Le véganisme n’est pas une mode : il est le signe de l’émergence d’une nouvelle conscience, à la fois devant les autres espèces et les enjeux environnementaux considérables auxquels nous devons faire face.
Le futur sera végan ou ne sera pas

« L’espèce a trouvé la voie, oui – mais celle de la disparition. »

Richard Matheson

 

Qu’est-ce que l’humanité ? Les dictionnaires soulignent la dimension morale et rationnelle de notre espèce. Est qualifié d’humain celle ou celui qui fait preuve de logique, de discernement, de compassion, d’altruisme et d’un sens aigu de la justice.

Si l’on se fonde sur cette définition, force est de convenir que bien peu d’entre nous le sont. Consommer des produits d’origine animale n’est en rien rationnel : c’est une folie à tous les niveaux. Écologique, sanitaire et bien sûr éthique. Le Covid-19, comme le SRAS, le MERS et la fameuse grippe espagnole avant eux, devrait une fois de plus nous alerter sur nos pratiques alimentaires. Tous ces virus mortels sont nés parce que nous élevons des animaux et que nous les mangeons1. Le goût prononcé de notre espèce pour la violence est attesté par notre histoire. Et la violence fondatrice, celle qui génère toutes les autres et conditionne l’existence même de la violence, est celle que nous exerçons sur les membres des espèces non humaines. La barbarie commence exactement là où l’autre animal souffre et meurt de notre main.

Nous n’avons pas besoin de produits d’origine animale pour vivre. Par conséquent, notre seule justification – qui bien sûr n’en est pas une – pour élever, engraisser, torturer et tuer autrui pour autant qu’il n’est pas « des nôtres », est que nous aimons le goût de sa chair et de ses sécrétions corporelles (lait, ovules, etc.). Sous telle ou telle latitude la « cuisine » varie, mais les meurtres restent les mêmes et aucun n’est justifiable. Tous relèvent d’un spécisme criminel, systématique, qui nie les victimes monstrueusement et absolument.

La chasse ne sert pas à nous nourrir : elle n’est plus que l’expression d’une barbarie assumée, cette ultime part maudite que le chasseur inscrit à tort dans un ordre naturel qu’il est le premier à dérégler. Les modernes nemrods, ces terroristes auxquels plus un seul vivant ne semble échapper, qui s’approprient la nature et en font leur terrain de jeu sanglant, éprouvent une jouissance à détruire, et si certains s’efforcent maladroitement de recouvrir leur sadisme d’oripeaux clinquants (au premier rang desquels de pseudo-arguments écologiques qui n’abusent personne), d’autres assument entièrement leur passion. « J’aime tuer », revendique ainsi le sinistre Thierry Coste2.

La jouissance du ventre, le divertissement, le plaisir, ne justifient pas le fait de soumettre, moins encore de massacrer des êtres doués de sentience3. C’est la sentience qui conditionne la possession de droits fondamentaux inaliénables et fonde l’égalité en droit des individus qui en sont pourvus. « Le véganisme abolitionniste est l’unique position qui soit cohérente avec la reconnaissance du fait que la vie des humains et celle des non-humains sont moralement équivalentes. Le véganisme doit être la ligne de conduite morale sans équivoque de tout mouvement social ou politique accordant aux animaux non humains une valeur morale inhérente ou intrinsèque, et reconnaissant qu’ils ne sont pas des ressources à notre usage4 », écrit Gary L. Francione.

Si nos sociétés perpétuent ces boucheries alors qu’elles s’abîment littéralement dans l’abondance, c’est parce qu’autre chose de fondamental est en jeu. Comme l’affirmait en substance Derrida, nous nous sommes auto-institués comme sujets en mettant à mort l’animal. On peut établir de même que la masculinité s’est construite contre la féminité (telles du moins que la culture les a définies), et qu’il existe un lien direct entre virilisme, consommation de chair et massacre animal – d’où le concept derridien de « carno-phallogocentrisme ». « C’est un "penchant au meurtre, une indéracinable pulsion de mort dans ce qu’elle a de plus archaïque, à savoir la dévoration5 ", qui caractérise l’alimentation carnée, note Julia Kristeva. Le concept forgé par Derrida de "carno-phallogocentrisme" pour parler d’une "virilité carnivore6 ", désigne avec force l’indissociabilité des liens entre la carnivorité, le discours et le masculin, c’est-à-dire le sujet tel qu’il est défini par la métaphysique. En tant que tel, ce concept peut constituer une grille de lecture pour ce passage de la Genèse qui voit dans le meurtre de l’animal un moment fondateur d’une humanité au sein de laquelle un double clivage homme/femme et homme/animal se forme7 », estime Florence Burgat. La viande est considérée depuis toujours comme le symbole de la virilité, le véhicule de la force et de l’agressivité qui lui sont traditionnellement associées. Les valeurs de paix et d’empathie sont perçues quant à elles comme féminines. La manière dont les femmes et les animaux non humains sont soumis à l’ordre viriliste du monde en dit long sur le fonctionnement de nos civilisations et leur violence intrinsèque. C’est pourquoi le destin des premières et des seconds est inextricablement lié, et qu’on ne peut être antispéciste sans être également féministe (et vice-versa). La philosophe américaine Carol J. Adams ne cesse dans son œuvre d’éprouver l’unité de ces combats8 .

Aucun argument valable ne peut être opposé aux faits suivants : consommer des produits d’origine animale entraîne des holocaustes gratuits, incomparables et perpétuels. Plus de cent cinquante milliards d’êtres sentients sont massacrés chaque année dans le monde à cette fin9 . L’élevage et la consommation de produits d’origine animale sont l’un des facteurs majeurs, sinon le facteur principal, du dérèglement climatique10 . Tous les animaux de la planète ont intérêt à ce que nous adoptions un régime uniquement végétal – y compris nous-mêmes. Notre survie et notre santé l’exigent. Le véganisme est une nécessité éthique, la clé de la permanence des vivants, des animaux victimes en premier lieu. 

La terre est en train de mourir, par notre faute.

Cette oasis foisonnante, sans doute unique dans l’univers, est un miracle que nous sommes en train d’anéantir méticuleusement, et nous avec. Du paradis, nous avons fait un enfer. Tout se passe comme si la nature avait choisi de se suicider à travers la créature humaine qu’elle a également engendrée. Mais la nature pourtant n’a pas de dessein, moins encore de dessein suicidaire. Faut-il alors convenir qu’elle a des ratés et que nous sommes l’erreur, le scandale par lequel la mort s’engouffre ? Sans doute.

Il y a un lien entre l’appauvrissement du langage à l’œuvre, sa syntaxe arbitraire, son orthographe vaincue, et l’appauvrissement de notre rapport à la nature. Il y a un lien entre la disparition des espaces sauvages et le dépérissement de l’imaginaire (quand le poète américain Gary Snyder parlait des « étendues sauvages de l’esprit », il en disait davantage sur l’incarnation de la langue et son intrinsèque naturalité que tous les manuels de philologie réunis). Il y a un lien entre l’assassinat de la beauté et l’évanouissement de la poésie. Entre le règne de la novlangue des technocrates au pouvoir et l’avènement d’un monde vidé de sa sauvagerie prise au sens étymologique du mot, c’est-à-dire de ses forêts. 

Nous sommes devenus des êtres pauvres, privés de ce qui nous a constitués, de ce qui, un jour, a su nous émerveiller, de ce qui continue de nous faire vivre à notre insu. Nous tuons la nature et les êtres qui la peuplent, et ce faisant la substance même de nos rêves. 

Il n’y a qu’un propre de l’humain, de l’homme en particulier : son pouvoir de létalité. C’est en cela que le véganisme éthique est révolutionnaire, en tant qu’il est le signe de l’émergence d’une conscience nouvelle basée sur des valeurs de vie et non plus de mort. L’heure est grave. Nous n’avons plus le temps. Les non-humains moins encore que nous, que nous décimons sans relâche ni pitié11. Le futur sera végan ou ne sera pas.

 

 

1. Cf. « L’épidémie de coronavirus est liée à la consommation de chair animale », PETA, 29 janvier 2020 (https://www.petafrance.com/actualites/lepidemie-de-coronavirus-est-liee-a-la-consommation-de-chair-animale/) ou encore "China has made eating wild animals illegal after the coronavirus outbreak. But ending the trade won't be easy", CNN, 6 mars 2020 (https://edition.cnn.com/2020/03/05/asia/china-coronavirus-wildlife-consumption-ban-intl-hnk/index.html). Il est singulier, et tristement révélateur, que pas une fois les médias français, qui commentent pourtant abondamment l’épidémie, n’abordent le problème de son origine. C’est encore plus vrai (et plus grave) pour les autorités sanitaires. Or on n’éradique pas une maladie sans en traiter d’abord les causes. Hobbes affirmait que la raison, soi-disant propre de l’humain, était le calcul des conséquences. Tout montre au contraire que notre espèce ne mesure jamais les conséquences de ses actes. Sinon, elle serait devenue végane depuis longtemps.
2. Voir : https://info-loup.eu/propos-chocs-conseiller-federation-chasseurs-aime-bien-tuer-animaux/.
3. Être sentient, c’est avoir une conscience subjective. C’est être doué de sensibilité, de la capacité de ressentir et de percevoir, d’avoir des expériences, une volonté, des objectifs, des envies, des intérêts particuliers. C’est posséder n’importe quel esprit permettant d’éprouver la frustration ou la satisfaction de n’importe quel intérêt qu’on possède.
4. Gary L. Francione, « Les problèmes de la théorie du bien-être animal et l’importance de l’éducation végane », in Bêtes humaines ? Pour une révolution végane (dir. Méryl Pinque), Paris, Autrement, 2015, p. 63. Francione est un professeur de droit et philosophe américain, père de la théorie du véganisme abolitionniste, auteur de plusieurs livres sur le sujet, dont certains ont été traduits en français.
5. Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Le Seuil, 1980, p. 115.
6. Jacques Derrida, « "Il faut bien manger" ou le calcul du sujet », in Confrontation, Cahier n° 20, Paris, Aubier, hiver 1989, p. 102.
7. Florence Burgat, Animal mon prochain, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 164.
8. Cf. par exemple Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat: A Feminist-Vegetarian Critical Theory, New York, Continuum, 1990. Tr. fr. Politique sexuelle de la viande, une théorie critique féministe végétarienne, Lausanne, L’Âge d’Homme, collection V, 2016.
9. Voir : https://www.planetoscope.com/elevage-viande/1172-nombre-d-animaux-tues-pour-fournir-de-la-viande-dans-le-monde.html.
10. « La consommation de viande, principale cause du réchauffement climatique », CNEWS, 21 août 2018 (https://www.cnews.fr/monde/2018-08-21/la-consommation-de-viande-principale-cause-du-rechauffement-climatique-725924).
11. « De 1970 à 2014, le rapport [du WWF] conclut que le nombre de vertébrés sauvages […] s'est effondré de 60 % alors que le précédent rapport évoquait un recul de 52 %. Le déclin des animaux d’eau douce atteint même 83 % […]. Globalement la dégradation des habitats représente la menace la plus signalée. Et le déclin de la faune concerne tout le globe […]. » (https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/developpement-durable-biodiversite-plus-60-animaux-sauvages-ont-disparu-depuis-1970-55431/).

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