Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Législatives 2024 : "l’écologie va forcément apparaître comme une question assez secondaire", regrette François Gemenne

La France est repartie en campagne électorale, après la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron, et la victoire du Rassemblement national aux élections européennes, le 9 juin. Selon François Gemennne l’écologie avait été largement absente dans la campagne des européennes et ce sera encore le cas dans la campagne des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. "On ne va pas se mentir, la seule question de ces élections, c’est de savoir si on veut l’extrême droite au pouvoir ou pas. Et l’écologie va forcément apparaître comme une question assez secondaire, dans cette affaire. Ce qui est plus surprenant, c’est qu’elle ait été aussi absente de la campagne des européennes, alors que c’est au Parlement européen que sont votées les normes qui sont vraiment les plus importantes, les plus structurantes, en matière de politique environnementale", dit-il.

François Gemenne : Avez-vous déjà entendu parler des élections législatives britanniques du 5 juillet 1945 ? Ce sont ces fameuses élections où Churchill a été très sèchement battu. Pourtant, Churchill sortait en héros de la Seconde Guerre mondiale, il avait mené les Alliés à la victoire, c’était une icône nationale. Alors, pourquoi est-il battu ? Parce qu’il évoque de mauvais souvenirs aux Anglais, il est trop associé à la guerre, et les électeurs veulent tourner la page.
Mais il y a plein d’autres sujets qui charrient aussi des mauvaises nouvelles, et pourtant, on en parle : l’insécurité, le chômage, la dette publique…

C’est vrai, mais il y a une grosse différence : pour ces sujets-là, les candidats ont une solution miracle ! Elle est souvent bidon, mais elle permet de faire croire que le problème peut être facilement réglé. Avec le changement climatique, il n’y a pas de solution miracle, on sait bien que les impacts ne dépendent pas uniquement de nos émissions futures de gaz à effet de serre, mais aussi des émissions passées et des émissions des autres. C’est d’ailleurs tout le problème. Votre bilan en matière de lutte contre le changement climatique, il ne va pas se traduire tout de suite par des baisses des températures. Donc ce n’est pas évident à vendre en campagne. Et ça nous amène à un énorme paradoxe, plus la situation est grave, plus les nouvelles sont mauvaises, moins on en parle.

C'est aussi le rôle des journalistes d'en parler. Mais le pproblème, cest que le climat est souvent considéré comme un problème à part, et confié à des journalistes spécialisés. Et ce ne sont pas eux qui animent les débats politiques. Et pour les journalistes politiques qui animent les débats, le climat apparaît souvent comme un sujet un peu technique, et donc un terrain sur lequel ils n’osent pas trop s’aventurer. Et d’ailleurs, c’est pareil pour les politiques eux-mêmes. C’est volontiers considéré comme un sujet distinct des grands sujets économiques et sociaux, alors que ces sujets sont évidemment profondément contingents de la réponse que nous allons apporter au changement climatique. Alors que la santé, les migrations, la paix, le commerce, tous ces sujets vont être transformés par le changement climatique.

On pense que c’est un sujet d’environnement, c’est-à-dire, médiatiquement parlant, un sujet à part, qui doit être traité dans des émissions spécialisées et pour lequel on peut compter les minutes d’antenne. Résultat, le sujet est assez peu abordé dans les campagnes électorales.

Mais c’est un sujet qui préoccupe les gens…

Bien sûr, toutes les enquêtes d’opinion le disent : 80 à 85% des Français sont préoccupés ou très préoccupés par le changement climatique. Mais ce n’est pas parce qu’on est préoccupé par quelque chose qu’on en fait forcément une priorité politique. Par exemple, j’imagine que beaucoup de nos auditeurs, en ce moment, sont préoccupés par les conflits en cours à Gaza ou en Ukraine, pour autant, est-ce que c’est cela qui a déterminé leur vote ? Pas forcément. On sait bien que les questions internationales sont rarement un déterminant prioritaire du vote, qui est plutôt centré sur les intérêts immédiats. Et comme le climat est par essence un sujet international… Donc on se retrouve avec un autre paradoxe : on attend souvent des gouvernements qu’ils agissent pour le climat, mais on ne leur donne jamais vraiment de mandat pour ça.

Quand on en parle, c’est souvent sous l’angle des solutions techniques : la voiture électrique, ou la rénovation thermique des logements, par exemple. Pour que le sujet prenne une véritable place dans les campagnes électorales, il faudrait une véritable discussion sur le modèle de société que l’on veut. Quel est, au fond, le projet démocratique que l’on veut mettre derrière la transition ? Et ça dépasse de loin les débats un peu binaires qu’on peut avoir sur "sobriété contre technologie", ou même sur "croissance verte contre décroissance".

La vraie question, elle touche aux principes fondamentaux du contrat social. Que signifie la liberté dans un monde décarboné ? Est-ce qu’on est d’accord de moduler certaines libertés individuelles pour garantir l’exercice de libertés collectives ? Qu’est-ce que ça veut dire, l’égalité dans un monde décarboné ? Le même budget carbone de deux tonnes pour tout le monde ? Et surtout, qu’est-ce que ça veut dire, la fraternité dans un monde décarboné ?

Est-ce qu’on est prêt à élargir notre communauté politique, à accepter que les conséquences de nos actions touchent tous les êtres vivants ? Voilà les questions fondamentales que le climat devrait nous poser, au moment d’élire nos dirigeants. À condition qu’on puisse encore parler de liberté, d’égalité et de fraternité après le 30 juin.

Source: franceinfo

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