Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Lucas Miailhes, doctorant en science politique et relations internationales à l’Institut Catholique de Lille, auteur de l’article Mine de lithium dans l’Allier : un débat déjà tranché ?, pour évoquer avec lui ce projet minier et le débat public qui l’a accompagné.
Le projet de mine de lithium dans l’Allier « s’inscrit dans une volonté de relance minière en France »

Le Monde de l’Énergie —Quels sont les contours du projet de mine de lithium dans l’Allier ? Quelle est sa place dans la stratégie de relocalisation minière en France et en Europe ?

Lucas Miailhes —Le projet de mine de lithium dans l’Allier est un investissement majeur d’environ 1 milliard d’euros porté par le groupe Imerys. Il s’inscrit dans une stratégie de relocalisation minière en France et en Europe pour plusieurs raisons :

Premièrement, ce projet baptisé EMILI (Exploitation de Mica LIthinifère par Imerys) vise à produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an pendant au moins 25 ans. Cela permettrait d’équiper en batteries environ 700 000 véhicules électriques annuellement. Ce projet s’inscrit dans les ambitions françaises de production de véhicules électriques.

Rappelons à ce titre, qu’Emmanuel Macron avait fixé l’objectif de 2 millions de véhicules électriques en France d’ici 2030. EMILI contribuerait à l’objectif de créer une filière européenne intégrée de batteries, en proposant une source locale de lithium.

Deuxièmement, ce projet s’inscrit dans une volonté de relance minière en France, après des décennies de déclin et de fermetures. La dernière mine en France a fermé en 2004.

EMILI fait écho à la politique de réindustrialisation et de souveraineté économique promue ces dernières années, notamment depuis la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine qui ont mis en lumière les risques de dépendance aux importations. L’objectif est de sécuriser les approvisionnements en métaux stratégiques face à la domination chinoise dans ce secteur.

Enfin, ce projet est d’autant plus stratégique qu’il concerne le lithium, métal clé de la transition énergétique. Etant donné l’état actuel des technologies de batterie de voitures électriques, le lithium restera encore indispensable pour les années à venir. C’est pourquoi on observe une envolé de la demande dans les prochaines décennies. Dans son dernier rapport sorti en mai 2024, l’Agence internationale de l’énergie prévoit un fort déficit entre l’offre et la demande de lithium d’ici 2040. Seuls 50% des besoins seraient couverts par les projets miniers annoncés. Dans ce contexte, une source européenne de lithium revêt une importance cruciale pour le développement de la mobilité électrique sur le continent.

Le Monde de l’Énergie —Pourquoi le débat public sur l’opportunité de créer cette mine, qui s’est achevé le 31 juillet 2024, a-t-il été source de tensions ? Ce débat était-il, comme le demande le titre de votre article sur le sujet, « déjà tranché » ?

Lucas Miailhes —Le débat public a effectivement été source de tensions.

Tout d’abord, le débat a été perçu comme unilatéral par beaucoup de personnes qui se sont exprimé lors des séances, et ce malgré quelques sessions de questions-réponses. Les discussions n’ont pas toujours abordé les sujets de fond. Les présentations d’Imerys et des experts occupaient une bonne partie des séances laissant place à peu d’échanges. Néanmoins, de nombreuses voix se sont exprimées pour remettre en question certains éléments.

Ces critiques ont permis de soulever des questions importantes sur la taille des véhicules électriques, le rôle de l’État dans la politique minière et les engagements d’Imerys. Cependant, les questions de sobriété métallique et de modération de la demande n’ont été que brièvement traitées, bien qu’elles soient au cœur des préoccupations des opposants.

Il faut également noter qu’une bonne partie des habitants de l’Allier ont semblé apporter leur soutien au projet d’Imerys. Ce soutien fut manifeste durant des séances où des participants s’insurgeaient contre la place pris par les organisations en opposition au projet. Certains ont même publiquement remercié Imerys de venir investir davantage dans leur territoire. Il faut dire que le passé minier d’Échassières représente un symbole d’une époque économiquement prospère pour ses habitants.

Le soutien de l’État et des élus locaux au projet a également joué dans la frustrations des opposants. Le projet a été sélectionné dans le cadre de l’appel à projets « Métaux critiques” organisé par BpiFrance et a reçu des subventions publiques dans ce cadre. Des membres du gouvernement, à l’instar Bruno Le Maire, ont aussi multiplié les déclarations de soutien. Ce soutien s’inscrit dans une stratégie d’électrification des transports, où des approvisionnements sécurisés en lithium sont jugés indispensables. C’est ce soutien public largement affiché qui a donné l’impression aux associations s’opposant au projet que le débat été « déjà tranché ».

Le Monde de l’Énergie —Quels arguments ont été avancé par les opposants au projet ? Comment Imerys a défendu son projet ?

Lucas Miailhes —Les opposants au projet de mine de lithium dans l’Allier ont avancé plusieurs arguments majeurs qui ont permis de mettre le débat sur le lithium français en perspective.

Tout d’abord, ils critiquent l’idée même d’une relance minière, qu’ils perçoivent comme une forme d’extractivisme incompatible avec les impératifs écologiques actuels. Ils contestent la notion de « mine responsable » promue par Imerys, en mettant en avant les menaces potentielles pour la biodiversité et les ressources en eau. S’il est vrai que les critiques des opposants portaient souvent sur le concept de mine en général plutôt que sur les spécificités du projet, ils ont néanmoins été convaincants dans la mise en perspective des limites de la transition énergétique.

Par exemple, France Nature Environnement (FNE) a dénoncé que le projet ne prenait pas en compte les crises écologiques majeures, telles que l’effondrement des écosystèmes et la pollution généralisée de l’eau. Ils ont insisté sur le fait que la transition écologique ne devait pas se résumer à la seule réduction des émissions de carbone.

De plus, les opposants critiquent l’utilisation finale du lithium qui pourrait finir dans des SUV électriques. Les ventes de SUV électriques sont en forte augmentation en France ce qui pourrait mettre en danger l’objectif d’électrification des transports étant donné la quantité de métaux demandée pour leur fabrication. Si le lithium d’Imerys finit dans des véhicules individuels de deux tonnes, cela compromettrait les objectifs de décarbonation des transports qu’Imerys prétendait défendre durant le débat. Pour vous donner une idée, un SUV doté d’une batterie de 100 kWh, de type Tesla Model X consomme 5 fois plus de lithium qu’une voiture citadine dotée d’une batterie de 20 kWh.

Les SUV électriques ont donc le potentiel d’accentuer les risques de pénurie de métaux tels que le lithium. C’est un risque réel sachant que les ventes de SUV ont été multipliées par 7 en dix ans en France.

Les associations s’opposant au projet plaident ainsi pour une approche de sobriété métallique et remettent en question le modèle de la voiture individuelle, qu’ils considèrent comme insoutenable. L’utilisation raisonnée des ressources doit passer par une modération de la demande en métaux.

Imerys a défendu son projet en mettant en avant son engagement pour une exploitation minière responsable. L’entreprise a pris plusieurs mesures pour minimiser l’impact environnemental du projet. Par exemple, le concassage se fera en sous-terrain pour réduire l’impact visuel et environnemental. La gestion des résidus est optimisée en valorisant les co-produits, ce qui évite de mobiliser des espaces supplémentaires pour leur stockage. De plus, l’usine de conversion sera installée sur une friche industrielle à proximité de la mine, limitant ainsi l’artificialisation des sols et l’acheminement du mica vers l’usine de conversion se fera par train.

Imerys prévoit également de recycler 90% de l’eau utilisée dans ses procédés, ce qui fait de ce projet l’un des plus sobres en consommation d’eau pour l’extraction de lithium. Cependant, on peut noter un certain flou sur les moyens mis en place par l’entreprise pour réussir ce pari.

L’entreprise a également souscrit aux standards IRMA, une norme internationale qui définit les meilleures pratiques sociales et environnementales pour l’industrie minière. Imerys affirme que ces mesures montrent son sérieux et son engagement à faire de la mine d’Échassières un projet exemplaire sur le plan environnemental. Cependant, les opposants restent sceptiques, percevant l’adhésion à IRMA comme une forme de greenwashing. Ils soulignent que ce standard n’est ni spécifique au lithium ni contraignant, et qu’il repose sur le bon vouloir de l’entreprise. La norme IRMA, bien que prometteuse, n’a pas encore fait ses preuves, nécessitant des audits indépendants pour garantir sa crédibilité.

Le Monde de l’Énergie —Au terme de ce débat public, quel devrait être les prochaines dates-clés vers l’ouverture possible de la mine ? Quelle place pourrait avoir ce débat dans les autres projets de mines de lithium en France et en Europe ?

Lucas Miailhes —Les prochaines étapes clés pour le projet de mine de lithium dans l’Allier sont déjà planifiées par Imerys. En 2025, la mise en service du pilote industriel, qui produira 200 tonnes par an, est prévue. Ensuite, en 2027, une décision finale d’investissement sera prise pour le projet d’exploitation. Enfin, la mise en service de la mine et de l’usine commerciale est prévue pour 2029. Il est important de rappeler que le débat actuel à Échassières s’inscrit dans les procédures « amont » du droit de l’environnement, ce qui signifie qu’il intervient durant la phase de préfaisabilité du projet, avant le dépôt de toute autorisation administrative.

Ce débat a été suivi de très près par les compagnies minières, car il confirme l’accent mis sur les critères environnementaux et la participation des locaux pour des questions d’acceptabilité sociale du projet minier. À l’heure où la loi européenne sur les matières premières critiques (CRMA), entrée en vigueur récemment, encourage une relance de l’extraction minière au niveau européen, d’autres compagnies minières à travers l’Europe feront face aux mêmes critiques.

L’acceptation sociale des projets miniers est une grande préoccupation pour l’industrie, car une forte contestation sociale peut largement retarder, voire empêcher, un projet. Des exemples récents d’opposition à des projets miniers en Serbie et, dans une moindre mesure, au Portugal, montrent à quel point cette acceptabilité est cruciale.

Le débat public à Échassières a également eu un écho européen en mettant en avant les questions liées aux critères de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) appliqués au secteur minier.

Durant les débats sur le CRMA l’an dernier, les normes RSE du secteur minier ont été largement discutées. Les compagnies minières et la France plaidaient pour l’imposition de critères RSE forts afin de garantir des pratiques durables et une concurrence équitable. L’absence de normes RSE unifiées place les entreprises minières européennes en situation de concurrence déloyale face à des acteurs qui ne respectent pas les mêmes règles rigoureuses, ce qui pourrait rendre les projets miniers en Europe non rentables sans intervention réglementaire.

Source: Le monde de l'énergie

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