Une étude scientifique d’envergure, récemment publiée dans la revue Nature, dresse le portrait le plus complet à ce jour des espèces terrestres les plus gravement menacées d’extinction. Elle souligne en parallèle l’efficacité potentielle des efforts de conservation, capables de sauver concrètement des centaines d’espèces d’une disparition imminente.
Selon cette étude, 10 443 espèces sont aujourd’hui classées en danger critique d’extinction, soit le niveau le plus élevé sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avant l’extinction confirmée à l’état sauvage. Ce statut est attribué aux espèces répondant à des critères stricts, tels qu’une baisse rapide de leur population, une aire de répartition extrêmement restreinte ou une population de moins de 50 individus adultes.
« Il est stupéfiant de constater que plus de 1 500 espèces, soit 15 % du total, comptent moins de 50 individus matures encore présents dans la nature », a déclaré Ricky Gumbs, chercheur à la Zoological Society of London et co-auteur de l’étude, au site Mongabay.
Des habitats fragmentés et une extinction silencieuse
Près de 77 % des espèces en danger critique le sont en raison de leur aire de répartition extrêmement réduite. Sept espèces, dont trois amphibiens, trois tortues et un cétacé appelé vaquita (Phocoena sinus), ont plus de 50 % de risques de disparaître au cours des dix prochaines années.
Seize pays concentrent plus de la moitié de ces espèces gravement menacées, principalement dans les Caraïbes, sur les côtes atlantiques d’Amérique du Sud, en Méditerranée, au Cameroun, autour du lac Victoria, à Madagascar et en Asie du Sud-Est. La majorité sont endémiques, ce qui rend leur préservation totalement dépendante des politiques nationales.
Madagascar abrite à elle seule 670 espèces critiques, uniques au monde. Quant à Hawaï, qui représente moins de 6 % des terres émergées de la planète, elle regroupe environ 40 % des espèces classées en danger critique.
Des évaluations obsolètes et des données alarmantes
Autre source d’inquiétude : près de 30 % des espèces gravement menacées n’ont pas été réévaluées depuis plus de dix ans. Cette absence de mise à jour laisse planer un doute sur leur état réel et sur l’éventualité d’un effondrement brutal de leurs populations.
Selon les données disponibles, 56 % des espèces critiques continuent de voir leurs effectifs diminuer. Seules 2,6 % affichent une population stable, et seulement 0,5 % sont en croissance. En outre, plus de 13 % de ces espèces sont considérées comme « probablement éteintes », leur disparition étant probable, mais non encore confirmée par les scientifiques.
En termes de répartition biologique, plus de la moitié des espèces gravement menacées sont des plantes (60 %), suivies par les vertébrés (25 %) et les invertébrés (15 %). Une autre évaluation récente révèle qu’environ la moitié des arbres endémiques d’Amérique centrale sont eux aussi menacés d’extinction.
« De vastes zones de forêts ont été détruites ou fragmentées. Ce n’est pas un tableau reluisant », constate William Laurance, écologue tropical à l’université James Cook en Australie, qui n’a pas participé à l’étude. « La situation est encore plus sombre que ce que j’imaginais. »
Un cocktail de menaces ?
Le changement climatique reste l’un des moteurs principaux de cette crise, aggravé par l’expansion agricole, l’élevage, l’exploitation forestière et la pêche. La pollution affecte la majorité des espèces d’eau douce, tandis que près des trois quarts des espèces marines subissent l’impact de la surpêche.
Les espèces invasives représentent la menace majeure pour les invertébrés : elles affectent environ un tiers des espèces critiques. Parmi les plus destructrices figurent les rats domestiques, les chèvres, les cochons sauvages et les chats, qui ravagent les écosystèmes insulaires où les espèces locales ont évolué sans prédateurs.
Des réussites et des lacunes
Malgré l’ampleur de la crise, les efforts de conservation ont permis d’éviter l’extinction d’au moins 15 espèces d’oiseaux et 8 espèces de mammifères depuis 1993, certaines connaissant même aujourd’hui une lente reprise.
Depuis 1980, la situation de 59 espèces auparavant gravement menacées s’est suffisamment améliorée pour qu’elles ne soient plus classées dans cette catégorie.
Mais ces réussites restent inégalement réparties. Des milliers d’espèces, notamment d’insectes et de plantes peu connues, ne bénéficient d’aucun programme de conservation. La protection des habitats restants, la restauration des écosystèmes dégradés et la gestion des espèces invasives demeurent des priorités urgentes.
Près de la moitié des espèces critiques nécessitent une intervention directe, que ce soit par des programmes de reproduction en captivité dans des zoos et aquariums, des transferts vers des zones plus sûres, ou encore des soins vétérinaires.
L’étude estime qu’un financement annuel compris entre un et deux milliards de dollars suffirait à protéger ces espèces de l’extinction. Cela représente une infime fraction de l’économie mondiale, et moins de 2 % de la fortune nette d’individus comme Elon Musk, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg
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