Fabien Gay : « Il est impossible et contradictoire de protéger le système capitaliste tel qu'il est structuré, et de réussir dans le domaine de l'écologie »
Interview avec Fabien Gay
Cette interview a été réalisée par Melania Giordano
Photo éditée : ©Tired Earth France
1. En tant que sénateur de la Seine-Saint-Denis, que pensez-vous du changement climatique ?
Le changement climatique est une réalité. Les méga-feux en Amazonie, en Australie et en Sibérie, mais également les records de chaleur en France l’été dernier comme la fonte de la banquise et de l’Arctique qui accélèrent le réchauffement climatique ne peuvent plus être nié. Les alertes de nombreux scientifiques, notamment du GIEC, sur la perte de la biodiversité et l’accélération du réchauffement climatique nous obligent. Si nous ne faisons rien d’ici une vingtaine d’années et même peut-être avant, le pouvoir politique ne pourra plus rien faire pour enrayer ce cycle infernal et des dommages seront irréversibles.
Pour ma part, je considère que le 21ème siècle doit être celui de la préservation du vivant et de la planète. Il est donc impératif de remettre en cause le système capitaliste et nos manières de consommer, de produire, de se déplacer… En somme, il nous faut un changement radical dans tous les pans de la société et je considère que la justice climatique va de pair avec la justice sociale.
Par exemple, celles et ceux qui sont le plus touchés par la précarité énergétique et les passoires thermiques sont les familles populaires. Ils se retrouvent à payer des factures exorbitantes car leur habitat est mal isolé, mais en même temps se retrouvent dans des situations difficiles pour payer ces énormes factures. D’autant plus que le prix des tarifs réglementés continue d’exploser, non pas parce que le coût de l’énergie augmente, mais uniquement pour « faire jouer » la concurrence avec les opérateurs alternatifs privés. Il faut donc lancer un vaste plan de rénovation des habitats en même temps qu’il faut redonner un monopole au secteur de l’énergie pour maîtriser le prix pour l’usager, et amorcer la transition énergétique.
Autre exemple : 18 millions de français-es sont en zone blanche de transports collectifs. Une vraie politique d’aménagement du territoire est nécessaire, en même temps que le développement du transport public et propre. Ainsi, la réforme ferroviaire qui va entraîner la fermeture de près de 9.000 kilomètres de voies ferrées va à contresens de l’histoire. Il faut justement développer le train et le fret, plutôt que le tout camion et la voiture. Idem en Île-de-France, où les investissements devraient être faits en priorité pour désenclaver nos territoires et améliorer le quotidien des habitant-e-s.
2. Pensez-vous que l'Accord de Paris contribue à améliorer la situation ?
L’accord de Paris a eu un mérite : il est le premier accord universel sur le climat et le réchauffement climatique signé par l’ensemble des pays. Il pose un certain nombre d’enjeux : limiter le réchauffement climatique, atteindre la neutralité carbone, désinvestir des énergies fossiles… Après des dizaines d’années de combats citoyens à travers la planète, les gouvernements reconnaissaient qu’il y avait urgence à agir.
Le problème, en revanche, c’est qu’il n’y a aucune obligation, ni aucune mesure coercitive. Dès son élection, le président Trump a décidé de sortir des accords de Paris. Le nouveau président brésilien Bolsonaro, lui aussi climato-sceptique, ne respecte pas les accords et dès son arrivée, les feux ont repris de plus belle en Amazonie pour faire place à l’agrobusiness.
Malheureusement, en parallèle, les accords de libre-échange qui accentuent le réchauffement climatique, multiplient le transport de marchandises et donc les émissions de CO2, et favorisent l’agrobusiness au détriment de l’agriculture paysanne et locale, continuent à se multiplier. CETA, Jepta, Mercosur… Ces accords se mettent en place et vont à l’encontre des objectifs de l’accord de Paris.
Les accords d’intention ne suffisent donc plus. Il faut des actes forts. Et cela ne sera possible que si la mobilisation citoyenne continue à grandir. Les marches pour le climat ou les grèves des jeunes qui se multiplient partout sur la planète doivent être encouragées.
Je pense que nous devons également continuer à faire grandir l’idée d’une reconnaissance du crime d’écocide. Polluer un fleuve et nos océans, détruire la biodiversité sur l’autel du profit, continuer à extraire des énergies fossiles alors que nous devons en laisser 80% dans le sol pour contenir le réchauffement climatique, etc. ; ces actions dont les effets sont dévastateurs et délétères doivent être reconnues comme crime d’écocide.
3. Dans le domaine de l'environnement, le gouvernement a-t-il réussi ?
Évidemment, non. Il est impossible et contradictoire de protéger le système capitaliste tel qu’il est structuré, et de réussir dans le domaine de l’écologie. Le capitalisme est incompatible avec la sauvegarde de l’Humain et de la Planète. Une seule chose compte pour ce système, le profit, même s’il se réalise au détriment du reste.
Il va sans dire que le gouvernement nous répondrait : « Regardez, nous favorisons le recyclage », ou encore, « Nous mettons fin au plastique ». Certes, mais en… 2040 ! La politique des petits pas ne suffira pas. Il faut agir vite !
La liste des renoncements, sous la pression des lobbys, est elle aussi trop longue : pas d’interdiction du glyphosate, des avantages fiscaux accordés discrètement à Total pour l’huile de palme ou les acides gras de palme, le projet de mine d’or en Guyane Montagne d’Or « suspendu » mais non arrêté, la ratification à l’Assemblée Nationale du traité de libre-échange avec le Canada, dit « CETA »… Avec toujours ce même pseudo-argument : le réalisme économique. Puis vient l’emploi.
Or en réalité, les emplois de demain sont dans la transition écologique. Dans l’énergie, les transports, le logement, l’agriculture, l’avenir est là. Pour cela, il faut avoir une vision de long terme, à l’échelle de 2050 et non à celle de 2022. Cela demande du courage politique, mais aussi une détermination pour s’affronter aux puissances de l’argent. Encore une fois, les mobilisations citoyennes seront déterminantes.
Je mène aussi un combat avec beaucoup d’autres pour que la France ratifie enfin la convention 169 de l’OIT et reconnaisse le droit des peuples autochtones. Sans elles et eux, sans les amérindiens par exemple en Guyane, il ne peut y avoir de défense de l’Amazonie française efficace. Leur reconnaître leurs droits, c’est aussi permettre de protéger nos forêts, notre biodiversité par exemple des mines d’or industrielles et de l’orpaillage illégal. Reconnaître leur droit, c’est aussi reconnaître les savoirs faire ancestraux qui sont aujourd’hui menacés par les grands groupes pharmaceutiques avec la bio-piraterie.
Enfin, je suis de près les travaux de la convention citoyenne pour le climat. Je sais que les 150 personnes mobilisées se sont engagées de bonne foi dans ce processus. Je suis certain que les propositions seront à la hauteur des enjeux. Mais si là aussi, la mobilisation citoyenne n’est pas à la hauteur pour porter ces propositions, la traduction politique pourra être plus complexe, avec toujours ces mêmes arguments et ces mêmes logiques soumises au profit avant tout.