Les derniers chiffres sont encourageants mais lorsqu’on regarde dans le détail, de nombreux angles morts apparaissent
La France, championne climatique ? Pas si sûr...

C’est une excellente nouvelle pour la politique climatique du gouvernement. D’après les données du Citepa, les émissions de gaz à effet de serre en France ont diminué de 5,8% (-22,8 Mt CO2e) entre 2022 et 2023, hors puits de carbone. Il n’en fallait pas moins aux autorités pour claironner leur succès, et affirmer fièrement que cette fois-ci, c’est la bonne : la France respecte ses engagements climatiques.

Or sur le front de la lutte contre le réchauffement planétaire, la situation est toujours un peu plus nuancée que la façon dont elle est exposée par les responsables politiques. Notamment parce que l’appréciation des résultats publiés en la matière nécessite la compréhension de quelques notions élémentaires, sur lesquelles il est important de se pencher.

Pour commencer, il est primordial de distinguer les émissions territoriales de l’empreinte carbone d’un pays. Les premières se limitent aux frontières géographiques, et comptabilisent toutes les émissions domestiques – émissions brutes –, auxquelles on retranche les émissions absorbées par nos puits de carbone, c’est-à-dire nos sols et nos forêts – émissions nettes. Plus complexe à calculer, l’empreinte carbone se focalise sur la consommation et tient compte des flux commerciaux internationaux, en ajoutant les émissions incorporées dans les importations, et en déduisant celles induites dans les exportations.

En France, l’empreinte carbone est plus élevée que ne le sont les émissions territoriales. Or ce sont bien sur ces dernières, en valeur nette – après déduction des puits de carbone –, que reposent nos engagements nationaux et internationaux, puisqu’il est plus évident, à l’échelle d’un pays, d’agir sur sa propre production nationale, plutôt que de réguler les échanges transnationaux. Il paraît donc un peu présomptueux, de la part du gouvernement, de se réjouir d’un chiffre brut, et ce d’autant plus lorsqu’on s’intéresse à l’état et au devenir de nos sols et nos forêts – on parle officiellement de secteur de l’Utilisation des Terres, Changement d’Affectation des Terres et Foresterie (UTCATF).

 

 

En effet, après s’être réduit entre 2013 et 2017, celui-ci demeure nettement fragilisé par le changement climatique. Notamment par les sécheresses, tant leur fréquence et leur intensité augmentent sous l’effet de réchauffement, causant de très nombreux incendies et favorisant certaines maladies qui fragilisent les écosystèmes forestiers. Le problème, c’est qu’il y a bien une réversibilité possible du stockage de CO2 dans les sols et la végétation ; il n’y est pas séquestré pour l’éternité et peur repartir dans l’atmosphère. Ce qui impacte mécaniquement, à la hausse, la valeur de nos émissions nettes et donc nos chances de respecter nos engagements climatiques.

En l’espèce, le deuxième budget carbone de la France (2019-2013) est en voie d’être dépassé – après que le premier budget (2015-2018) l’a été lui aussi.

Néanmoins, un motif de satisfaction peut s’observer dans la tendance récente, avec une année 2023 remarquable, et il faut bien le dire, grossièrement sur les rails des efforts qu’il faut accomplir, et renouveler chaque année, jusqu’en 2030, voire 2050. Ce qui paraît d’autant moins évident que cette baisse résulte en bonne partie – au moins un tiers – d’effets conjoncturels, comme la reprise d’une partie de la production nucléaire, une baisse d’activité dans l’industrie et le transport de marchandises, ou encore la baisse structurelle de notre cheptel bovin.

Aussi exceptionnelle soit-elle, la baisse de 2023 ne suffit donc pas à compenser les carences des années précédentes, et à équilibrer le deuxième budget carbone de la France. Or elle relance, avec évidemment beaucoup de prudence, la possibilité de respecter nos objectifs européens pour 2030. Une cible que l’on ne pourra atteindre qu’en consolidant le cadre d’action public et en poursuivant, de la même ampleur chaque année, les efforts accomplis l’an dernier.

Alors pour mieux comprendre le cadre juridique dans lequel s’inscrivent la politique et les engagements français en matière de lutte contre le réchauffement, pour mieux distinguer le rôle et l’efficacité des différents indicateurs qui permettent de les mesurer et en somme, pour apprécier avec une plus grande clarté la trajectoire climatique de la France, nous avons interrogé le docteur en physiologie végétale Jean-François Soussana, qui préside, depuis peu, le Haut Conseil pour le Climat.

Source: l'Opinion

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