Des crustacés pour faire du plastique
Des crustacés pour faire du plastique

Si des scientifiques s’intéressent aujourd’hui aux liens entre les crustacés et les sacs de plastique, c’est grâce à la chimie verte, la soeur « durable » de cette science fondamentale.

« Un des objectifs de la chimie verte, c’est de voir comment on peut prendre des matériaux de la nature et les transformer en bien de tous les jours », explique Audrey Moores, professeure de chimie à l’Université McGill et coauteure d’un article publié dans la revue scientifique ChemRxiv plus tôt ce mois-ci, qui détaille la découverte.

Qu’ont en commun les médicaments, plastiques, détergents et cosmétiques ? Ils sont tous fabriqués à partir de pétrole. « Les produits que les gens consomment chaque jour proviennent en immense majorité du pétrole », indique la professeure.

Repousser les limites de la chimie

Comme l’économie de la chimie est centrée sur le pétrole, Audrey Moores et d’autres scientifiques à travers le monde tentent de remplacer des « produits pétroliers » par des produits qui proviennent de la biomasse, dont les deux grandes sources sont la lignocellulose (les plantes) et la chitine (exosquelette ou carapace des crustacés et des insectes).

« On est capable de prendre la chitine et d’en faire un polymère en la modifiant un tout petit peu. Le résultat se nomme chitosan et a des propriétés très intéressantes », précise la professeure de chimie.

« En modifiant la chitine en chitosan, on libère une petite main sur la molécule qui peut attraper tout plein de choses, donc on peut la lier avec d’autres matériaux », illustre-t-elle.

Pour le moment, le chitosan est utilisé pour faire de la dépollution et dans le domaine biomédical (hydrogels pour le traitement des plaies, sutures, etc.).

« Ce qu’on sait très bien faire, c’est transformer la chitine en chitosan de petite taille, mais ce qu’on sait moins bien faire c’est faire du chitosan avec une longue chaîne polymérique et on a besoin de ça pour faire des matériaux beaucoup plus rigides et robustes tels que du plastique. »

C’est ce que l’équipe d’Audrey Moores a réussi à accomplir, et ce, par hasard : « C’est mon étudiant à la maîtrise, Thomas Di Nardo, qui y est arrivé alors qu’il travaillait sur autre chose. Il est vraiment motivé par cette découverte », dit-elle, car le chitosan, contrairement au plastique, peut se dégrader en quelques semaines seulement.

Les coquilles de crustacés ou d’insectes sont habituellement dispendieuses, ce qui pourrait rendre difficile la commercialisation de cette découverte. « Les déchets de carapaces sont assez délocalisés, ils ne se retrouvent pas tous au même endroit, donc s’en procurer coûte cher », explique Audrey Moores.

L’entomophagie à la rescousse

Toutefois, la popularité grandissante de l’entomophagie, soit le fait de se nourrir d’insectes, pourrait venir sauver la mise. « Lorsqu’il va y avoir plus de fermes d’insectes, les carapaces d’insectes seront plus localisées et donc la chitine devrait coûter beaucoup moins cher », fait valoir la professeure. « En plus, les fermes pourraient transformer les carapaces d’insectes en chitine sur place, car notre procédé est vraiment simple et peu coûteux. Il suffit d’un broyeur et d’un four à 50 degrés, donc c’est très faisable. »

Pour le moment, l’équipe d’Audrey Moores fabrique de la poudre à même le laboratoire de chimie de l’Université McGill et compte la vendre prochainement.

Crevettes contre pétrole

Sachant que le pétrole provient essentiellement de fossiles d’organismes marins, comme les crustacés, l’on pourrait se demander pourquoi l’or noir ne se dégrade pas aussi bien qu’un plastique fait de carapaces de crevettes.

« C’est une très bonne question », répond d’emblée Audrey Morres. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que le pétrole est fait d’organismes qui ont subi des transformations géochimiques importantes de par la pression exercée par les roches pendant des milliers d’années. À la fin, on a un produit qui a été complètement dépouillé de deux molécules très importantes : l’azote et l’oxygène. »

Lorsque le pétrole est extrait du sol, il est pour ainsi dire « non reconnu » par la presque totalité du monde biologique, explique Audrey Moores. De plus, il est transformé en divers produits, ce qui le rend « encore moins reconnaissable ».

« Avec les produits pétrochimiques, on fait des molécules que la biologie ne reconnaît pas et elle ne peut donc pas les dégrader. On peut comparer ça à une rencontre entre deux personnes. Pouvez-vous discuter ensemble ou bien y a-t-il un écran de verre entre vous ? »

Certaines bactéries ont toutefois la capacité de dégrader des molécules de pétrole, mais elles sont très rares. « On en a trouvé dans le golfe du Mexique, mais ces bactéries sont propres à un milieu particulier et elle dégrade une toute petite quantité de pétrole, donc c’est vraiment insuffisant. »

Qu’est-ce qu’un polymère ? Un polymère est une répétition de plusieurs atomes ou groupes d’atomes reliés les uns aux autres de façon linéaire et en nombre suffisant pour entraîner une série de propriétés qui ne varient pas de façon significative par addition ou suppression de plusieurs unités constitutives. On retrouve plusieurs polymères dans la nature, comme la cellulose et la chitine, mais aussi la soie, la kératine, l’ADN, le collagène et le caoutchouc naturel. Source : Larousse

De la poudre de crevettes au plastique. Le laboratoire d’Audrey Moores utilise la mécanochimie pour produire de la poudre de chitosan. En premier lieu, des solvants sont utilisés pour enlever les protéines et le carbonate de calcium de la carapace. Ensuite, les carapaces sont broyées puis séchées au four. La poudre qui en résulte, le chitosan, peut-être ajoutée à des agents plastifiants (à base de végétaux) pour créer des matériaux.

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