La Guadeloupe est un pays sur le continent américain dans les Caraïbes, possession française depuis le 16e siècle, aujourd’hui colonie départementalisée fait face à une catastrophe sanitaire résultant de l’utilisation massive de pesticides.
Guadeloupe : Quand le modèle agroexportateur accouche d’une catastrophe sanitaire

Un héritage colonial

Comme toutes les colonies le modèle mis en Guadeloupe est celui prôné par Colbert où la Colonie produit pour l’exportation vers la métropole les denrées brutes et importe de celle-ci les produits manufacturés. En Guadeloupe deux grandes cultures d’exportations vont se développées la canne à sucre et la banane.

L’application du droit commun français en Guadeloupe va entrainer de facto sa soumission aux politiques européennes. Les fonds européens et la politiques de quotas d’exportation agricole réservés vont renforcés le modèle agro-exportateur au détriment d’un développement agricole autocentré. Profitant de cet effet d’aubaine des grandes familles de colons (Békés) vont intensifier la culture de bananes sur des milliers d’hectares et comme toujours dans les systèmes de monoculture des parasites apparaissent et dans le cas précis le parasite se nomme le charançon noir et c’est par lui que va venir la grande catastrophe sanitaire de la Guadeloupe.

Pour combattre ce parasite des pesticides à base de chlordécone vont être utilisées.

Un poison nommé chlordécone

Créé à l’origine par l’armée américaine pour désinfecter l’eau, ce pesticide organochloré s’est avéré lutter efficacement contre l’ennemi des arbres, le charançon noir, dans les plantations de tabac et de coton du sud des États-Unis. Mais de fortes suspicions de toxicité et de pollution de la molécule, à base de chlore, ont été clairement définies dès 1976 aux États-Unis, qui ont alors décidé d’interdire sa production et son utilisation sur le territoire américain. 

Mais la France cédant aux pressions des lobbys coloniaux des planteurs de bananes n’a pas su dire non à ce poison de rêve utilisé de façon massive dans les bananeraies aux Antilles françaises, faisant fi des avertissements répétés des divers organismes de santé publique. Sa commercialisation sera finalement suspendue et interdite le 1er février 1990 en France, mais avec la sincère collaboration du Ministère de l'Agriculture de l'époque, les Antilles bénéficieront encore pendant trois années de dérogations jusqu'en septembre 1993, date de son interdiction définitive.

Réticences, autorisation provisoire, homologation officielle, interdiction avec délai dérogatoire d’emploi des stocks existants, les populations ultramarines payent aujourd’hui de leur santé cette valse réglementaire bercée par des jeux de pouvoir. 

Contaminant des écosystèmes extrêmement stable, il est très peu ou pas biodégradable. Il pollue les sols dont se nourrissent les végétaux, les nappes phréatiques et les sources d’eau potable.

Les légumes racines tel le manioc, ou encore les légumes rampants comme les melons, sont alors contaminés. Les volailles, les caprins et les bovins consomment des végétaux contaminés, et deviennent contaminants à leur tour pour l’homme.

Il se révèle souvent cancérogène, mutagène et/ou reprotoxique. On le retrouve donc dans les aliments et comme il est bioaccumulable, il peut se stocker dans les graisses. Mais il ne s'arrête pas là, et franchit facilement les muqueuses pulmonaires, intestinales et les barrières cutanées et placentaires. 

En 2008 la France, enfin, chuchote sa culpabilité. 

Plan de décontamination, dispositif de surveillance des pathologies, registres des cancers et des malformations, état critique de l’environnement, s’il a tardé à faire face, l’État aujourd’hui ne nie plus ses responsabilités. Mais les différentes procédures judiciaires intentées sont bizarrement bloquées et les avocats menacés, en une décennie aucune décision judiciaire n’a aboutit ni contre l’État ni contre ceux qui ont commercialisé ses produits.

En 2019, la France tergiverse encore sur le caractère cancérigène

Le président français Emmanuel Macron tout en faisant inscrire les ouvriers agricoles contaminé par la chlordécone une liste relevant des maladies professionnelles minimise le caractère cancérigène notamment concernant le cancer de la prostate chez les hommes malgré l’avis très documenté de la communauté scientifique sur le lien de causalité existant.

Durant, la période où j’ai siégé comme Député Européen mes collègues écologistes et moi-même avons également tenté (en vain) de réformer la politique agricole commune. Nous nous sommes battus jusqu’au bout pour défendre un modèle fondé sur un développement diversifié et durable dans le contexte où les degrés d’autosuffisance peuvent encore largement s’accroître, et où la coopération avec les pays tiers de la Caraïbes pourrait se renforcer.

Alors il est vrai que le sujet n’est pas bien connu au sein des institutions européennes, que les lobbys sont puissants, que les logiques agro-exportatrices tiennent bons, mais en Guadeloupe les associations se battent au quotidien, et continueront jusqu'à ce que justice environnementale soit faite. En attendant nous voulons que dans l’immédiat l’État français prenne en charge les analyses concernant le dosage dans le sang des Guadeloupéens du chlordécone et les frais d’analyse des sols pour les petits exploitants agricoles qui doivent produire aujourd’hui un certificat de non-pollution laissé à leur charge par l’État.

Jean-Jacob BICEP
Écologiste Guadeloupéen - Ancien Député Européen

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