Alors que de plus en plus de pays interdisent la corrida, la France continue d’autoriser cette pratique dans certaines régions au nom d’une « tradition locale ». Une exception légale qui choque une large majorité de citoyens, pour qui ce spectacle relève d’une cruauté injustifiable.
Les cris, les applaudissements, la mise en scène… et au centre, un taureau épuisé, saigné, acculé. Cette image, que d’aucuns défendent comme patrimoine culturel, en révolte beaucoup d’autres. La corrida, toujours pratiquée en France, en Espagne, au Portugal et dans quelques pays d’Amérique latine, suscite une contestation croissante. Pour ses opposants, il ne s’agit pas d’un art, mais d’une mise à mort ritualisée, d’un acte de cruauté institutionnalisé.
En France, le Code pénal est pourtant clair : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » (article L. 521-1)[
1]. Mais la loi introduit une dérogation : les « courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée »[
2]. C’est sur cette faille que repose la survie des corridas dans le sud de la France – de Bayonne à Arles en passant par Nîmes ou Béziers.

Cette exception choque d’autant plus qu’elle va à rebours de l’évolution internationale. La Colombie a voté en 2024 l’interdiction totale de la corrida, qui entrera en vigueur en 2027[
3]. Au Mexique, plusieurs États, ainsi que Mexico City en 2025, ont banni les corridas sanglantes[
4]. En Espagne, les Canaries et la Catalogne ont aboli la pratique (même si la Cour constitutionnelle a partiellement remis en cause la décision catalane), et les Baléares ont interdit la mise à mort en arène dès 2017[
5]. L’Argentine, le Chili, l’Uruguay, Cuba et le Guatemala l’ont supprimée depuis longtemps[
6]. Partout, le vent tourne.
En France, l’opinion publique n’est pas en reste : selon un sondage publié en février 2024, 75 % des Français se déclarent favorables à l’interdiction pure et simple[
7]. L’écart générationnel est encore plus marqué : chez les jeunes adultes, le rejet atteint des niveaux record. Pourtant, les tentatives parlementaires pour mettre fin à cette pratique échouent régulièrement, comme en 2022 lorsque la proposition de loi d’Aymeric Caron (La France Insoumise) a été retirée, bloquée par des manœuvres d’obstruction[
8].
Tradition contre éthique : une fausse opposition ?
Les défenseurs de la corrida invoquent l’art, la culture, la tradition. Mais comment justifier la souffrance infligée à un animal au nom de l’esthétique ? Un taureau n’est pas un accessoire de spectacle. La réalité est brutale : il est piqué, épuisé, mis à mort sous les vivats. À l’heure où nos sociétés reconnaissent de plus en plus le caractère sensible des animaux et leur droit à être protégés de la cruauté, la corrida apparaît comme un vestige barbare.
Pourtant, abolir la corrida ne signifie pas abolir la culture. Les arènes de Nîmes ou de Bayonne peuvent vivre autrement, accueillir concerts, festivals, rencontres sportives. La tradition n’est pas figée ; elle évolue. Refuser de faire souffrir et mourir des animaux pour distraire une foule, c’est choisir l’avenir sans renier le passé.
Préserver la tradition… autrement
Plutôt que d’opposer mémoire et modernité, il est possible d’inventer des formes nouvelles, respectueuses du bien-être animal. L’histoire de la gymnastique artistique en fournit un exemple éclairant : autrefois, le saut de cheval s’entraînait sur des animaux vivants, avant d’être remplacé par un appareil spécifique. Le geste, la technique et la symbolique ont été préservés, sans qu’aucun cheval n’ait plus à subir l’exercice[
9].
La corrida pourrait suivre une trajectoire similaire. Les arènes pourraient mettre en scène des corridas « symboliques », avec des taureaux mécaniques ou virtuels, où l’esthétique, les costumes et la dramaturgie seraient conservés. Certaines expérimentations de « corridas sans sang », déjà proposées en Espagne, vont dans ce sens[
10]. La dimension festive pourrait, elle, être renforcée : musique, défilés, rassemblements populaires. Ce qui attire dans ces fêtes, ce n’est pas seulement le combat, mais aussi la convivialité et l’ancrage identitaire.
Enfin, des activités sportives ou artistiques inspirées de la corrida pourraient voir le jour : chorégraphies équestres sans violence, acrobaties, compétitions symboliques. Ces pratiques transmettraient les valeurs de courage, de maîtrise et d’élégance, autrefois associées à la corrida, tout en abolissant la cruauté.
Choisir l’avenir
L’argument économique – emplois, tourisme – est lui aussi contestable. Les chiffres montrent une baisse régulière de fréquentation. En Espagne, le nombre de corridas a chuté de 63 % depuis 2007[
11]. En France, la tendance est similaire. Le public se détourne, les nouvelles générations ne s’y reconnaissent pas. Maintenir ce spectacle coûteux et violent relève plus de l’acharnement que de la sauvegarde d’un patrimoine.
Il est temps que la France rejoigne le mouvement mondial. L’exception de « tradition locale ininterrompue » n’a plus de sens dans un pays qui prétend défendre le bien-être animal. La corrida n’est pas condamnée à disparaître de l’imaginaire collectif : elle peut se réinventer, devenir un symbole culturel sans effusion de sang. Comme hier le saut de cheval, la corrida peut être transformée pour préserver l’histoire, l’esthétique et l’identité, sans sacrifier la vie animale.
Ainsi, abolir la mise à mort n’est pas effacer une culture, mais lui offrir une seconde vie, adaptée à notre siècle.
Sources
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044394119
https://www.tf1info.fr/politique/la-corrida-est-elle-deja-interdite-en-france-dans-le-code-penal-comme-l-affirme-aymeric-caron-2238721.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/05/30/en-colombie-fin-de-partie-pour-la-corrida_6236374_3210.html
https://www.theguardian.com/world/2025/mar/18/mexico-city-bloodless-bullfights
https://france3-regions.franceinfo.fr/occitanie/pyrenees-orientales/perpignan/baleares-interdisent-corridas-blessure-mise-mort-du-taureau-1302193.html
https://www.cas-international.org/en-gb/anti-bullfighting-states/
https://www.bfmtv.com/animaux/corrida-75-des-francais-favorables-a-son-interdiction-au-nom-du-bien-etre-animal_AN-202402120856.html
https://www.france24.com/fr/france/20221124-interdiction-de-la-corrida-la-france-insoumise-retire-son-texte-d%C3%A9non%C3%A7ant-une-obstruction
https://www.wagymnasticshistory.com/historyearlygymequip.html
https://elpais.com/politica/2017/07/24/actualidad/1500880861_431681.html
https://www.eurogroupforanimals.org/news/survey-reveals-majority-citizens-eu-bullfighting-countries-against-tradition
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