Les pommes d’antan, dernière chance pour la biodiversité

Dans ce dernier épisode de notre série sur la réparation de la biodiversité, laissons derrière nous biodiversité sauvage et biodiversité urbaine pour plonger dans la biodiversité cultivée. Façonnée par les paysans et éleveurs pendant des millénaires, elle est aujourd’hui en chute libre. Dans un rapport de 2010, la FAO (agence alimentaire des Nations unies) estimait que trois quarts de la diversité des cultures avaient été perdus entre 1900 et 2000, soulignant que « la diversité génétique des plantes que nous cultivons et consommons – et des espèces sauvages apparentées – pourrait disparaître à jamais, compromettant ainsi la sécurité alimentaire future ».

Le cas de la pomme, fruit préféré des Européens, dont le nombre de variétés commerciales s’est effondré au XXe siècle, est emblématique de cette déperdition. En réaction, une myriade d’associations s’efforcent de redécouvrir et de conserver la gamme bigarrée de ses variétés locales. Non pas en les entreposant dans des banques de graines congelées – où dorment désormais, à l’abri des conditions réelles, « plus de 70 % de la diversité génétique de deux cents à trois cents plantes cultivées », selon la Convention sur la diversité biologique. Mais en tentant de faire revivre, sur leurs territoires, ce patrimoine agricole et culturel.

A la recherche des pommes perdues du Berry

Ils poussaient souvent dans les « bouchures », des haies qui, dans le Berry, délimitent les parcelles du bocage : des pommiers sauvages y germaient spontanément, et un paysan greffait sur les jeunes arbres une variété du coin qu’il appréciait, contribuant ainsi à la multiplier. Dans l’Indre, le bocage a laissé place à de vastes champs de monoculture céréalière qui dessinent, une fois moissonnés, un paysage ras couleur sable. Avec sa régression au profit de l’agriculture intensive, les haies ont été arrachées, emportant les pommiers avec elles.

« On a perdu beaucoup de variétés », regrette René Marandon, bouc touffu et grisonnant, qui préside la Société pomologique du Berry, à Neuvy-Saint-Sépulchre (Indre). Une de ces nombreuses associations qui, dans le sillage des Croqueurs de pommes, nés en 1978, tentent de contrer l’érosion des pommiers cultivés – aux côtés d’acteurs de plus grande envergure, comme les conservatoires de Villeneuve-d’Ascq et d’Aquitaine ou l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

L’ancien enseignant croque une pomme par jour. Il désirait des fruits « sains et goûteux » et pensait qu’acheter ses pommes au supermarché, c’était « passer à côté de beaucoup de choses qui sont pourtant juste à côté de nous ». A sa retraite, il s’est engagé dans cette Société de pomologie (pomologie comme pomus, « fruit » en latin) qui sauvegarde des variétés locales de pommes, mais aussi de raisins, de châtaignes, de prunes et de cerises.

Depuis 1984, ces pomologues prospectent, fouillant haies, jardins et chemins, identifiant les fruits qu’on leur présente, pour sortir de l’oubli un maximum de variétés locales. Ils conservent dans trois vergers une centaine de variétés de pommiers, avec diverses techniques de greffe et de taille. Et distribuent chaque année des milliers de greffons aux amateurs.

Parmi ces pommiers, beaucoup ont perdu le fil de leur origine. Certains, même, n’appartenaient à aucune variété lorsqu’ils furent découverts. « Ils peuvent venir d’un semis de hasard, explique René Marandon. Sur deux mille ou trois mille pépins, on tombe parfois sur un pommier remarquable, qui donne de beaux fruits. On peut lui donner un nom et le multiplier en le greffant… » Ainsi est née une nouvelle variété.C’est le cas de la Razot : née d’un semis naturel dans une haie de Neuvy-Saint-Sépulchre et découverte dans les années 1990 par l’un des fondateurs de la Société pomologique du Berry, cette pomme a été récompensée en 2016 par le prix du « free breeding », la création libre de variétés non protégées, décerné par la Fondation pour une Terre humaine.

D’autres fruitiers, néanmoins, ont été identifiés parmi les variétés anciennes du Berry, perpétuées depuis parfois plusieurs siècles, avec leur bagage d’histoires, leurs usages – pommes de table ou à cuire, à cidre ou à jus – et leurs spécificités. Certaines sont précoces, d’autres résistantes aux maladies, d’autres encore se conservent longtemps… Comme la Belle Fille de l’Indre, dont la chair, couleur neige, est fine et sucrée, et l’épiderme jaune lavé de rouge sous des stries plus foncées : celle-ci se garde jusqu’au printemps.

 

Source : lemonde.fr

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