Au début des années 2000, face à la montée en puissance de l’industrie chinoise, l’Europe et les Etats-Unis se préoccupent de leur souveraineté minérale.
Comment le climat a réenchanté la mine

La multinationale Imérys projette d’ouvrir à Echassières, dans l’Allier, au beau milieu de la France, une des plus grandes mines de lithium d’Europe. Le « dossier du maître d’ouvrage » remis par l’entreprise à l’occasion du débat public est un document qu’il faut lire pour comprendre les enjeux que soulève l’électrification du parc automobile. Les chiffres impressionnent : avec des réserves estimées à 375,000 tonnes, Echassières représenterait le quatrième gisement de lithium en Europe. Tréguennec dans le Finistère, second sur le podium français, serait cinq fois moins riche. L’exploitant annonce une extraction de 34,000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an.

Etant donnée la teneur du minerai, cela implique de retirer du sous-sol plus de 2 millions de tonnes de granit, les concasser, les broyer et les soumettre à divers traitements chimiques. Tout cela consomme énormément d’eau —sans doute plus d’un million de mètres cubes— et d’énergie : un four à calcination brûlera 50 millions de m3 de gaz par an et l’ensemble du projet consommera 446 Gwh d’électricité par an, soit un millième de la production électrique française tout de même. 

Le plus surprenant est que malgré ce gigantisme, le site d’Echassières ne représente qu’une toute petite partie de l’industrie minière nécessaire pour électrifier le parc automobile français. De cette mine, Imérys prévoit de sortir suffisamment de lithium pour fabriquer 17 millions de voitures, soit un tiers du parc actuel seulement. Bien d’autres Echassières en France, et surtout ailleurs, sont donc à prévoir. Gâteau sur la cerise, le lithium ne représente que 4% du poids des batteries des véhicules électriques, les 96 autres pour-cent —graphite, aluminium, cobalt, manganèse et cuivre posant aussi des problèmes environnementaux. 

L’argument principal à l’appui du dossier est évidemment l’impératif de la transition énergétique. « Le projet », peut-on lire, « pourrait représenter une solution de décarbonation permettant de contribuer à̀ l’objectif fixé par l’UE de zéro émission nette d’ici 2050 ».

La formulation, alambiquée, se comprend quand on voit le graphique qui suit : à l’échelle européenne, la voiture électrique ne réduit que de 60% les émissions de CO2 par rapport à un véhicule thermique. Un progrès donc, mais qui nous laisse assez loin de l’objectif de la neutralité carbone. Il est probable que l’électrification en cours du parc automobile ne fasse que reporter à plus tard le franchissement des +2°C. 

D’où vient alors cette idée que pour sauver le climat il faut absolument ouvrir des mines ? Dans un livre récent, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, la journaliste Celia Izoard a retracé l’histoire de cette association.

Au début des années 2000, face à la montée en puissance de l’industrie chinoise, l’Europe et les Etats-Unis se préoccupent de leur souveraineté minérale. Il leur faut sécuriser des approvisionnements en métaux « critiques » pour l’aéronautique, l’automobile, l’électronique, l’armement... Dans les rapports sur ce sujet, la question du climat est encore absente. Par exemple en 2012, quand Arnaud Montebourg, ministre de l’industrie, lance la « stratégie du renouveau minier », il n’est pas question de transition, mais de souveraineté et de « redressement industriel ».

Naturellement, les ONG considèrent ces initiatives d’un mauvais œil, tant les mines sont, par la nature même de leur activité, polluantes. Auprès de la Commission Européenne, Euromines, le lobby du secteur, se plaint de l’hostilité ambiante. Arrive 2015 et l’accord de Paris : l’occasion rêvée pour redorer le blason de la mine. En 2017, la Banque Mondiale, en collaboration avec les géants miniers, calcule les besoins en métaux pour décarboner l’infrastructure énergétique mondiale.

Après cette date, les mêmes rapports, portant sur les mêmes problèmes d’approvisionnement, se placent dorénavant sous la bannière du climat. Le lobby minier parle maintenant « des métaux pour la transition » --alors qu’il s’agit souvent de métaux pour l’électronique et l’industrie en général. En quelques années le climat est ainsi parvenu à réenchanter la mine.
 

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