Neutralité carbone : de l’illusion à l’instrument de greenwashing ?

Quand la lutte contre le changement climatique devient un alibi pour perpétuer la destruction de la nature

Il faut parfois de longues années pour que les vérités se dévoilent, que les lèvres scellées se délient, et que les yeux fermés s’ouvrent enfin. Parfois, l’être humain s’engage sur une voie qu’il a choisie avec un cœur plein d’espoir et un regard illuminé, dans l’espoir d’améliorer son sort ; mais en chemin, il réalise que ce qu’il croyait être un chemin n’était qu’un égarement, une impasse où le temps se dissout et le but s’éloigne.
 
C’est dans de tels moments qu’il revient à l’homme sage de se ressaisir — de prendre le temps d’analyser lucidement le passé, de remettre en question ses choix erronés, et, à partir d’une juste évaluation de sa position actuelle, de réparer ses fautes avec intelligence, sans attendre, et avec justesse.
Nous nous trouvons aujourd’hui à un tel tournant décisif. 
 
Les politiques de « neutralité carbone » (net zero) révèlent, chaque jour davantage, leur inefficacité. Et pourtant, une étrange quiétude nous gagne, nourrie par l’idée rassurante que, puisque ces politiques bénéficient d’un consensus scientifique, elles doivent être justes. Alors, nous perdons de vue l’ampleur du désastre, nous attendons — en vain — que des prédictions candides et optimistes se réalisent, et nous laissons filer un temps précieux.
La promesse de limiter le réchauffement à 1,5°C est un mensonge si gigantesque qu’il nous force presque à croire qu’une telle énormité, acceptée par tant, doit bien contenir une part de vérité. Mais il n’en est rien.
 
Une autre voix : une dissonance salutaire.
 
Dans le débat climatique mondial, la "neutralité carbone" s’est imposée comme l’horizon politique par excellence. Gouvernements, grandes entreprises, institutions internationales : tous s'engagent, chiffres à l'appui, à atteindre le "zéro émission nette" à l’horizon 2050. Pourtant, un nombre croissant de climatologues, d’activistes et d’universitaires remettent en question la validité de ces promesses. Non seulement parce qu'elles sont scientifiquement insuffisantes pour enrayer la crise climatique, mais surtout parce qu'elles offrent une couverture éthique et communicationnelle aux destructeurs de la nature.
 
Dans un article co-signé par trois chercheurs de renom – James Dyke (Université d'Exeter), Robert Watson (Université d’East Anglia) et Wolfgang Knorr (Université de Lund) – les auteurs sonnent l'alarme : les promesses de neutralité carbone relèvent plus de la "pensée magique" que d'une stratégie scientifique rigoureuse.
 
Le problème fondamental : des promesses déconnectées de la réalité physique
 
La neutralité carbone repose en grande partie sur des projections modélisées de captation du CO2 via des technologies encore non disponibles à grande échelle, comme le CCS (capture et stockage du carbone) ou la plantation massive d’arbres. Ces solutions restent théoriques ou très marginales en pratique, alors que la concentration de CO2 dans l’atmosphère atteint des niveaux records.
 
Selon un rapport du Global Carbon Project publié en 2023, les émissions mondiales de CO2 ont atteint 36,8 milliards de tonnes, et le taux de croissance des technologies de captage reste infime par rapport aux besoins. Ce décalage creuse un fossé entre discours politique et réalité climatique.
 
Un outil de communication pour les pollueurs : le greenwashing en action
 
Les grandes entreprises, notamment dans les secteurs de l'énergie, de l’aérien, de la mode et de l’automobile, utilisent la neutralité carbone pour se racheter une image verte. L'achat de "crédits carbone" permet à des pollueurs notoires de revendiquer une "neutralité" sans changer structurellement leurs modèles de production.
 
Certaines enquêtes ont soulevé des doutes sur l'efficacité réelle des crédits carbone certifiés par des organismes tels que Verra, sans pour autant aboutir à un consensus scientifique clair sur leur inutilité généralisée.
 
Un détournement de la justice climatique
 
La logique de compensation carbone, censée atténuer les impacts climatiques des pays et entreprises du Nord, se traduit dans bien des cas par une forme néocoloniale de gestion environnementale. Des terres situées en Afrique, en Asie ou en Amérique latine sont accaparées au nom de projets de reforestation ou de conservation, souvent sans le consentement libre et éclairé des populations locales. Ces communautés, déjà marginalisées, voient leur mode de vie bouleversé et leurs droits territoriaux ignorés, le tout au nom d’objectifs climatiques définis ailleurs.
 
Ce mécanisme alimente une nouvelle forme d’injustice climatique : ce sont les populations qui ont le moins contribué aux émissions globales qui supportent les conséquences des politiques environnementales des plus riches. En réalité, les projets de compensation deviennent souvent des solutions imposées à des peuples sans qu’ils aient leur mot à dire, et qui peinent à bénéficier de réels avantages en retour. Le verdissement des discours masque alors une perpétuation des inégalités globales sous couvert d’écologie.
 
Le recours massif à des projets de compensation dans les pays du Sud global entraîne des violations des droits fonciers, le déplacement de populations locales et la destruction de la biodiversité. Sous prétexte de planter des arbres pour capter du carbone, des forêts primaires sont parfois remplacées par des monocultures, sans aucune bénéfice écologique.
 
Des politiques incohérentes face à la crise climatique
 
Alors que les États proclament leur engagement climatique, beaucoup continuent de subventionner massivement les énergies fossiles. En 2023, le FMI estime que les subventions mondiales aux énergies fossiles ont atteint 7 000 milliards de dollars.  Dans ce contexte, la promesse de neutralité carbone ressemble davantage à une opération cosmétique qu’à une véritable transition.
 
vers une transformation réelle, pas une illusion compensatoire
 
La neutralité carbone ne peut être une fin en soi. Elle doit s’accompagner d'une réduction drastique des émissions à la source, d'un abandon progressif des combustibles fossiles, et d'une transformation des systèmes économiques vers plus de sobriété et de justice. Il est temps de passer du narratif de la compensation à celui de la responsabilité.
 
La question n’est pas seulement technique, mais politique et éthique. Comme le rappellent Dyke, Watson et Knorr, "les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront la vie des générations futures". Encore faut-il que ces choix soient réels, courageux, et libérés de l’illusion d’une neutralité facile.
 

 

Source :


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