Le tourisme n’est pas toujours un simple loisir. De Paris occupé pendant la Seconde Guerre mondiale aux colonies israéliennes en Cisjordanie, il peut servir à légitimer une occupation, façonner des imaginaires et même structurer des rapports de pouvoir. Entre propagande, séduction et érotisation, le voyage devient un outil politique et social.
Le tourisme, souvent perçu comme une activité neutre ou récréative, peut devenir un outil de pouvoir, de propagande et même d’érotisation lorsqu’il s’inscrit dans un contexte d’occupation ou de guerre. Les exemples historiques, de Paris occupé pendant la Seconde Guerre mondiale aux colonies israéliennes en Cisjordanie, montrent que le voyage peut servir à normaliser la domination, réécrire l’espace et influencer les imaginaires.
Colonies israéliennes : tourisme et légitimation politique
En Cisjordanie, les colonies israéliennes combinent hébergement, loisirs et marketing territorial pour séduire des touristes israéliens et internationaux. Selon Belen Fernandez, des forfaits touristiques offrent des expériences allant du vin de luxe à des activités de plein air, et parfois même des simulations militaires, transformant la colonisation en un produit attractif. Au-delà du tourisme militaire ou « éducatif », certaines colonies offrent des expériences plus traditionnelles : dégustation de vin, hébergements avec jacuzzi, tyroliennes ou retraites spirituelles [
1]. Ce « tourisme de loisirs » est soigneusement mis en avant pour normaliser la présence des colons et détourner l’attention de la violence et des violations des droits palestiniens qui accompagnent l’expansion coloniale [
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4].
Les plateformes comme Airbnb ou TripAdvisor listent ces logements malgré l’illégalité des colonies en droit international, contribuant à leur légitimation économique et symbolique [
2][
4]. Dans certaines colonies, le couchsurfing et les visites guidées orchestrées par les habitants servent à diffuser une image de normalité et de paix, en masquant les expulsions et violences envers les Palestiniens [
4]. Ce tourisme est donc un instrument de propagande douce, comparable aux pratiques observées sous le Troisième Reich, où le voyage en Allemagne était organisé pour séduire et convaincre des visiteurs étrangers de la légitimité du régime nazi [
5].
Paris occupé : tourisme érotique et rapports de force
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le tourisme s’est également teinté d’érotisme et de hiérarchie du pouvoir. Bertram M. Gordon a montré que les soldats allemands à Paris percevaient la ville comme un lieu de fantasmes sexuels et de loisirs codifiés, fréquentant des boîtes de nuit, des bordels surveillés et multipliant les liaisons avec des Françaises. Les guides touristiques et les carnets de voyage d’officiers comme Ernst Jünger ou August von Kageneck révèlent que l’expérience de la ville mêlait curiosité culturelle et opportunités sexuelles, créant une forme de « militourisme » où le corps et le plaisir se politisaient [
6].
Les relations sexuelles étaient profondément asymétriques : les autorités nazies régulaient strictement la prostitution et imposaient des hiérarchies entre officiers et soldats, entre Françaises et Allemands, entre juives et non-juives, reflétant la domination structurelle du personnel d’occupation. Même après la Libération, ce modèle se perpétua sous les forces alliées, avec des tensions sexuelles qui illustraient la continuité des rapports de pouvoir dans le tourisme militaire [
6].
Des mécanismes communs : légitimation et fantasmes
Les deux contextes, bien que séparés par le temps et l’espace, partagent des mécanismes : le tourisme devient un vecteur de légitimation pour les occupants et un moyen de modeler l’imaginaire des visiteurs. Dans les colonies israéliennes, il s’agit de banaliser l’occupation et de séduire les touristes internationaux. À Paris, il s’agissait d’érotiser la ville et d’intégrer le corps dans une expérience de conquête et de domination culturelle. Dans les deux cas, les acteurs en position de pouvoir exploitent le tourisme pour façonner les perceptions et renforcer des inégalités structurelles.
Enjeux éthiques et juridiques
L’exploitation touristique dans des contextes d’occupation soulève des questions éthiques et légales. Selon Amnesty International et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, soutenir ou participer à l’économie coloniale israélienne contribue à maintenir une situation illégale et discriminatoire [
2]. De même, le tourisme sexuel ou érotique pendant l’Occupation allemande illustre comment les asymétries de pouvoir peuvent être naturalisées et exploitées à des fins politiques et militaires [
6].
Conclusion
Le tourisme n’est pas un simple loisir : il peut servir de levier politique, idéologique ou érotique. Qu’il s’agisse de colonies israéliennes ou de Paris occupé, il participe à la légitimation de l’occupation, à la structuration des rapports de pouvoir et à la création d’imaginaires. Ces exemples rappellent que le tourisme, loin d’être neutre, est un phénomène social et culturel profondément inscrit dans le contexte historique et politique.
Sources
https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/vacances-sous-occupation-le-tourisme-dans-les-colonies-israeliennes
https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2019/01/destination-occupation-digital-tourism-israel-illegal-settlements/
https://www.washingtonpost.com/world/middle_east/tourism-is-the-new-front-in-israeli-settlers-battle-for-legitimacy/2016/04/17/1586887a-0010-11e6-8bb1-f124a43f84dc_story.html
https://orientxxi.info/magazine/palestine-occupee-promotion-du-tourisme-dans-les-colonies,3196
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