables pathologies liées au lithium. En effet, l’être humain a bien du mal à se montrer raisonnable quand quelque chose de nouveau et prometteur s’offre à lui.

Pour ce travail de création de règlements, il faudra mettre en place des groupes de travail à l’échelle mondiale et ce sera difficile, étant donné le poids et la puissance des lobbys multinationaux. Il y a donc beaucoup à faire !

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